BFM, un lynchage par le simple silence
"Vingt à trente personnes m'ont foncé dessus, j'ai fait cent mètres en sprintant, en me disant "si tu tombes, c'est terminé."
Telle que la racontent sa victime, Jean-Wilfrid Forquès, et des témoins sur place, la tentative de lynchage dont a été victime le correspondant de BFM à Toulouse, alors qu'il couvrait une manifestation de Gilets jaunes est violente. Insupportable. Condamnable évidemment, je le dis et le redis.
Je n'étais pas à Toulouse. Je ne sais pas si les Gilets jaunes qui ont coursé Jean-Wilfrid Forquès près du Capitole adressent aux "bâtards de BFM"
des reproches précis. Une bonne partie de la journée de samedi, je suis resté devant ma télé, victime d'une autre violence. Celle de toutes les chaînes d'info continue, dont bien entendu BFM. Dès le petit matin, alors que les gilets jaunes n'étaient encore que quelques dizaines, elles campaient sur les Champs Elysées, où elles avaient envoyé toutes leurs équipes disponibles. Elles attendaient, et cette attente ne fut pas déçue. Et toute la journée, elles ont regardé dépaver l'avenue, arracher les barrières de chantier, les ériger en barricades, brûler les cabanes, n'en finissant plus de descendre et remonter les Champs, au coeur de l'événement.
Tout au long de la journée du samedi, jamais la scène d'émeute ne quitta l'image. Sur les plateaux, débattaient des journalistes, des invités, des experts. Mais on ne les voyait pas. Jamais on ne connaitrait leur visage. Priorité à l'incendie, qui hypnotisait le spectateur, l'enchaînait à la télé. Qu'on ne me parle pas de journalisme, de mission d'information. Ce n'est pas de journalisme, dont il était question, mais d'une avidité, d'une ébriété partagée, d'une orgie de destruction et de flammes. Je dis ça indépendamment de décider si les chaines sont pro ou anti-Gilets jaunes, pro ou anti-Macron. A ce stade, la machine folle ne pense plus rien. Les yeux rivés sur la concurrence, elle ne pense plus qu'à enclore son petit morceau de troupeau, à l'empêcher d'aller divaguer ailleurs. Et je dis ça, aussi, indépendamment de savoir si les Gilets jaunes sont de droite, de gauche, des deux, ou d'ailleurs. Sans même savoir ce que j'en pense moi-même, écartelé que je suis entre les drames de fins de mois que révèle le mouvement, et l'image insoutenable de ces miséreux, les mêmes, qui livrent aux gendarmes des migrants découverts dans un camion-citerne (on vous en parle dans l'émission de cette semaine).
BFM n'a pas eu besoin de me courser dans les rues. BFM sait comment m'attacher à mon canapé, à coups d'images de Jean-Wilfrid Forquès, et d'autres. BFM sait comment lyncher en douceur, sans violence, par le simple silence, toutes les autres colères du monde, tous les autres espoirs du monde. Je pense en particulier à la manif parisienne contre les violences faites aux femmes, avec ses 12 000 ou 20 000 manifestant(e)s, je ne sais combien, mais plus nombreuses en tous cas que les manifestants des Champs Elysées. Ah, les naïves. Elles n'ont rien cassé. Elles n'ont pas dépavé les rues. Qu'espéraient-elles, avec leurs tragédies de gonzesses ?
BFM n'a pas craché sur ces femmes. Ne les a pas insultées. BFM avait simplement affaire ailleurs. BFM s'est contentée de rester professionnelle, et trouvera sans nul doute les mots pour "l'assumer", si la question lui est posée. Je ne dis pas qu'une violence répond à l'autre, je juxtapose seulement les deux. Et si je dis BFM, c'est parce que c'est le chef de meute. Ca vaut aussi, bien entendu, pour les autres.
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