La presse régionale, antifa catégorie débutants
Car oui, Yann Barthès interviewe Léa Salamé, "meilleure intervieweuse de France". Le prix lui a été décerné par un jury regroupant d'autres meilleurs intervieweurs audiovisuels de France (Bourdin, Lapix, Aphatie, etc). Voici quelques mois, c'est Salamé qui interviewait Barthès sur France Inter. Aujourd'hui, donc, Barthès interviewe Salamé. La concorde règne, entre intervieweurs. Quoi de plus agréable que d'interviewer un camarade intervieweur ? On est entre gens du métier. On se file des trucs ("je travaille beaucoup ma première question", révèle Salamé). On pourrait les laisser entre eux, au fond, ils se suffiraient. Ils vivraient heureux.
Bref. "Pourriez-vous appeler à voter contre Marine Le Pen ?" Sous-entendu : comme La Voix du Nord. Car en quelques jours, La Voix du Nord est devenue la référence du courage journalistique en France, pour avoir appelé à la Une à voter contre Marine Le Pen. Chapeau bas dans la confrérie : quel courage ! Qu'importe si l'on redécouvre à l'occasion les petits arrangements entre La Voix du Nord et le Conseil Régional socialiste sortant, comme cette irritante subvention annuelle d'un million et demi accordée au groupe. Ah non pardon, pas au journal, à une télé locale détenue par le groupe qui détient le journal. Ah non, re-pardon, détenue "seulement" à 34%, ce qui n'a évidemment rien à voir. Qu'importe si l'on re-découvre aussi la pratique de l'interview de complaisance du président PS de la Région, Daniel Percheron. Barthès et Salamé ne vont pas s'arrêter à ces détails.
Magnifique, ce sursaut anti-Le Pen unanime de la presse régionale, à trois jours du vote. Ce matin, c'est Le Courrier Picard (appartenant au même groupe que La Voix du Nord) qui entre en résistance, spontanément bien entendu. Certes, ça grippe un peu. On sent qu'ils n'ont pas l'habitude. En lutte antifa, ils ne sont qu'en première année. Sur les programmes économiques, par exemple, Le Courrier Picard ne sait pas trop par quel bout prendre le bidule, rappelant sur la même page que le FN est "d'abord et avant tout un parti d'orientation libérale, (...) rien que le Medef puisse renier", avant, quelques paragraphes plus bas, de citer le président local de la CGPME : "l'arrivée du FN au pouvoir dans la région serait catastrophique. Je connais même des entrepreneurs prêts à faire leurs valises". Prolétaires picards, gardez-vous bien de voter pour ces odieux libéraux FN qui épouvantent tant le MEDEF. On espère que l'électeur picard, habitué à décrypter son Courrier, y comprendra quelque chose.
On pourrait en rire, c'est à peu près la seule consolation qui reste aujourd'hui. Mais c'est un rire amer. Cette schizophrénie paralysante de l'offensive anti-FN, la presse de gauche s'y heurte depuis des années. Diaboliser ou banaliser ? Prédire que les marinistes mettront les régions à feu et à sang, ou bien qu'ils se couleront dans les codes ? Pourquoi pas, tant qu'à faire, les deux à la fois. Depuis trente ans, le FN s'engraisse des offensives du "Système" contre lui. Des générations de journalistes s'y sont cassé les dents, s'épuisant en philippiques vaines qui ne faisaient que grossir la boule de neige. Si sincère que soit peut-être son réveil tardif, le groupe Voix du Nord le découvre aujourd'hui. Bienvenue au club.
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