Du plagiat en architecture
ou le shanzhai appliqué aux gratte-ciel
Quand on évoque la notion de plagiat avec des architectes, tout de suite ils sortent leurs compas très pointus et les approchent de vos yeux avec un air menaçant : "le terme de « plagiat » n'est pas adapté et, à mon avis, difficilement adaptable à l'architecture... (…) On peut « recopier l'image » d'un projet mais pas véritablement le projet", peut-on lire, par exemple, sur ce forum professionnel.
Ainsi, la Glass House de Philip Johnson (1949)…
…n'est pas un plagiat de laFarnsworth House de Mies van der Rohe (1945-1951), mais un hommage (les deux hommes étaient amis) :
D'accord. Sauf que parfois, quand même…La Rosen House de Craig Ellwood (1961-1963)…
… et la villa Casaclima de Michele Perlini (2012)…
… ressemblent furieusement à laFarnsworth House et là, il n'y a pas d'amitié et d'admiration qui tiennent, nous sommes dans la copie d'un original hyper-célèbre :
Tout comme le palais de Justice de Nantes bâti par Jean Nouvel en 2000…
… qui a de très grandes ressemblances avec la Neue Nationalgalerie de Berlin édifiée par Mies van der Rohe, encore lui, en 1968 :
Les exemples ne manquent pas. L'Opéra Bastille de Carlos Ott (1989)…
… est une pâle copie de certaines bâtisses signées Richard Meier. Ici, le High Museum of Art d'Atlanta (1983) :
Cela dit, il y aura toujours des architectes pour vous expliquer que vous n'y connaissez rien, n'avez rien compris, le plagiat en architecture ça n'existe pas, approchez votre oeil que j'y plante mon compas.
Sauf que parfois quand même… Une affaire remue en ce moment le petit monde de l'archi et ça se passe en Chine, pays expert dans l'art du shanzhai, celui de la contrefaçon : "un promoteur chinois est accusé de bâtir à Chongqing dans le sud-ouest de la Chine, des tours (le Meiquan 22nd Century) au design très similaire au Wangjing Soho à Pékin (Beijing). Satoshi Ohashi, responsable du projet au sein du cabinet de Zaha Hadid [l'architecte du Wangjing Soho pékinois], soupçonne « les pirates de Chongqing d'avoir obtenu des dossiers ou des dessins numériques » de la tour de 39 étages construite dans la capitale", peut-on lire dans Les Échos du 3 janvier dernier, dans un article signé Hélène Croize-Pourcelet.
L'affaire, qui fait grand bruit dans le landernau du parpaing et de la poutrelle, est commentée un peu partout sur le ouèbe. Ici d'abord, sur le site du Spiegel.de, mais aussi là,ou encore là, sans parler des reprises de l'article du Spiegel ou de celui des Échos.
Or donc, voici le projet copieur, le Meiquan 22nd Century de Chongqing…
…et trois vues du projet copié, le Wangjing Soho de Pékin par Zaha Hadid :
Petit problème supplémentaire pour Zaha Hadid : la construction de la copie risque fort d'être achevée avant celle de l'original et c'est ainsi qu'une course folle est engagée, c'est à qui finira le premier…
On voit par là qu'en Chine, l'art du shanzhai* ne s'applique plus seulement aux sacs à main, aux chaussures de tennis ou aux chaînes de magasins vendant du mauvais café :
Imitation de Starbucks Coffee à Shanghai
Photo © Alain Korkos
Vrai Starbucks Coffee quelque part
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*Le mot shanzhai, qui signifie littéralement village de montagne, désigne par extension les lieux où, loin du pouvoir central, règnent des chefs de guerre. Par extension de l'extension, les lieux où l'on fabrique des produits de contrefaçon. Et par extension de l'extension de l'extension, le noble art de la contrefaçon. Mais il existe d'autres explications possibles, pour plus d'informations sur ce mot, voir le site chine-informations.com.
Et c'est l'occasion rêvée de lire ma chronique intitulée Manifeste contre la non-tour de Babel.
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