L'insurrection vient-elle ?
"incidents marginaux en fin de cortège", "interpellations", "jugements en comparution immédiate", "difficultés de circulation", "lycées bloqués", "lycées débloqués", et le dernier né, ces "tensions d'approvisionnement" en carburants, qui ne sont évidemment pas l'équivalent d'une pénurie d'essence. Tout ce déploiement sémantique, toute cette créativité, pour éviter d'avoir à nommer le mouvement actuel. Protestation ? Révolte ? Insurrection ? Après tout, la "guerre d'Algérie" ne fut ainsi baptisée qu'après coup. Pendant l'événement, les matinautes qui se branchaient à l'écoute des mêmes radios qu'aujourd'hui n'entendaient parler que "d'événements d'Algérie". Ce qui, finalement, était déjà considérable. Après l'Algérie, seul Mai 68, en France, eut droit, à chaud, à cette appellation "d'événements".
Comme toujours, le traitement quotidien s'ingénie à brouiller toute tentative de vision d'ensemble. Ainsi, pendant "les événements", le persiflage continue. Tiens, savez-vous où était Ségolène Royal le week-end dernier, alors que la France manifestait ? A Venise ! En week-end. Avec son chéri. Le Petit journal de Canal+ s'en amusait hier soir. Bakchich s'en amuse aussi. Sur Europe 1, Guy Carlier n'en peut plus de rire. Quant aux indiscrétions politiques, elles sont aussi superbement aveugles aux "événements". Le "buzz" d'Europe 1 nous apprend ainsi qu'à l'Elysée, on est déjà dans la finalisation du remaniement (Fillon ou Borloo ? Combien de ministres ? Combien de secrétaires d'Etat ?) et dans la "séquence sociale" qui, en novembre, devrait suivre une "séquence internationale". Les retraites ? Derrière nous. Affaire classée. Comment ne pas penser au magnifique "rien", porté sur le journal de Louis XVI, à la date du 14 juillet 1789 ?
Insurrection ? Si le mouvement se calme dans la semaine, sitôt la loi votée au Sénat, j'aurai l'air malin, avec mon titre sur l'insurrection, même assorti d'un prudent point d'interrogation. Tant pis pour moi. L'avenir dira qui fut prophète et qui fut aveugle, l'avenir décelera où étaient les signes avant-coureurs, et où l'insignifiance. Pour l'instant, nous sommes au moment précis où le fleuve peut rentrer dans son lit, ou bien noyer le pays. Qui connait la suite ? Personne, sauf le corps social. C'est un secret seulement partagé par quelques dizaines de millions de détenteurs, donc parfaitement gardé.
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