LFI "parti des arabes" : aux sources du "scoop" de la fachosphère
Analyse

LFI "parti des arabes" : aux sources du "scoop" de la fachosphère

Un extrait vidéo tiré du média décolonial "Paroles d’Honneur", dans laquelle La France Insoumise est décrite comme "le parti des Arabes”, a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. Celui-ci a été repris et dévoyé par plusieurs médias d’extrême droite comme la preuve de son communautarisme et de son clientélisme à l’égard des populations racisées. La séquence s’inscrit, en réalité, dans un raisonnement qui traite de la dignité des classes populaires et plaide pour l’unité des "bourgs et des tours".

Des vidéos tronquées à l'origine de polémiques, il en circule tous les jours sur X. L'extrait d'une séquence bien plus longue dénature (souvent) le propos initial, lui fait dire (parfois) l'inverse de ce que le locuteur voulait dire. Était-ce l’intention de Jules Laurans, le rédacteur en chef du média d'extrême droite Frontières (ex-Livre Noir) lorsque ce dimanche 12 janvier il a partagé sur X un extrait où s'exprime la militante antiraciste Sabrina Waz ?

Dans la séquence de moins d'une minute, la militante relate une anecdote : "L'autre fois, un électeur du RN qui m'a dit « LFI c'est devenu le parti des arabes » et certainement qu’il s'attendait à ce que je lui donne une réponse de gauchiste et que je lui dise « non c’est pas vrai, LFI c'est le parti de la justice sociale » et non, je lui ai pas dit ça !" ironise-t-elle, "je lui ai dit « oui, t’as raison, LFI - dans l'état actuel des choses et t’as bien fait de rappeler que ça pouvait changer [à son collègue Wissam Xelka], c'est le parti des arabes »". 

Avant de poursuivre : "Comment ça pourrait être autrement alors que c'est le seul parti qui parle bien des arabes et le seul parti qui reconnaît que la lutte anti-raciste, et la lutte contre l'islamophobie, ce n'est pas un repli communautaire, mais c'est une lutte pour la dignité". Puis de conclure : "comment ça pourrait ne pas être le parti des arabes ? c'est le seul, et ça les chiffres l'attestent !".

Un débat sur la dignité des classes populaires

Sur scène à ses côtés : Raz, du duo de vidéastes Dany & Raz, fervents soutiens de LFI depuis les législatives et dont la boîte de production produit les streams de Wissam Xelka, également présent, ainsi qu'un représentant CGT des éboueurs et Antoine Léaument, député LFI de l'Essonne. Tous réunis pour un débat sur "la dignité des classes populaires" qui s'est tenu, à Pantin, dans le cadre de l'évènement "Bourg et Tours : chiche" (clin d'oeil sarcastique à une célèbre formule de François Ruffin) organisé à l'initiative du média militant et décolonial Paroles d'Honneur et d'une dizaine d'organisations politiques indépendantes parmi lesquelles le NPA, Urgence Palestine, Tsedek, AFA action antifasciste, ou encore le média militant Contre-Attaque

Si Paroles d'Honneur n'est pas "le PIR", le Parti des Indigènes de la République - contrairement à ce qu'affirme Frontières - ni une organisation politique à proprement parler, l'on peut considérer qu'il en est une émanation indirecte. Le média, qui propose "un regard neuf sur l'actualité en faisant entendre la voix des quartiers et de l'immigration post-coloniale", a été co-fondé par des anciens du PIR et actuels membres du QG décolonial, parmi lesquels sa figure de proue, la militante indigéniste Houria Bouteldja. Sabrina Waz précise à ASI ne pas en faire partie, mais que le lien entre le média Paroles d'Honneur (PDH) et le QG décolonial est assumé.

Aux côtés de Samir Bousnina ou encore de Wissam Xelka, elle anime les émissions de PDH qui traite de sujets d'actualité avec un prisme antiraciste et invite régulièrement des militants décoloniaux, antiracistes, des figures de la lutte contre les violences policières, des intellectuels proches de la ligne indigéniste ou des journalistes engagés. L'équipe de PDH édite également depuis peu la revue Nous, qui entend  "participer à la lutte décoloniale dans la sphère des idées et de la pensée".

Des médias d'extrême droite dans tous leurs états

Revenons à notre séquence. Le tweet de Jules Laurans atteint plus de 500 000 vues en quelques heures, et suscite des centaines de commentaires parmi lesquels celui de Naïma Moutchou, porte-parole et secrétaire nationale d'Horizons, le parti d'Édouard Philippe : "J'accuse LFI d'essentialiser une partie de nos concitoyens, de nier leurs réussites et leur individualité, pour mieux les enfermer dans un rôle de victimes permanentes", écrit-elle dans un tweet aux faux-airs zoliens. "LFI, qui mène toute l'alliance de la gauche, se définit désormais comme « le parti des arabes », riant même des vieux partis qui défendaient la justice sociale… Pari communautariste contre l'unité nationale"  s'emporte à son tour François-Xavier Bellamy, faisant, lui aussi, comme si Sabrina Waz s'exprimait au nom de LFI, alors qu'elle n'en fait pas partie.

Mais ce sont surtout les médias d'extrême droite qui se jettent sur la séquence virale. "« Oui, La France insoumise est le parti des Arabes ! » : l'analyse choc d'une journaliste «décoloniale» provoque des remous sur X", titre fièrement le JDD, suivi de près par Valeurs Actuelles, Front Populaire, le média de Michel Onfray, et Frontières qui y consacre également un article qui n'est plus accessible au moment où nous écrivons ces lignes. Contacté par ASI, son rédacteur en chef ne nous a pas répondu. Tous qualifient, au passage, Sabrina Waz de journaliste, ce qu'elle n'est pas. 

Pour eux, comme pour les adversaires politiques de LFI (et pas que), la séquence met à jour la stratégie communautariste du parti. "Ce qui est intéressant avec le PIR c'est qu'il a l'avantage d'être sans filtre, une sorte de traducteur de ce que pense LFI", lâche Jules Laurans (Frontièresdans une chronique matinale dès le lundi. 

La séquence "buzz" fait également réagir dans la fachosphère du côté du Youtubeur Kroc blanc qui lui consacre vingt minutes de stream et déroule sans aucune retenue ses obsessions habituelles : "La lutte anti-raciste c'est la lutte contre les blancs car l'antiracisme est un racisme assumé" égraine le militant d'extrême droite, jusqu'à affirmer : "La solution des plus extrémistes de ces gens, ce serait de proposer un génocide".

Biais de confirmation et lecture communautariste

Pour Frontières aussi, le discours de Sabrina Waz et son utilisation du terme "petits blancs" exprime un "mépris des blancs". Le journaliste fait fi des précautions pourtant prises par la militante en début de table-ronde : "Il n'y a pas de mépris sans cette appellation, ça veut dire que c'est pas des grands blancs, pas des bourgeois". Auprès d’ASI, Sabrina Waz précise davantage : "j'ai l'habitude que ce soit mal compris mais j'ai précisé que «les petits blancs» ça veut dire qu'ils n'ont pas de pouvoir", arguant qu'il s'agit d'un "mot de sociologie", et d'ajouter : "C'est assez courant que l'extrême droite nous renvoie à la guerre des races alors que pour nous ce sont des outils pour comprendre les mécanismes du racisme."

La lecture d'un discours "sans filtre" qui révélerait la vraie stratégie communautariste et clientéliste de LFI s'appuie avant tout sur...  l'interprétation des mimiques d'Antoine Léaument, décrit tour à tour comme "tout gêné" (Frontières) ou "en grand désarroi" (Front Populaire). Le député de l'Essonne - qui n'a pas répondu aux sollicitations d'Arrêt sur Images - réagit, en effet, aux propos de Sabrina Waz. Mais sa moue fait surtout suite à son tacle visant LFI ("dans l'état actuel des choses, et t'as bien fait de rappeler que ça pouvait changer") sous-entendant que le parti pouvait évoluer dans sa ligne antiraciste. Le reste du propos ne semble pas le mettre mal à l'aise. 

"L’arabe c’est devenu une figure de l’ennemi de l’intérieur"

L'analyse de cette séquence proposée par les médias d'extrême droite est fallacieuse à plusieurs égards. Tout d'abord, parce qu'elle constitue une lecture ségrégationniste du discours de Sabrina Waz. La militante antiraciste ne dit pas que LFI s'adresse uniquement aux personnes arabes, ni que LFI leur adresse un "discours spécifique" contrairement à ce qu'écrit Frontières, mais bien que le parti s'adresse à eux et parle d'eux, sans impliquer aucune exclusivité.

"Je pense qu'il y a une part d'incompréhension mais aussi que c'est de la mauvaise foi pour donner l'impression que les antiracistes valident leur thèse du grand remplacement", estime Sabrina Waz auprès d'ASI, avant de préciser son propos : "Quand je dis ça, je reprends l'une des phrases préférées des électeurs du RN, en retournant le stigmate, non pas pour partager leur constat mais pour dire que LFI est le seul parti politique que les Arabes peuvent investir politiquement". Pour tenter de dégonfler la polémique, elle reformule : "Ce n'est pas tant LFI qui est le parti des arabes mais tous les autres qui ne peuvent pas l’être, soit car ils portent un antiracisme de façade, soit car ils sont racistes".

"Si j'avais dit «LFI c'est le parti des quartiers populaires», ça n'aurait pas suscité toutes ces réactions" poursuit-elle avant de pointer que si "quartier populaire ne fait pas référence à la race sociale", au final, le sens est le même. Pour elle, l'emballement vient de son utilisation du mot "Arabe" qui "peut faire peur à une partie de la population", argumentant que "l'Arabe est devenu une figure de l'ennemi intérieur". La jeune femme tient d'ailleurs à préciser à ASI que sa déclaration n'était "pas de la provocation" : "C'est un hommage de dire que le parti que je soutiens est le parti des opprimés" et pointe que "même à gauche, la question raciale n’est pas simple à assumer de façon conséquente et non complexée".

La circulation de la vidéo dans la fachosphère a provoqué une vague de cyberharcèlement contre la militante indigéniste, l’obligeant à passer temporairement son compte X "en privé", le temps que la tempête se calme, ce qu'elle ne "fait jamais d'habitude". Elle assure cependant avoir également reçu de nombreux messages positifs : "Des soutiens de gens qui m’ont dit être fiers d'appartenir au parti des Arabes, ils ont compris que se ranger derrière les Arabes c’est un acte de gauche".

Une séquence décontextualisée

L'interprétation de cette séquence vidéo comme preuve de la "stratégie communautariste de LFI" est d'autant plus discutable que le discours introductif de 15 minutes vise à "construire l’unité du peuple" pour laquelle "la dignité des classes populaires est centrale". Juste avant l'extrait viral, la militante décoloniale évoque le mouvement des gilets jaunes qui "ont eu l’immense dignité de ne pas s'en prendre à plus petit qu’eux mais à ceux qui sont au-dessus". Pour elle, "le racisme ça sert à se sentir supérieur et à être supérieur par la domination". Vient ensuite l’exemple de la séquence tronquée.

Ce qu'elle dit après permet de comprendre encore mieux le sens réel de son propos : "Le problème c'est qu'il [l'électeur RN qu'elle prend en exemple] se dit si c'est le parti de Wissam, ça ne peut pas être mon parti à moi, c'est ma dignité ou bien la tienne ou alors ma dignité contre la tienne, c'est un ressentiment qui les amène jusqu'à collaborer avec la bourgeoisie du RN alors qu'elle les écrase, les méprise, les exploite".

Après l'introduction de Sabrina Waz, Wissam Xelka lâchait, à propos du fondateur du site internet identitaire du même nom : "J'en profite pour saluer FDesouche qui est déjà en train de couper le passage sur « LFI, le parti des arabes »". Il ne pensait peut-être pas si bien dire. 

Partager cet article Commenter

 

Cet article est libre d’accès
En vous abonnant, vous contribuez
à une information sur les médias
indépendante et sans pub.

Déjà abonné.e ?

Voir aussi

Ne pas manquer

DÉCOUVRIR NOS FORMULES D'ABONNEMENT SANS ENGAGEMENT

(Conditions générales d'utilisation et de vente)
Pourquoi s'abonner ?
  • Accès illimité à tous nos articles, chroniques et émissions
  • Téléchargement des émissions en MP3 ou MP4
  • Partage d'un contenu à ses proches gratuitement chaque semaine
  • Vote pour choisir les contenus en accès gratuit chaque jeudi
  • Sans engagement
Devenir
Asinaute

5 € / mois
ou 50 € / an

Je m'abonne
Asinaute
Généreux

10 € / mois
ou 100 € / an

Je m'abonne
Asinaute
en galère

2 € / mois
ou 22 € / an

Je m'abonne
Abonnement
« cadeau »


50 € / an

J'offre ASI

Professionnels et collectivités, retrouvez vos offres dédiées ici

Abonnez-vous

En vous abonnant, vous contribuez à une information sur les médias indépendante et sans pub.