JO : Un enthousiasme français (et obligatoire)
chronique

JO : Un enthousiasme français (et obligatoire)

En temps ordinaire, le journaliste est un consciencieux dealer de sinistrose, un chef de gare survolté de trains qui déraillent. Scandales financiers, conflits sociaux, luttes d'influence, batailles électorales, catastrophes climatiques, grèves, galères des usagers. Il se complait dans la mauvaise nouvelle, se vautre dans l'inquiétude, se gave de passions basses.

Juste avant la cérémonie d'ouverture des JO, par exemple, les chaînes ont multiplié les reportages sur les restaurateurs de l'ile Saint-Louis entravés dans leur commerce par les restrictions de circulation.

Mais dans le secret de son âme, le journaliste sait bien que tout ne va pas si mal. Lui-même, dans sa vie personnelle, connaît des joies, des succès, des extases parfois. Il lui arrive, sans l'ébruiter, de s'émerveiller ou d'admirer. Autour de lui, il constate, voire participe, à de belles initiatives de solidarité désintéressées. Mais la presse, depuis toujours, préfère les trains en retard.

Aussi quand se présente une occasion de se rattraper, il la saisit à la gorge, avec une énergie "à la hauteur des anticipations négatives, réflexe culturel collectif dans le monde journalistique français" analyse en spécialiste l'ex-directeur du Monde Luc Bronner.

Avec leurs spectacles grandioses, leur mise en scène calibrée pour les photos, l'émergence quotidienne de nouveaux héros comme s'il en pleuvait, les jeux olympiques sont, par nature, un festin de bonnes nouvelles. Impossible d'ouvrir un journal ou un site sans être pris à la gorge par un parfum d'euphorie (voir par exemple ce très beau reportage vidéo du Parisien sur les hauteurs de Belleville, passage de la course cycliste moins médiatisé que le passage à Montmartre). 

Lorsqu'une fois par siècle, les Jeux se déroulent à domicile, l'enthousiasme déborde des pages sportives, pour inonder les rubriques politiques. Il ne faut sans doute pas expliquer autrement l'explosion de reportages sur les JO joyeux et le Paris méconnaissable de ces derniers jours. Explosion qui cumule avec le dernier édito du Monde, qui célèbre "l'ambiance de liesse et de félicité, les images époustouflantes et inédites, l'enthousiasme des fan zones". Par exemple, après tant d'alarmes sur la baignabilité des eaux de la Seine, "les athlètes du triathlon se sont finalement baignés." (Le Monde n'a pas entendu parler des athlètes malades ou hospitalisés après la baignade). "Moi j'ai pris le métro tout à l'heure, tout le monde est sympa", ratifie Léa Salamé, dans l'émission quotidienne de France 2 "Quels jeux". "Ce ne seraient pas les plus beaux Jeux Olympiques de l'histoire?" s'interroge la journaliste de France 5 Aurélie Casse.

Miracle : tout le monde est sympa ! (Oui, entre supporters venus là pour une passion commune).  Miracle : les photos sont belles ! (Oui, tous les sites olympiques ont été choisis pour inclure une carte postale dans le cadre). Miracle : on circule bien ! (Oui, comme chaque année à Paris au mois d'août). Miracle : les rues sont sûres ! (Oui, grâce au renfort exceptionnel de 45 000 policiers et militaires, avec l'aide renforts venus d'une quarantaine de pays). Miracle, les SDF ont disparu ! (Oui, on les a éloignés). Etc etc.

Le blog Obsessions est publié sous la seule responsabilité de Daniel Schneidermann, sans relecture préalable de la rédaction en chef d'Arrêt sur images.

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