Air Cocaïne : Bugier et les pilotes
"Merci infiniment d'être avec nous ce soir" Et tout est dit, ou presque. Dans la bouche du présentateur du 20 Heures, le "infiniment" signale un invité exceptionnel, qui n'a rien à voir avec les habituels sous-ministre ou acteur en promo : l'invité qui a souffert dans sa chair. Seuls les rescapés d'une catastrophe ou les ex-otages fraîchement libérés ont droit au "infiniment". Donc, sur le plateau, Fauret n'est pas d'abord le pilote condamné à 20 ans de prison pour trafic de drogue en république dominicaine, après qu'on ait découvert 680 kilos de cocaïne répartis dans 26 valises dans l'avion qu'il s'apprêtait à piloter vers Saint Tropez, mais l'innocent citoyen français, retenu de longs mois dans un Etat fantoche à la légalité incertaine. Innocent parce que Français : axiome médiatique, autrement nommé "syndrôme du coup de boule de Zidane", qui n'est pas un coup de boule, mais un réflexe malheureux, comme chacun sait.
Sans doute empêché par une difficulté d'emploi du temps, le président de la République n'a pu aller accueillir à Villacoublay les deux trafiquants qui "viennent chercher la Justice française". C'est donc Julian Bugier qui incarne Marianne accueillant ses enfants, les bras grands ouverts.
Enfin, disons, entrouverts. Car un vague souvenir gâche la cérémonie. Oh, pas grand chose, trois fois rien, un fantôme : le fantôme du journalisme. Bugier se souvient qu'il est journaliste, et que la fuite des deux pilotes pose de nombreuses questions, se résumant à celle-ci : des agents des services secrets français sont-ils impliqués dans cette fuite ? Mais impossible de poser à l'ex-otage une question aussi brutale. Le présentateur trouve donc ce chef d'oeuvre de formulation : "Comment s'est passé ce long voyage ? Est-ce que vous avez eu peur, est-ce que c'était éprouvant, est-ce que vous aviez l'angoisse d'être arrêté, d'être appréhendé par les autorités ?" S'adresser d'abord à la fibre humaine du protagoniste de fait-divers, attendrir la viande, pour pousser plus loin si les choses se présentent bien : technique bien connue de l'interview télévisée.
Mais la viande est coriace. Fauret est décidé à ne rien dire sur ses sauveteurs. Face au co-condamné Bruno Odos, en duplex de l'Isère, Bugier a beau tenter une autre formulation -"Sans divulguer de secrets, on comprend votre discrétion, comment avez-vous organisé cette fuite, et surtout qui a payé ?"- les deux pilotes se taisent."On sait bien comment les gens vont d'un continent à l'autre, en avion, à la rame, en bateau, ce qu'on veut, ça n'a pas d'intérêt, moi cette histoire ne m'intéresse pas. J'étais d'un côté, je suis de l'autre" résume Odos, qui vole au secours de son copilote, empêtré dans une question de Bugier sur le rôle exact, dans l'exfiltration, de l'eurodéputé FN Aymeric Chauprade. "Merci infiniment à vous deux d'avoir été avec nous pour ces quelques mots" conclut Bugier, peu rancunier.
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