Dans les médias, pic de froid surmédiatisé et réchauffement négligé
"Le fait d'exagérer la présence médiatique du froid permet d'accréditer les thèses des climatosceptiques"
Au 13 heures de TF1, l'hiver est une affaire sérieuse. Le thermomètre et ses saillies vers le bas, observées début janvier dans une partie de l'Hexagone, ont donné lieu à une myriade de sujets. Sur les "carambolages en série" causés par le verglas (11 janvier), "les premiers assauts du froid" (12 janvier), la souffrance des animaux face au froid (12 janvier), la situation face aux températures en Haute-Loire (13 janvier), les "astuces" pour affronter le froid (14 janvier), le verglas (16 janvier) ou encore, la campagne "figée par le froid" (17 janvier). Nous avons vécu "la matinée la plus froide de ces sept dernières années", souligne Marie-Sophie Lacarrau, le 14 janvier. La chaîne n'est pas la seule, ni l'unique média, à avoir largement traité ce pic de froid. Et pour cause.
Cette semaine-là, 34 départements ont déclenché le plan grand froid. Les températures ont fait l'objet plusieurs sujets au 13 heures de France 2 (les 13, 14 et 15 janvier), sur RTL, Ouest France, 20 minutes, le Dauphiné, BFMTV, le Figaro, Midi Libre, Europe 1, ou encore France Bleu, parmi d'autres. Mais lorsque le tableau est inversé, ce n'est pas la même limonade. Alors que les températures observées sur une partie du territoire ont été anormalement élevées, fin janvier, aucun sujet n'y a été consacré aux JT, d'après notre recension. Seules les intempéries - les crues, et les tempêtes Eowyn ou Hermina - ont été largement traitées. Des évènements indépendants du pic de douceur observé.
Le constat a indigné l'ingénieur et docteur en agroclimatologie Serge Zaka. "On nous a rabâché la vague de froid de la décennie alors qu'aucun record n'a été battu. Maintenant qu'on bat des records de chaleur, il n'y a plus personne", a-t-il lâché sur BlueSky, carte et chiffres à l'appui. En ce 25 janvier, il a fait "24°C à Orthez, 20.8°C à Grenoble (prov.), 19.6°C à Chatte (prov.), 19.1°C à Ste-Marie-de-Cuines (prov.)", rapporte-t-il. Auprès d'Arrêt sur images, il soutient que "30 records" de chaleur ont été battus dans la journée. Les données proviennent des 2000 stations d'enregistrement du site Info Climat, dont il est vice-président. Pourquoi TF1 n'en a pas parlé ? La chaîne n'a pas répondu à notre demande d'interview ni à nos questions, transmises par mail.
Pas de vague de froid, mais une "vague de chaleur d'hiver"
Le froid a bel-et-bien été un sujet d'actualité. "En moyenne, sur la France, entre le 12 et le 19 janvier, les températures ont été entre 3 et 5 degrés en dessous des normales, pendant 8 jours", résume à Arrêt sur images Christine Berne, climatologue à Météo France. Les conséquences sont parfois désastreuses : le froid peut coûter la vie à des personnes sans-abris. Plusieurs titres l'ont souligné, comme la Marseillaise. Davide Faranda, directeur de recherche en Climatologie au CNRS, interrogé par Arrêt sur images, comprend donc que les médias en parlent. En revanche, note le scientifique, "ce qui est important, c'est aussi de remarquer que les périodes chaudes sont de plus en plus fréquentes en hiver et que l'on peut le relier au réchauffement climatique".
En l'occurrence, déclare-t-il, "si l'on regarde les données de Météo France, on peut voir que les températures, à partir de la fin de cette période de froid, peuvent être qualifiées d'«extrêmement chaudes» pour la saison de l'hiver." Il précise : "On est à deux écarts-types plus chaud que la normale." Pile le seuil à partir duquel on peut effectivement qualifier un phénomène d'"extrême", justifie-t-il. Christine Berne complète : "On a mesuré, entre le 24 et le 27 janvier, des températures, dans l'après midi, régulièrement 5 à 6 degrés au dessus de la normale". Et ce sur tout le territoire français, à l'exception du Nord-Ouest. Une carte de l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique en donne un aperçu : les trois quart de l'Hexagone sont dans le rouge. Selon Davide Faranda, "on pourrait utiliser le terme «vague de chaleur d'hiver»". Christine Berne (Météo France) se veut moins alarmiste, mais confirme l'anormalité de la situation.
Tous deux le martèlent cependant : le terme "vague de froid" est erroné pour parler des températures de début janvier. "Pour être qualifié de vague de froid, un épisode doit remplir certains critères", fait encore savoir Météo France dans un mail à Arrêt sur images. Ceux-ci n'étaient alors pas remplis. L'institution l'a rappelé dans plusieurs publications, début janvier. Futura Sciences fait partie des très rares rédactions à l'avoir explicité. "Aucun record significatif, ni même de vague de froid", a rappelé le média à la mi-janvier.
De nombreux autres médias ont, de leur côté, repris le terme à tort. C'est le cas de France 2, TF1, mais aussi RTL, Ouest-France, 20 minutes, France Bleu, le Dauphiné, ou, entre autres, BFMTV (qui donne tout de même la parole à un météorologue pour préciser que le phénomène "n'a rien d'exceptionnel"). Il avait déjà eu lieu l'année dernière à la même période. "Que les médias fassent une erreur, souffle Serge Zaka, cela arrive. Mais quand Météo France fait un communiqué en disant que l'épisode relève du banal, qu'il ne s'agit pas d'une vague de froid et que les médias continuent à l'affirmer, là, c'est un problème". Christine Berne, de Météo France, pose le bon terme. "C'est ce que l'on appelle un «épisode de froid»." Et la scientifique de rappeler : "Les températures au dessus de la normale sont deux fois plus fréquentes que les températures inférieures à la normale." Selon Serge Zaka, il ne s'agit pas d'une simple erreur de vocabulaire, sans conséquence. "Le fait d'exagérer la présence médiatique du froid permet d'accréditer les thèses des climatosceptiques."
"On oublie notre climat passé"
Quid des jours trop chauds ? Une partie des médias a bien traité l'épisode de douceur de fin janvier, comme Actu.fr ou la Provence. "«Il fait trop chaud, on veut du -10°C!» : les arboriculteurs inquiets face à la hausse des températures", a-t-on par exemple pu lire dans le Dauphiné. Libération et le Dauphiné ont aussi noté le record de 27 degrés enregistré dans la ville espagnole de Valence, le 27 janvier. Le même jour, d'autres rédactions ont mis en avant une étude, parue dans la revue Nature Medicine, dont la conclusion alerte sur le réchauffement climatique et les fausses impressions données par les vagues de froid : "la baisse des morts de froid ne compenserait pas celles liées à la chaleur". C'est le cas de Ouest-France. Mais ailleurs : pas grand chose, voire rien, sur les températures élevées.
Davide Faranda, du CNRS, y voit une explication. "Notre perception des températures a changé avec le réchauffement climatique. On est plus sensibles au froid." Autrement dit, "on oublie notre climat passé", complète Serge Zaka. Cela se traduit dans certains sujets, qui se réjouissent du beau-temps. "Les épisodes de douceur hivernale paraissent agréables. Quand il fait plus de 20 degrés dans certaines vallées alpines, on peut boire des bières en terrasse au ski. C'est sympa. Mais c'est une vision humano-centrée."
"La douceur n'est pas inquiétante pour les êtres humains, mais elle l'est pour la végétation", David Faranda, climatologue au CNRS
La douceur "n'est pas inquiétante pour les êtres humains, mais elle l'est pour la végétation, explique encore Davide Faranda, car le développement des plantes va être interrompu". Leur vernalisation, par exemple, c'est-à-dire leur capacité à fleurir, directement corrélée au froid. D'après une étude de l'institut de recherche Climate Central parue en 2024 et reprise dans Reporterre, la France a perdu 10 jours de gel en une décennie, ce qui, alerte le journal, peut "fortement affecter les végétaux, le cycle de l'eau et augmenter le nombre de nuisibles". À de rares exceptions près, ni à la télé, ni dans la presse écrite, il n'est rappelé que la nature a besoin du froid. Seul un sujet de TF1, au 13 heures du 17 janvier, en fait le coeur de son propos.
La chaleur a aussi des conséquences sur l'économie, fait remarquer Serge Zaka. Il prend l'exemple de l'année 2021, marquée par un "faux printemps" en plein hiver. "Tous les végétaux se sont réveillés. Puis en avril, on a eu une forte descente d'air froid, qui a brûlé les végétaux. Cela représentait 2 milliards d'euros de perdus." Selon les régions, les dégâts agricoles se sont mesurés "autour de 30% à 40% et pouvant aller jusqu'à 100% pour certaines exploitations", d'après le ministère de l'agriculture. Cette année encore, regrette Serge Zaka, les médias ont péché et n'ont "pas assez parlé de la douceur d'hiver pour que les gens comprennent le risque".
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