Comment aborder l’après 7 janvier ? Deux jours après l’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo qui a coûté la vie de douze personnes – dont Cabu, Wolinski, Charb, Tignous ou Bernard Maris – Judith Bernard, directrice de la publication d’Hors-série ainsi que Jean-Marc Manach, Alain Korkos et Didier Porte, chroniqueurs d’@si, reviennent ensemble sur l'événement, et sur ses suites. En famille.
Comment vous sentez-vous ? C’est la première question posée à nos quatre chroniqueurs qui se disent sidérés. Didier Porte a immédiatement fait le parallèle avec le nazisme tant l’acte du 7 janvier lui semble porté par une idéologie qui se traduit dans la sauvagerie. Une référence qui n’est pas venue à l’idée d’Alain Korkos, pour qui l'acte est totalement inexplicable. Alain revient sur ce que représentaient Cabu et son grand Duduche avec qui il a grandi comme il le racontait cette semaine dans cette chronique. Pour Porte, les dessinateurs de Charlie représentaient l’hédonisme, la joie de vivre et surtout l’esprit libre.
De son côté, Jean-Marc Manach, qui n’appréciait pas spécialement l’hebdomadaire et notamment Philippe Val, son ancien directeur, qu’il qualifie de "néo-con", assure avoir ressenti physiquement l’agression - et surtout le son des tirs entendus. "On a tué de grands enfants, à la Kalachnikov". Quant à Judith Bernard, pour qui Cabu est avant tout la figure tutélaire découverte dans les émissions de Dorothée, ce sont "des libres penseurs", "des joyeux drilles" et surtout une forme de liberté qui ont été assassinés. Elle fait le parallèle avec les chasses aux sorcières menées aux XV et XVIe siècles, dans lesquelles le discours religieux servait de prétexte à éliminer tous les individus qui ne se pliaient pas à une doctrine déterminée. "Une imposture", dit-elle, car la religion n’a rien à voir avec ces massacres.
Ecueil à éviter aujourd’hui, selon Judith : l’autocensure. Charlie Hebdo poursuivait le travail voltairien mais dans le contexte socio-économique aujourd’hui, ce travail devient peut-être maladroit. "Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire", précise-t-elle. Didier avoue qu’il va réfléchir à deux fois avant d’écrire ses billets, même si les blagues sur l’Islam n’ont jamais été sa tasse de thé. "Mourir pour des idées, rappelle-t-il, d’accord. Mais de mort lente". Cela dit, pas question non plus "de se déballonner complètement". Pour Jean-Marc, l’autocensure a déjà commencé. D’ailleurs, dans les journaux anglo-saxons, les couvertures de Charlie Hebdo ont été floutées.
Est-on en guerre ? Les agresseurs sont-ils nos ennemis comme l’écrivait Daniel dans une première chronique publiée à chaud mercredi ? Judith réfute le terme d’ennemi qui "n’est pas un mot de notre langue à nous". Des adversaires, oui. Mais pas des ennemis : "nous n’allons pas prendre les armes contre eux". Seulement nos crayons. Il faut répondre à leurs actes par plus de démocratie. "Et plus de pognon dans les banlieues", ajoute Didier qui estime que les agresseurs sont "des enfants perdus", programmés ou autoprogrammés dans une logique sectaire. Et que penser du rôle d'Internet une fois encore montré du doigt ? Jean-Marc est vent debout contre les discours qui pourraient laisser croire qu’Internet est le réservoir d’appel à la haine. "Internet n’est pas le problème", assure-t-il, au contraire, "c’est peut-être une partie de la solution" car on peut discuter – comme il l’a fait et raconté dans cette chronique – avec les djihadistes : "les gens qui se parlent ne se tirent pas dessus".
Etre ou ne pas être Charlie ? Pour Judith la question est complexe. Non elle n’est pas Charlie, car elle ne lisait pas l’hebdomadaire, mais elle est ce bout de Charlie qui défend la liberté d’expression. Si elle s’est rendue place de la République mercredi – un rassemblement silencieux comme un jour de neige – afin de faire du lien, elle a accepté l’autocollant Je suis Charlie à reculons. "C’est un slogan qu’on ne peut pas montrer partout "dit-elle, et notamment dans le 93 où elle travaille. Alain nous montre quelques couvertures de Charlie ou d’Hara-kiri, son ancêtre, pour qu’on recommence à rire. Et rire aussi des événements de mercredi. L’esprit Charlie ? "Ce serait de prendre le pognon" promis par tout un tas de généreux donateurs - voir ici ou là - "et de partir avec en faisant un gros doigt d’honneur", suggère Didier.
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