Césaire contre Aragon : à voir d'urgence
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Césaire contre Aragon : à voir d'urgence

Honte sur moi, je ne découvre qu'aujourd'hui ce magnifique documentaire de Guy Deslauriers diffusé sur France Ô, Césaire contre Aragon. Honte sur moi, car son replay se termine aujourd'hui, 25 avril, et c'est donc dans la journée qu'il faut vous précipiter, toutes affaires cessantes, pour le voir sur le site de France Télévisions, avant qu'il ne sombre dans les oubliettes (voir ici une interview de Deslauriers).

Pourquoi faut-il regarder ce documentaire ? D'abord parce qu'il est magistralement construit, réussissant l'exploit de retracer en 55 minutes l'épisode et ses conséquences, largement "invisibilisés" jusqu'ici dans l'historiographie d'Aragon, invisibilisation qui permet, comme le dit l'écrivaine Maryse Condé, de mesurer le fossé entre poésie française et poésie francophone. 

La rebellion du Martiniquais contre l'auteur des Yeux d'Elsa, en 1955, éclate d'abord comme une controverse purement littéraire. Au sortir de la guerre, Aragon prétend imposer à la poésie française le retour au vers classique -octosyllabe, sonnet, alexandrin- vers classique et populaire dont il a bâti, au péril de sa vie, la flamboyante poésie de la Résistance. S'affichant partisan du vers libre, Césaire, au contraire, semble jeter à la figure du pontife communiste des Années 50 le jeune Aragon surréaliste des Années 30. Le déclic, c'est le jeune poète haïtien René Depestre, qui semble dans un premier temps se soumettre aux consignes d'Aragon. C'est alors que Césaire lance à Depestre cette brutale injonction à l'émancipation : "Fous t'en Depestre fous t'en. Laisse dire Aragon"

On peine à mesurer aujourd'hui, de la part de Césaire, alors député et maire communiste de Fort-de-France, la virulence du camouflet ainsi infligé à Aragon, et au Parti -Césaire rompra l'année suivante, à l'occasion de l'invasion de la Hongrie par les chars soviétiques, lançant à la figure du chef communiste Maurice Thorez "que l'anticolonialisme, même des communistes français, porte encore les stigmates de ce colonialisme qu'il combat".

S'il faut voir ce documentaire, c'est parce que quelque chose me dit que l'épisode est promis, dans les temps qui viennent, à maintes relectures et controverses, en proportion de la réhabilitation de la dimension coloniale dans tous les champs historiques -y compris donc l'histoire de la littérature et de la poésie. Sous la controverse littéraire puis politique des Années 50, impossible en effet de ne pas voir affleurer ce qui aujourd'hui crèverait les yeux : le soubassement colonial, voire racial. Comment les algorithmes et les réseaux sociaux vont-ils s'emparer de cette controverse si caractéristique de l'époque des grandes organisations verticales (le PCF et sa presse) ? Beaux débats en perspective.

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