Plaidoyer du chirurgien
Je suis sûr que vous allez le comprendre. Evidemment, je suis pour la Justice sociale. Totalement. Mais cette justice, figurez-vous que moi aussi j'y ai droit.
Je travaille soixante à quatre-vingt heures par semaine. Et la nuit, et le dimanche. Si un de mes malades va mal, je ne dors pas. Je passe vingt minutes par malade. Ca me semble normal. Je suis dans l'urologie, dans la chirurgie des mains, dans la gynécologie-obstétrique, autant dire qu'on touche à l'intime, je ne vais quand même pas recevoir le malade en cinq minutes, faut le mettre en confiance, le malade. Et combien on me donne ? Trente euros par consultation, deux cents euros par intervention, autant dire une facture de plombier, la moitié d'une paire de pompes de ministre, un pourboire de livreur de pizzas, une misère. Evidemment, à l'arrivée, je gagne dix mille euros par mois. Mais on paie mon talent. Votre bouffe, quand vous allez au restau, vous acceptez bien de la payer à son prix, n'est-ce pas ? Pourquoi on paierait le talent d'un grand chef cuisinier, et pas le mien ? J'ai fait quinze ans d'études, j'ai commencé à gagner correctement ma vie à trente, trente-cinq ans, et vous allez me dire en face que je vole mon argent ? Par rapport à un architecte, un avocat, vous trouvez que je suis surpayé ? Alors comprenez bien quelque chose, je n'accepterai pas d'être fliqué par la Stasi de la Sécu, la police d'Etat des Mutuelles, le KGB du gouvernement, qui va venir observer à la loupe mes dépassements d'honoraires.
Evidemment, je ne fais pas ce métier seulement pour l'argent. Vous êtes obsédé par l'argent, je le vois bien, mais ce n'est pas la motivation première. J'ai la vocation, Monsieur. Parce qu'il y a une chose qui est au dessus de tout le reste, que vous le vouliez ou non, au dessus de l'argent, même si ça a du mal à rentrer dans votre petite tête. C'est la qualité du rapport humain.
Cet article est libre d’accès
En vous abonnant, vous contribuez
à une information sur les médias
indépendante et sans pub.
Déjà abonné.e ? Connectez-vousConnectez-vous