"Scandale" Christophe Khider : le débat de fond attendra
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"Scandale" Christophe Khider : le débat de fond attendra

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Christophe Khider est en prison depuis 29 ans. Condamné pour meurtre, braquages puis pour plusieurs tentatives d'évasion, l'État l'a classé DPS, détenu particulièrement surveillé. Et son nom a ressurgi dans l'actualité à la faveur... de leçons de conduite. Christophe Khider, 53 ans, souhaite passer son permis en vue d'une possible libération en 2044.

L'homme a un CV long comme le bras, mais a-t-il changé après une demi-vie passée en cellule ? C'est ce que semble penser la justice, qui l'a autorisé à commencer ses cours à la fin du mois d'août, pour un apprentissage qui doit durer jusqu'en septembre. Des sorties qui s'effectueront sans encadrement. De quoi faire bondir le syndicat majoritaire dans la pénitentiaire, l'UFAP-UNSa. Dans un communiqué énervé publié le 13 août, le syndicat s'insurge : "L'application des peines lui ouvre les portes vers la liberté, en lui offrant un road trip ! L'honneur est sauf : la sécurité routière, cette fois, sera assurée par la présence d'un moniteur auto-école…" L'UFAP-UNSa estime aussi que trois mois à peine après l'évasion meurtrière de Mohamed Amra, qui avait fait deux morts trois blessés graves parmi le personnel pénitentiaire, "la tragédie semble déjà loin". Jamais le syndicat ne nomme Christophe Khider dans son texte. Mais son nom ne va pas tarder à fuiter, et les médias à s'emparer du sujet, de manières diamétralement opposées.

Premier à dégainer : TF1. Le 14 août, dans la matinale de la chaîne, Bonjour, le sujet est présenté sous l'angle de "l'inquiétude des syndicats pénitentiaires". À ce stade, un seul syndicat a pourtant réagi, dont le secrétaire national, Wilfried Fonck, est interrogé à la fin du sujet, et dont le communiqué, longuement cité, est affiché à l'écran. Pour le reste, on ne saura rien du pourquoi de ces leçons de conduite. Après que Fonck a déploré cette autorisation, le journaliste de TF1 cite l'avocate de Christophe Khider, Marie Violleau, qui estime que ces leçons sont le signe d'un "parcours carcéral réussi". Fermez le ban. Un dernier élément tout de même, le bandeau de la chaîne s'interroge : "Un braqueur emprisonné passe son permis : scandale ?" On n'est pas loin de la prophétie auto-réalisatrice tant l'affaire va se diffuser. Dans les deux jours qui suivent, difficile de compter les articles consacrés au "scandale". 20 minutes, l'Indépendant, RTL, France Bleu, le Figaro, France 3, la Croix, Europe 1, le Parisien, le Dauphiné Libéré, reprenant une dépêche AFP, et même... Public : tous traitent l'affaire. Sur ce point, la puissance médiatique des syndicats des forces de l'ordre ne se dément jamais.

Niveau titre, l'UFAP-UNSa a gagné la bataille des mots : "«Ubuesques»", entre guillemets, titrent le Figaro, France 3, 20 minutes, reprenant les mots du syndicat pour qualifier ces autorisations de sortie. "«Scandaleux»", choisit le Dauphiné, adjectif tiré d'une citation d'un autre responsable syndical, de FO cette fois. Sur RMC, Antoine Diers, chroniqueur des Grandes gueules et ancien porte-parole du parti d'Éric Zemmour, ce que ne rappelle jamais la radio, tape fort : "À ce niveau-là, on peut tout imaginer. On trouvera bientôt un juge qui autorisera des sorties pour passer du temps avec ses amis, [...] à passer Noël avec sa famille parce que ce sera bon pour sa réinsertion." On imagine la tête que fera Diers en apprenant que c'est déjà le cas. Sur CNews, le journaliste police-justice de la chaîne étrille une décision "scandaleuse, totalement lunaire" et salue l'UNSa qui dénonce "un bras d'honneur à la pénitentiaire". Il en rajoute : "Aussi un bras d'honneur à tous les Français. Peuple français au nom duquel on est censé rendre la justice."

Pour comprendre comment Khider a pu bénéficier d'autorisations de sorties, il fallait lire la Croix et le Monde. Le Monde qui concède : "Si les sorties non accompagnées sont courantes, en accorder une à un détenu censé être «particulièrement surveillé» peut sembler paradoxal." Mais explique aussi la logique derrière ces autorisations de sortie : "À l'été 2023, Christophe Khider, qui a passé plus de la moitié de sa vie en prison, a déposé une demande d'aménagement de peine, auquel il a droit depuis 2020. Or, cette mesure, qui vise à préparer progressivement la réinsertion dans la société en évitant une sortie sèche, est soumise à de nombreuses conditions : un projet de réinsertion viable, une batterie d'expertises, mais aussi… l'octroi de permissions de sortie, conçues comme un marchepied avant un éventuel retour à la vie civile." Le quotidien détaille la procédure contradictoire qui a mené à cette décision, suspendue dans un premier temps par un appel du parquet.

De
son côté, la Croix a eu la bonne idée d'interroger l'acteur principal de la polémique : la justice, en la personne de Yvan Guitz, magistrat honoraire et ancien président de l'association nationale des juges de l'application des peines. Il explique : "Le juge réunit une commission et il peut demander une expertise psychiatrique et psychologique pour évaluer la dangerosité du détenu et sa capacité à réintégrer la société à la fin de sa détention." Guitz ajoute à la réflexion une évidence – "Il faut aussi être conscient que cet homme finira par sortir un jour" et un fait bien tangible : "Statistiquement, ce sont les détenus qui sortent en conditionnelle qui récidivent le moins." Donnée confirmée notamment par le ministère de la Justice en 2021.

L'avenir proche dira si la justice a pris la bonne décision concernant Christophe Khider. Quoi qu'il en soit, le "scandale" médiatico-judiciaire de l'été aurait pu être l'occasion d'un débat de fond sur le sort des détenus condamnés à des longues peines, sur la réhabilitation, et finalement sur le sens à donner à l'incarcération. Encore une occasion manquée.

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