Macron contre la lenteur kanak
Ainsi l'interminable processus des accords de Nouméa se termine-t-il en farce tragique, avec un référendum boycotté par les indépendantistes du FLNKS, et donnant 96 % des suffrages au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République française (la participation stagne à 44%). Quasi-seul dans la classe politique comme d'habitude, Mélenchon en conclut que ce vote est nul et non avenu, tandis que Jadot l'analyse comme "légal"
, mais pas "légitime"
(Sandrine Rousseau, elle, est sur la même position que Mélenchon).
Pourquoi les indépendantistes ont-ils boycotté le scrutin ? Ce n'est pas toujours rappelé dans les reportages sur le référendum, alors je le rappelle : la raison invoquée est le deuil, après 280 morts du Covid sur le territoire. Un deuil d'un an, décrété par le Sénat coutumier, une institution de seize membres créée par les Accords de Nouméa. Devant ce motif, deux réactions sont possibles. La réaction de Macron, qui, dans une désinvolture qu'il faut bien appeler néocoloniale, a maintenu la date du scrutin au 12 décembre, en dépit du deuil. Un an de deuil ? Et puis quoi, encore ? Pourquoi pas dix ans, tant que vous y êtes ? Allez les amish Kanaks, enterrez vos morts, et tournons-nous vers l'avenir. Et d'ailleurs, toutes les communautés ont été touchées par le virus, pas seulement les Kanaks !
Cette réaction est compréhensible de la part de qui n'a jamais été en contact avec la société kanak. Le temps n'y a pas la même densité que dans les sociétés occidentales. Les rites ancestraux y ont conservé leur force contraignante. Tout au moins était-ce le cas, en 1984, quand j'y couvrais la première insurrection qui devait ouvrir la voie, quatre ans plus tard, aux accords de Nouméa. Chaque reportage dans une tribu commençait, assis sous le banian, par l'échange des petits cadeaux de la coutume, et les paroles rituelles de bienvenue. Il ne s'agissait pas de griller l'étape. Ensuite, on pouvait discuter. A leur rythme. Ce n'était pas toujours confortable quand approchait en métropole l'heure du bouclage, mais c'était ainsi. Cette coutume, mes confrères l'observaient, plus ou moins contraints, plus ou moins respectueusement. Les Kanaks ne perdaient pas une miette de ces nuances. Respecter cette lenteur, c'était respecter les Kanaks.
Les indépendantistes sont aussi des politiques, donc des stratèges. Il est bien entendu possible qu'ils aient considéré ce deuil d'un an, aussi, comme un bon prétexte pour invalider un scrutin qu'ils considéraient perdu d'avance. En tout état de cause, le feuilleton n'est pas terminé. Comme si la Calédonie devait rester éternellement un pied dedans, un pied dehors.
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