Parmi les grands moments médiatiques de l'année 2024 : l'énorme succès de la série documentaire Arte "DJ Mehdi : Made in France", avec 7,4 millions de vues cumulées. Dedans, le réalisateur - ami d'enfance de DJ Mehdi - raconte le parcours de ce personnage méconnu et pourtant fondamental de l'histoire de la musique en France. Les six épisodes retracent en particulier son rôle dans la naissance et la popularisation du rap dans les années 1990-2000. En 2024, le rap est devenu le genre musical de référence, totalement mainstream, que ce soit dans l'industrie, ou la pop culture. Mais l'est-il devenu pour autant dans l'espace médiatique ? Les médias dominants traitent-t-ils le rap à la hauteur de ce qu'il est sur le plan culturel et sociétal ?
Regarder les archives des débuts du rap, dans lesquelles les rappeurs étaient violemment qualifiés, donne l'impression que oui, les choses ont bougé. Pourtant, les caricatures subsistent. C'est ce que décryptent autour de notre plateau la journaliste Anissa Rami, spécialiste du rap, autrice de podcast et d'enquêtes notamment pour the Guardian, Mediapart ou le média rap Booska-p ; l'artiste ¥END, rappeuse et membre du tremplin "Rappeuses en liberté", porté par Canal+, qui a lancé son propre média rap à Strasbourg ; et lacréatrice de contenu Geneviève Rapjeu, 60 ans et 64 000 followers sur Instragam, qui partage ses découvertes et son amour du rap avec sa communauté.
L'image du rap a-t-elle évolué depuis les années 1990-2000 ?
Il y a trente ans, à la télé, les rappeurs étaient ouvertement qualifiés "d'ennemis de la république" qui "paradent en tenue de combat" ou de "zoulous", comme si ce terme était péjoratif, alors qu'il ne l'est pas pour les jeunes qui l'emploient. Une époque que Geneviève Rapjeu a connue et qui a joué dans son regard initial sur le rap. Aujourd'hui créatrice de contenu spécialisée sur le rap, elle dit être "passée à côté" de cette culture pendant des décennies en partie en raison de cette image négative.
Comprendre la culture, au-delà de la représentation
Lorsqu'ils reçoivent des rappeurs en plateau (beaucoup plus rarement des rappeuses), les animateurs et animatrices du PAF semblent avoir la moquerie facile. Pour interroger les artistes, ils reprennent volontiers le vocabulaire du rap - "thunes", "meuf", "teuch", "MC", "caillasse"... - dans une forme de singerie qu'ils assimilent à de la tendresse, parfois teintée de racisme. Ces facéties ne reflètent pas un intérêt pour la culture du rap, mais au contraire, une tendance à n'en rester qu'aux clichés, aux représentations faciles (le "gangster", la rappeuse allumeuse...), s'accordent ¥END et Anissa Rami.
Vers un journalisme de complaisance?
Les médias dominants accordent aujourd'hui de la place à un nouveau format pour parler de rap : de longues vidéo face à face, sur un ton bienveillant voire amical. (Format que l'on retrouve également dans des médias spécialisés, comme la chaîne youtube CKO, parmi d'autres). Les exemples les plus parlants parmi les médias mainstream sont Moonwalk ou Feat., sur FranceTV Slash, et surtout, Clique, sur Canal+. Le présentateur, Mouloud Achour, n'hésite pas à "checker" les artistes qu'il reçoit, comme Laylow, ou à se dire "fier" de Jul. Un ton particulièrement chaleureux, qui interroge les limites du journalisme, mais qui se justifie, selon Geneviève Rapjeu et Anissa Rami. Il est cohérent avec la démarche d'égotrip des artistes et leur permet de s'exprimer selon leurs codes, argumente Geneviève Rapjeu. Pour Anissa Rami, le genre se rapproche du journalisme de l'intime, qui permet d'analyser la démarche artistique derrière l'oeuvre.
Pour aller plus loin :
- France TV Slash, L'histoire du RAP FRANÇAIS, en six parties, octobre 2024
- Arte, DJ Mehdi : MADE IN FRANCE, en six parties, septembre 2024
- Benjamine Weill, A qui profite le sale ? Sexisme, racisme et capitalisme dans le rap français, éditions Payot, 2023
- Le média spécialisé Booska-P.
Vous ne pouvez pas (encore) lire cette vidéo...
Cet article est réservé aux abonné.e.s
Rejoignez-les pour une information sur
les médias indépendante et sans pub.
Déjà abonné.e ? Connectez-vousConnectez-vous