Sur YouTube, "Le catho de service" passe (mal) des tutos à l'histoire
Analyse

Sur YouTube, "Le catho de service" passe (mal) des tutos à l'histoire

Voulant casser les clichés sur l'Inquisition et les croisades, il repeint l'Église en rose

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Comment un vidéaste catholique focalisé sur la théologie et l'évangélisation peut-il se mettre à parler d'histoire sur sa chaîne, à propos de sujets aussi sensibles que l'Inquisition et les croisades ? Avec difficulté semble-t-il, en particulier lorsque l'objectif des vidéos semble être de retourner l'opinion de son audience. Comme un témoin des évolutions du catholicisme en France ?

Frémissement dans la cathosphère : Victor Dubois de Montreynaud, alias Le catho de service du nom de sa chaîne YouTube aux 36 000 abonné·es, n'avait pas proposé de contenus historiques jusqu'à cet été. Depuis un mois, il a mis en ligne pas moins de trois vidéos se proposant de "casser les clichés" à propos de l'Inquisition, de la Reconquista et des croisades. Rien que ça... Ces vidéos se sont rapidement hissées parmi les plus vues de sa chaîne, lui attirant aussi un intérêt hors de son audience habituelle. En l'occurrence celui du tenancier du compte X "Actuel Moyen Âge" Florian Besson – bien connu des asinautes –, qui s'est penché avec son œil d'historien spécialiste des croisades sur deux des trois vidéos. Puis celui d'un autre vidéaste catholique, le Belge Thomas Remy de la chaîne Foi et raison. Ils nous ont expliqué pourquoi cet intérêt pour une chaîne au nombre finalement modéré d'abonné·es, mais néanmoins influente chez les jeunes catholiques.

"La vérité sur l'Inquisition" ? Pas vraiment

"On va voir d'où vient le récit d'une Église médiévale, sanguinaire et arbitraire. On parlera aussi des peines de mort, de la torture, des inquisiteurs, du rôle de l'Église, et de la vie de la société à cette époque, pour démêler le vrai du faux. On va étudier tout ça point par point, à base de définitions, d'explications du contexte, d'archives de l'époque, et d'études historiques sourcées." Ce 7 juillet, Le catho de service annonce à ses abonné·es qu'il va faire "la vérité sur l'Inquisition en Europe au Moyen-Âge et durant la Renaissance", et surtout "pourquoi en fait, c'était bien", dixit sa description de la vidéo. Qu'il conclut ainsi, après avoir balayé quelques siècles d'histoires en un quart d'heure : "Le bilan de l'Inquisition, contrairement à ce qu'on invente à ce sujet, est relativement très faible, surtout pour l'époque. D'autant plus que contrairement aux tribunaux révolutionnaires, l'Inquisition pardonnait à celui qui abjurait son hérésie." Quant à la part de responsabilité de l'Église, elle serait "bien petite face à l'immense mythe inventé sur elle au moment des Lumières". En guise de sources historiques, le vidéaste renvoie à quelques articles de presse, par exemple du Figaro qui déconstruisait "quelques idées reçues" en 2018. Ou à des livres du journaliste et auteur d'ouvrages historiques Jean Sévilia, pourfendeur de l'histoire "politiquement correcte" depuis toujours, notamment dans le Figaro Magazine. Ou à des ouvrages de papes de l'époque. 

"Aucune étude historique sérieuse, aucun livre d'un médiéviste spécialiste de la question", fait observer le 31 juillet Florian Besson. Médiéviste, spécialiste des croisades et des États latins d'Orient, il est surtout connu pour animer le blog Actuel Moyen Âge et ses comptes sur les réseaux sociaux, sur lesquels il décrypte de temps à autre le traitement de l'histoire dans les médias. Sur son compte X, il se penche donc sur la vidéo de Victor Dubois de Montreynaud. Si ce dernier rappelle "à raison que souvent on entend beaucoup de clichés sur l'Inquisition, qui n'était pas une machine à tuer et à torturer à tour de bras", sa vidéo, prise dans son ensemble, n'est pas une vidéo d'histoire mais une "propagande catholique, qui multiplie les erreurs et les contre-vérités". Par exemple en affirmant que le terme "hérésie" est neutre, alors même que "très vite, les hérétiques sont confondus (volontairement) avec des criminels, des satanistes, des sorciers". Ou en assurant que l'Inquisition se déroulait sous une large approbation, alors même qu'il existe "énormément de sources mentionnant des critiques, des contestations, des oppositions, y compris émanant du clergé catholique". Ou encore en citant le moine Bernard de Clairvaux, "qui meurt en 1153, soit 80 ans avant la création du tribunal de l'Inquisition". Bien que quelques vérités surnagent, par exemple à propos de l'invention de la procédure inquisitoire, réelle nouveauté juridique encore en œuvre aujourd'hui, l'ensemble reste pour Besson éloigné de toute notion d'histoire en tant que science.

"Plusieurs éléments de langage viennent directement de la droite extrême"

Au même moment, le vidéaste catholique met en ligne sa troisième vidéo historique. "Aujourd'hui, il est politiquement correct d'avoir honte des croisades, on retient une forme de colonialisme de l'Église, partie imposer la foi par les armes, ou alors attaquer les musulmans gratuitement et cruellement, pour au final, pas grand-chose, lance Victor Dubois de Montreynaud à son audience le 29 juillet. Et si je vous disais que non seulement dire ça est faux, mais que ça contribue à alimenter les conflits d'aujourd'hui entre l'Occident et l'extrémisme islamiste ?" Bis repetita placent, puisque le youtubeur veut montrer cette fois-ci que les croisades ne furent qu'une réaction mesurée face aux oppressions insupportables d'un islam conquérant, certes ponctuée de quelques abus qu'on ne pourrait cependant imputer à l'Église. "Lorsqu'on parle des batailles entre chrétiens et musulmans, on peut dire, en reprenant les mots de l'historien Jean Sévilia, que «Les croisades, aujourd'hui, ont mauvaise presse : au nom du multiculturalisme dominant, elle sont qualifiées d'agression des chrétiens  d'Occident envers l'islam.» Mais en fait, résumer les croisades à ça, et là c'est moi qui le reformule, ça revient simplement à déformer , sinon à nier l'histoire", résume Le catho de service en encourageant son audience à vérifier ce qui s'en raconte, y compris dans "les écoles" "parfois, la désinformation continue", assure-t-il. "Sans ça, on voit les dégâts qui sont faits par un mythe qui se transmet, non seulement en France et en Europe, mais aussi au Moyen-Orient."

À désinformation, désinformation et demi semble-t-il donc. Ce que ne laisse pas passer le spécialiste des croisades qu'est Florian Besson. En vrac et entre autres erreurs, il relève que les croisades sont "un des champs les plus dynamiques de toute la médiévistique contemporaine" là où le vidéaste affirmait que la recherche à ce propos n'est pas encouragée. Que peu avant l'an 1 000, non, "30 000 églises" ne sont pas "vidées ou pillées sinon rasées jusqu'aux fondations" par les musulmans, "un chiffre absurde qui ne repose sur aucune source (et est démenti par les sources archéologiques)". Qu'il n'y a aucun rapport entre les "persécutions ordonnées par le calife al-Hakim, en effet très dures envers les chrétiens", et le lancement de la première croisade puisque 90 ans séparent les deux événements. Ou encore que cette première croisade aurait été "purement défensive" – un "leitmotiv de la droite réactionnaire", observe Besson –, compte tenu du fait qu'en 1095, "la grande vague de conquêtes seljukides est finie". La conclusion de l'historien, qui pointe de nouveau un mélange de sources hétéroclites, s'avère proche de la précédente vidéo : "Un vernis très lisse qui cache un tissu d'erreurs" dont "certaines viennent d'une profonde ignorance de la période" tandis que "d'autres sont de vraies manipulations", et que "plusieurs éléments de langage viennent directement de la droite extrême"

La presse chrétienne se penche sur le "youtubeur apologète"

Qui est Le catho de service ? Depuis quelques années, Victor Dubois de Montreynaud met en ligne sur sa chaîne des vidéos dédiées au catholicisme. Pour cet "influenceur chrétien" élevé dans une famille pratiquante, la foi est "nécessaire" et "belle". Il est apprécié de la "cathosphère" notamment pour ses "tutos-religion", par exemple à propos du fonctionnement d'une messe, de la manière de se confesser, ou pour expliquer "de A à Z" la Trinité catholique. À l'automne 2020, il s'était fait remarquer sur YouTube pour son plaidoyer passionné en faveur du retour des messes à l'Église lors du deuxième confinement. De quoi donner envie de "savoir qui se cache derrière ce jeune plein de feu" à l'hebdomadaire Famille Chrétienne. Le média tire un portrait – doublé d'une vidéo dans laquelle il refuse de se positionner au sein du monde catholique – du jeune vidéaste ayant créé sa chaîne par "zèle apostolique" pour "atteindre un public plus large, et notamment les jeunes incroyants, grâce à des vidéos très attractives". En 2023, alors que sa chaîne YouTube (désormais doublée de comptes TikTok et Instagram) a atteint les 10 000 abonné·es, la Croix publie aussi son propre portrait ensuite augmenté d'une vidéo. "Ces vidéos sont une manière d’entrer en contact avec les gens, indique le vidéaste au quotidien catholique. Je veux répondre à leur questionnement. Ensuite nous pouvons nouer un lien et je peux les rediriger vers une église, un prêtre ou un groupe de prière, en respectant leur cheminement." 

Un an après, le "youtubeur apologète" de 24 ans compte 33 000 abonné·es, pointe l'hebdomadaire chrétien le Pèlerin. Apologète ? "C'est le mot clé pour comprendre cette approche pourtant ancienne, revendiquant une approche raisonnable et désirable de la foi, autour d'un argumentaire philosophique et religieux imparable ou presque", décrit le média à propos de "cet exercice théologique". Tout en rappelant que "souvent issues des milieux catholiques conservateurs, diverses initiatives assument cette approche d'une foi catholique revendiquée". Avec des personnalités telles qu'Olivier Bonnassies, poursuit le Pèlerin. Olivier Bonnassies (sur lequel nous avions enquêté en février dernier) qui a en effet été interviewé par Le catho de service, et qui a surtout coécrit avec Pierre-Yves Bolloré (frère de Vincent) le "best-seller catholique" Dieu, la science, les preuves publié en 2021. Le portrait du Pèlerin se conclut par l'analyse que "rapidement, malgré bien des lissages consensuels, le discours" apologétique de Victor Dubois de Montreynaud "contient une forme d'intransigeance"

"Il remplace des clichés par d'autres clichés"

Le récent virage éditorial de sa chaîne vers les vidéos historiques poursuit ce travail apologétique. "Son objectif, je pense, est de dédouaner l'Église, pensée comme une organisation éternelle pluriséculaire en continuité avec l'Église moderne, d'un certain nombre de faits pensés comme des crimes", suggère Florian Besson auprès d'Arrêt sur images. "Il remplace des clichés par d'autres clichés : ce n'est pas en remplaçant une légende noire par une légende dorée qu'on fait avancer le savoir et les connaissances", analyse l'historien. Pourquoi avoir choisi de se pencher sur ses contenus ? Simplement parce qu'il a été sollicité par les membres d'une association catholique, lui ayant indiqué que la vidéo circulait dans la cathosphère, et que son auteur y pèserait de plus en plus lourd. En effet, Victor Dubois de Montreynaud est désormais l'un des cinq influenceurs catholiques à porter sa bonne parole aux 1,2 millions d'abonné·es de l'ex-compte TikTok du père Matthieu Jasseron. Un compte racheté au printemps 2024 par l'association Marie de Nazareth, fondée par... Olivier Bonnassies. 

"Plus que d'autres, les milieux identitaires catholiques ont compris les vertus de la communication et les atouts de la visibilité, détaillait de l'opération l'hebdomadaire Témoignage chrétien. De la sorte, ils «cannibalisent» chaque jour davantage le catholicisme français." Que penser du travail de vidéaste de Victor Dubois de Montreynaud avec ces trois tentatives d'explainers historiques ? "Il confond des sources primaires, produites à l'époque par des inquisiteurs eux-mêmes, et de la bibliographie avec des livres contemporains d'historiens et d'historiennes, et présente ça sans hiérarchie, sans relecture par des spécialistes", expose notamment Florian Besson, qui participe aux vidéos de la chaîne historique Nota Bene en tant qu'intervenant, relecteur ou auteur de scripts dans son domaine de spécialité. Si "à la base, Victor n'a pas tort de casser les clichés sur la méchante Église médiévale", ici, "sa volonté apologétique est tellement forte que ça devient autre chose"

De quelle cathosphère Victor est-il le nom ?

Un "autre chose" qui a provoqué la curiosité d'un autre vidéaste chrétien, en l'occurrence Thomas Rémy de la chaîne belge Foi et raison. Qui a décidé d'interviewer Florian Besson : "Je me suis dit que ça pourrait être l'occasion de corriger quelques informations à partir d'une vidéo apologétique, mais avec une apologie qui va un peu trop loin, ou ne dit pas les choses de manière tout à fait exacte", explique-t-il à ASI. "Et d'utiliser cette occasion-là pour avoir un espace de dialogue avec quelqu'un qui n'est pas du monde catholique, pour montrer que les catholiques sont aussi ouverts à autre chose : si l'Église a des torts, il faut les dénoncer, si la foi chrétienne a ses failles, il faut aussi les montrer pour être dans une démarche de vérité", oppose le vidéaste lui-même plutôt critique envers Dieu, la science, les preuves. Victor Dubois de Montreynaud a répondu sous sa vidéo : sans admettre d'erreur, mettant plutôt en avant sa volonté de vulgariser, il regrette de ne pas avoir été contacté en amont – Thomas Rémy n'y a pas pensé, a-t-il indiqué à ASI en assurant qu'il essayait de proposer une seconde vidéo avec un espace de parole commun entre Florian Besson et Le catho de service.

Vu d'une Belgique où le catholicisme ne se mêle pas de politique, et prône parfois le dialogue et le compromis jusqu'à "l'irénisme", Thomas Rémy perçoit en France "une polarisation" des catholiques à gauche ou à droite du spectre politique. Et une évolution vers la droite qui commence aussi à toucher la Belgique : "Il y a une volonté des jeunes de s'éloigner de l'esprit très libéral de leurs aînés, pour être plus fier de sa foi, en faire un marqueur identitaire, alors qu'on était dans les générations précédentes plutôt dans le dialogue interreligieux et la doctrine sociale de l'Église, analyse-t-il. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose mais il y a parfois une identification à l'extrême droite, un communautarisme qui se crée à l'encontre d'un Occident qui serait de plus en plus nihiliste et d'un islam qui serait de plus en plus conquérant."

Comment s'inscrivent ces vidéos historiques sur l'Inquisition ou les croisades dans ce paysage (extrême) droitisé de la communauté catholique et de ses médias ? "C'est un des comptes les plus raisonnables, il est plus équilibré que d'autres cathos présents sur internet", nuance Thomas Rémy. Lui classerait plutôt Le catho de service dans la "cathosphère qui essaie de ne pas trop se mêler à la politique". Aux côtés d'autres vidéastes mainstream comme Sœur Albertine, la " bonne sœur des réseaux sociaux" aux 230 000 abonné·es sur Instagram – interviewable sur France Inter –, dans un contexte plus global où l'Église continue de méconnaître "ce qu'il se passe sur internet". Il se garde bien en tout  cas de lier les contenus de Victor Dubois de Montreynaud à l'extrême droite identitaire. Tout comme Florian Besson qui estime qu'il existe un écart assez net "de degré sinon de nature" entre les audiences du Catho de service et celles des influenceurs identitaires tels que Julien Rochedy ou Thaïs d'Escufon. Mais peut-être le youtubeur catholique regarde-t-il leurs vidéos, se demande-t-il, ce qui expliquerait sa porosité à certains de leurs éléments de langage à propos de l'histoire. Comme une passerelle médiatique supplémentaire entre la cathosphère et l'extrême droite, sur laquelle plane une fois de plus l'ombre d'un Bolloré.

Sollicité par ASI, Victor Dubois de Montreynaud n'a pas répondu.


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