B. le Maudit
De lui, on ne distingue que son chapeau, à large bords. On se trouve "sur la côte Atlantique", mais personne ne sait exactement où. "Je vous prie de cesser de me filmer" dit l'homme. "Pardon ?" "Je vous prie de cesser de me filmer". "D'accord". Quelques secondes, et puis le poursuivant insiste. "Vous voulez pas expliquer pourquoi ? Ca serait plus simple. Vous vouliez nuire à quelqu'un ?" "Ce sont des méthodes de basse police, et d'Etat totalitaire. Vous ne devriez pas être fier du métier que vous faites". Le poursuivant, encore une fois : "vous vouliez nuire à quelqu'un, Monsieur Buisson ?" Longues secondes. Peut-être que le poursuivant reprend son souffle. "Quel était votre objectif ? Voulez pas me répondre ?" Et Buisson : "vous utilisez des méthodes de gestapiste et de voyou".
On imagine, après la séquence, le triomphalisme du correspondant de ITélé dans l'Ouest, Mickaël Chaillou. "On l'a !" "On l'a eu !" En diffusant cette séquence de la traque nocturne de l'homme au chapeau, et en la rediffusant en boucle sous le bandeau triomphal "exclusif, les premiers mots de Patrick Buisson" ITélé commet une ignominie, qu'elle trainera longtemps. Ne soyons pas naïfs : l'agression journalistique contre Buisson n'est pas la première du genre. Il y a tous les jours d'autres Chaillou, et, dans la peau du poursuivi, d'autres Buisson, avec infiniment moins de moyens de se défendre. Mais en général, quand la traque est, comme ici, infructueuse, quand la moisson d'informations est nulle (qu'apprend-on ? Que Buisson est obsédé par la Gestapo ? Belle révélation !) chaînes ou journaux s'abstiennent de diffuser ou de publier.
Mais les images se vengent. En rediffusant la séquence en boucle, la filiale de Canal+ sait-elle, outre qu'elle installe Buisson dans le personnage de la victime traquée, qu'elle invente un remake télé de M. le Maudit ? Sait-elle qu'elle nous installe dans une compassion paradoxale et détestable avec le Criminel Absolu que traque la Pègre de Dusseldorf, ou de Berlin, à travers poubelles et entrepôts, dans les ruelles de la ville sans secours ? Elle nous replonge, nous cantonne dans les interminables années 30. Elle nous marque nous mêmes au fer du M du maudit, dans une malédiction dont elle est le bras, qui ne tremble jamais.
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