Les grandes oreilles de Xavier Bertrand : affaire d'Etat, ou buzz promotionnel ?
Scepticisme au Monde sur les insinuations d'un journaliste-maison
. Il y a celles qu'on attend, qu'on désire, qu'on sollicite. On leur déroule le tapis rouge. Un essaim de bonnes fées s'est penché sur leur berceau. Exemples ? Ils sont quotidiens. Les socialistes se déchirent à Reims. Sarkozy sauve le monde à Washington. Etc etc. Vous voyez de quoi je veux parler. Et puis, il y a les autres. Les vilaines petites informations, comme il y a des vilains petits canards. Comme celle-ci. La scène se déroule dans le bureau du chef de cabinet du ministre du travail Xavier Bertrand. Le chef de cab reçoit un journaliste du Monde, qui travaille à une future biographie de Bertrand avec une consoeur, Muriel Pleynet. Et soudain, le chef de cab, Michel Bettan, lâche au journaliste, Christophe Jakubyszyn, une citation de Villepin tenue à lui, Jakubyszyn, à propos de Bertrand ("un traître sans couilles"). "Comment sais-tu ça ? Et avec cette précision ?" demande le journaliste au chef de cab. "On sait beaucoup de choses", réplique, mystérieux, celui-ci. "Par exemple sur toi, Christophe, on pourrait écrire un livre". Nul ne le dit, mais il est vraisemblable que la conversation Villepin-Jakubyszyn a été écoutée (ce qui est plausible, Villepin étant sous le coup d'un contrôle judiciaire qui lui interdit notamment tout contact avec Chirac), et que le compte-rendu de ces écoutes judiciaires s'est retrouvé entre les mains du cabinet du "chouchou" du président (ce qui est beaucoup moins normal).
Jakubyszyn raconte la scène dans son livre, publié la semaine dernière. L'anecdote est mise en avant par le site Bakchich le 12 novembre. Et puis ? Et puis rien. Dans un pays idéal, dans un système d'information idéal, quinze journalistes auraient déjà appelé ledit Bettan, pour qu'il confirme ou infirme l'allégation insensée selon laquelle des ministres et leurs entourages, n'ayant rien à voir avec la Justice (mais peut-être y a-t-il une prédisposition auditive des Bertrand), pourraient se retrouver dépositaires de compte-rendus d'écoutes judiciaires. Mais non. Rien pendant six jours. Jusqu'à ce que Thomas Legrand, l'éditorialiste politique de France Inter, glisse l'anecdote au sein de sa chronique du 18 novembre.
Ainsi propulsée par France Inter, il y a quelques chances que la vilaine petite information intègre finalement le circuit officiel. S'il reste un dirigeant socialiste de permanence pendant la tragédie, peut-être s'en saisira-t-il. A moins que Bayrou...Ensuite, un responsable politique ayant introduit la vilaine petite information dans le majestueux carrousel des grandes, l'AFP se sentira autorisée à faire une dépêche, et à appeler Michel Bettan, qui répondra avec dignité qu'il ne fait aucun commentaire. Et il est vraisemblable que l'affaire s'arrêtera là. A moins que...
Mise à jour 12h30 : Mediapart a enquêté aussi; scepticisme au Monde...
Un journaliste a bien tenté d'en savoir plus. Le 12 novembre, le même jour que Bakchich, Mediapart s'est penché sur
cette affaire (accès payant)... avec très peu de résultats.
"«Ici, personne n'en parle. Il n'y a pas de remous
autour de ce truc. C'est RAS.» Jean-Pierre Tuquoi, le président de la société
des rédacteurs du Monde (SRM, la structure garante de l'indépendance éditoriale
du journal), ne semble pas particulièrement alarmé par les révélations de son
confrère Christophe Jakubyszyn", écrit Mathieu Magnaudeix, le
journaliste de Mediapart.
Un membre de la rédaction du Monde a portant confirmé,
comme les auteurs du livre, "qu'une telle fuite d'un article du Monde
avant sa parution n'est pas un cas isolé et qu'il y a eu «un précédent»".
Il semble en effet que du côté de la SRM, un sérieux
scepticisme soit de mise sur les "révélations" de Jakubyszyn, soupçonné à mots couverts de vouloir faire du "buzz" pour lancer son livre. Interrogé par @si, Tuquoi se borne à
souligner que "personne, pas même les intéressés ou un membre du
service politique, n'a jamais saisi la SRM de cette question".
Quant à Michel Bettan, malgré des appels répétés, il n'a pas donné suite
à Mediapart.
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