LVMH fait censurer une vidéo Instagram de BFM Business
La maison de luxe a demandé la suppression d'une vidéo sur les difficultés de sa compagnie Tiffany & Co. ASI l'a retrouvée sur Facebook
La bijouterie de luxe Tiffany & Co est en grande difficulté financière, et son propriétaire, le groupe LVMH, détenu par l'homme le plus riche de France (et vieil ami de Donald Trump) Bernard Arnault, préfèrerait que ça ne se sache pas trop.
"Supprimée d'Instagram sur demande de la direction"
Un communiqué des Sociétés des Journalistes de BFM Business, BFM TV, RMC et La Tribune
, publié le 27 janvier, dénonce en effet "la décision de la direction de CMA Media de supprimer une vidéo Instagram concernant les difficultés rencontrées par Tiffany, maison du groupe LVMH"
et exprime le "vif désaccord"
des SDJ des médias du groupe vis-à-vis de ce choix.
Comme l'explique le texte, cette vidéo, fruit d'une enquête de deux journalistes de BFM Business, avait atteint les 100 000 vues sur Instagram. Mais cette vidéo, et la story qui allait avec, ont été supprimés d'Instagram "sur demande de la direction", et "dans la foulée d'appels de LVMH et sans en informer ni les journalistes concernés, ni la rédaction de BFM Business", regrettent les SDJ en alertant sur un "interventionnisme"
qui "n'
est pas tolérable et contraire aux principes fondamentaux d'un journalisme indépendant"
.
Le communiqué rappelle enfin que "d'autres alertes"
se sont déjà produites ces derniers mois et que les SDJ "resteront particulièrement vigilantes à l'avenir sur les interventions de leur actionnaire, CMA CGM, dans le contenu éditorial"
. Le communiqué conclut en soulignant l'importance "plus que jamais nécessaire"
, d'une "charte ambitieuse pour BFM TV, BFM Business et RMC"
sur "l'indépendance du groupe vis-à-vis de tous les pouvoirs"
, en cours de négociation dans le groupe.
L'information de la suppression de la vidéo sur Instagram avait été révélée dès le 24 janvier par La Lettre
: "Une enquête sur les piètres résultats de Tiffany mettant en cause Alexandre Arnault a déclenché un discret appel de son père au patron du groupe RMC BFM, Rodolphe Saadé. L'article a été mis en sourdine sur le site et sa version Instagram a été supprimée."
L'article web et la vidéo Facebook toujours en ligne
Si la vidéo Instagram a donc été supprimée sur demande express de LVMH, "l'article du site internet n'a en revanche pas été touché"
, précise le communiqué des SDJ. Il est en effet toujours accessible sur le site de BFM Business.
On peut notamment y lire que ce sont les "erreurs marketing" dues au directeur exécutif produits et communication de Tiffany, un certain Alexandre Arnault, fils de Bernard, qui auraient impacté les finances de Tiffany & Co. Depuis, ce nepo baby
a été "exfiltré, selon certains"
, vers une autre compagnie du giron LVMH : le champagne Moët Hennessy.
Dans sa volonté de faire taire cette information, LVMH a toutefois oublié de supprimer cette vidéo de... l'ensemble des réseaux. En cherchant sur les autres comptes de BFM Business, ASI
s'est en effet aperçu que la vidéo censurée sur Instagram est toujours visible sur Facebook, où elle a été postée le 22 janvier 2025.
Voici donc, dans son intégralité, la vidéo que LVMH (propriété de Bernard Arnault) a demandé à BFM Business (propriété de Rodolphe Saadé) de supprimer expressément de son compte Instagram :
"Un grand émoi dans la rédaction"
Contactée par Arrêt sur images
, la SDJ de BFM Business a choisi de s'en tenir au communiqué publié avec les autres SDJ du groupe. Un·e membre souligne cependant que "tout cela suscite un grand émoi dans notre rédaction".
De fait, de nombreux journalistes de BFM Business, contactés par ASI
, ont préféré décliner notre demande d'interview et ne pas prendre la parole. La tension est palpable, l'inquiétude aussi.
Cet "émoi"
dans la rédaction, un autre journaliste de BFM le confirme auprès d'ASI
, en estimant que "censurer l'article n'était pas vraiment possible, donc ils ont choisi de moins le mettre en avant et de supprimer la vidéo"
. Et ajoute que cet épisode illustre l'importance du combat des SDJ : "On est en train de négocier une charte d'indépendance des rédactions, donc c'était l'occasion de le signaler."
Rodolphe Saadé et les précédents épisodes d'interventionnisme
Dans les précédents épisodes de l'interventionnisme de Rodolphe Saadé, on compte la mésaventure de l'ancien directeur de la rédaction de la Provence
, Aurélien Viers, mis à pied pour une Une du journal qui avait déplu à l'Elysée. C'était en mars 2024, il y a moins d'un an, et en réaction, les salarié·es de la Provence
avaient voté une grève illimitée. Trois jours de grève soutenue plus tard, Saadé avait fait marche-arrière et réintégré Viers à la rédaction - pour le débarquer quelques mois plus tard, à l'été 2024.
À l'époque, les syndicats des titres détenus par WhyNot médias de la CMA CGM, soit la Tribune
, la Tribune Dimanche
, ainsi que le groupe BFM qui s'apprêtait à être racheté par Saadé, avaient apporté leur soutien aux équipes de la Provence
. La Provence
, qui ne compte pas de SDJ, n'a semble-t-il pas souhaité ou pu renvoyer la pareille, puisque le communiqué est signé des SDJ de BFM Business, BFM TV, RMC et la
Tribune
.
Tous deux milliardaires et français, Rodolphe Saadé et Bernard Arnault n'ont pas un grand historique d'affaires communes. Mais ils ont récemment investi ensemble dans l'ESJ Paris, auprès de Vincent Bolloré. Et tous deux partagent de puissantes amitiés : tout comme Bernard Arnault, qui le connaît depuis les années 1980, Rodolphe Saadé était présent en catimini à l'investiture de Donald Trump le 21 janvier, a révélé la Lettre
. Et le programme du nouveau président américain en matière de liberté de la presse n'ayant rien de réjouissant, les médias détenus par ces deux milliardaires pro-Trump feraient bien de rester sur leurs gardes. Et de signer, au plus vite, cette "charte d'indépendance"
...
Contactée, la direction de la communication du groupe BFM-RMC n'a pas souhaité commenter.
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