"À prendre ou à laisser" : Arthur rattrapé par ses archives sexistes
Comment une série d'extraits du jeu télévisé sont venues percuter les 30 ans de télévision de l’animateur
Arthur qui fait la bise à une femme sur le plateau de son jeu, tenant son visage entre les mains, et l'embrasse, sur les lèvres, par surprise. Arthur qui regarde sous la jupe d'une autre femme, toujours en plateau. Arthur qui grogne à l'oreille d'une candidate, qui lui demande d'arrêter. Arthur qui fait semblant de fouetter les fesses d'une autre candidate en déclarant "plus tu résistes, plus je te dompterai", puis lui fait des avances face au public en imitant un lion en rut, lui embrasse le cou et répète : "j'ai toujours aimé un peu les femmes qui me résistaient".
Arthur qui commente la mini jupe d'une autre : "ras la salle de jeu". Arthur qui raconte une scène de son imaginaire : deux hommes musclés en train de jouer au volleyball, "et", dit-il à une jeune femme, "vous seriez le ballon". Arthur qui dénude une énième candidate au corps "sexy", lui enlevant son châle des épaules pour voir "tout". Arthur qui porte de force une femme dans ses bras, les mains baladeuses, elle, en mini-jupe obligée de cacher son entre jambe...
Tels sont les extraits d'un montage vidéo surgi sur les réseaux sociaux ces dernières semaines, commentés jusque dans le Huffington Post. Des extraits tirés de l'émission À prendre ou à laisser, présentée par Arthur sur TF1 entre 2004 et 2006, un jeu de hasard reposant sur un principe simple : les candidat·es choisissent une boîte, qu'ils ouvrent à la fin de la partie, et qui contient plus ou moins d'argent.
Des extraits repartagés par des comptes populaires, sur Instagram, TikTok et sur X, mais rapidement supprimés, à la suite de signalements. D'après plusieurs de ces comptes, il s'agit là de censure, opérée par Arthur lui-même.
"L'animateur semble faire censurer tout extrait dérangeant"
Parmi eux, le très suivi (et obscur) compte X Cerfia. Dans un post X, un autre compte dénonce : "L'animateur semble faire censurer tout extrait dérangeant susceptible de nuire à son image". D'autres comptes, comme le non-moins obscur Actu React Info, ont fait de même. Ce compte ajoute : "Arthur et son équipe, qui n'ont pas dû apprécier, nous ont envoyé un e-mail avant de supprimer notre tweet", capture d'écran à l'appui.
La suppression des extraits d'Arthur a motivé un collectif d'une vingtaine d'autres comptes et personnalités du monde militant à la republier en choeur. L'opération, lancée le 30 décembre à 14H, est une initiative de Cerveaux Non Disponibles. "Arthur cherche à faire censurer cette vidéo. Téléchargez la et postez-la en natif sur votre compte", a expliqué le compte dans un long texte. En quelques heures, la vidéo est likée des dizaines de milliers de fois. Une démonstration, selon certain·es de l'effet Streisand : ce phénomène en vertu duquel plus on cherche à faire interdire une information, plus elle gagne en visibilité.
"Arthur a communiqué publiquement en expliquant qu'il s'agissait d'une autre époque", indique le post. Arthur s'est en effet exprimé dans le Parisien, à l'occasion de l'anniversaire de ses 30 ans de télé. Il a notamment déclaré, pour justifier son comportement à l'époque : "Il fallait faire un petit one-man show quotidien car l'émission durait 40 minutes alors que la mécanique du jeu n'en composait que la moitié (...) Mais c'était une autre époque. J'étais assez proche des candidats. Quand ils pleuraient, hommes comme femmes, je les prenais dans les bras. Aujourd'hui, on ne pourrait plus animer ainsi."
Ses 30 ans à l'antenne, c'est aussi ce qui a donné du sens au montage, explique Cerveaux Non Disponibles à ASI : "l'idée était de dire : TF1 vous montre l'image officielle d'Arthur, mais rappelez-vous aussi que Arthur, il y a quelque années, c'était ça". Après la suppression, "on a décidé qu'on ne pouvait pas laisser passer ça et d'empêcher cette censure", poursuit le compte. Contacté par Arrêt sur images, Arthur ne souhaite pas être cité.
À l'origine du montage : une féministe luxembourgeoise
Le premier compte à avoir posté la vidéo est celui d'une féministe luxembourgeoise sur Instagram : L'Effrontée. Derrière la page, se trouve Alice Welter. Elle affirme à Arrêt sur images avoir publié la vidéo le 3 décembre. "J'étais tombée sur une très courte séquence de l'émission À prendre ou à laisser que j'ai trouvée très malaisante. Je me suis dit : c'est à creuser." Il s'agirait de la vidéo où Arthur grogne dans l'oreille d'une candidate. "Le lendemain, je suis allée chercher sur Youtube d'autres épisodes, parce que je me souviens que je regardais l'émission quand j'étais enfant. Je n'avais pas le souvenir d'être si choquée que ça." Son nouveau visionnage, lui, la scotche. "J'ai regardé une quinzaine d'épisodes. Quasi dans chacun d'entre eux, il y a des scènes similaires." Elle dit les trouver sur la chaîne youtube ICON TV. Elle en tire les pires extraits. "En quatre heures, le montage était terminé. J'ai tout de suite publié".
Une semaine plus tard, se rappelle Alice Werter, "je suis arrivée à 40 000 vues, ce qui représente beaucoup pour mon compte Instagram". Un abonné lui demande s'il peut republier sa vidéo sur X. Il la recontacte quelques jours plus tard pour lui annoncer : "elle a fait 2 millions de vues". Puis, à nouveau quelques jours plus tard : "la vidéo a fait 3,5 millions de vues mais elle a été supprimée". Alice Werter prend connaissance des messages similaires publiés par Cerfia ou Actu React Info et prend peur. D'elle-même, elle supprime sa vidéo sur Instagram, par peur d'être censurée ou de voir son compte "sauter". Elle dit n'avoir reçu aucun message issu d'un signalement ni aucune demande d'Arthur ou d'autre société.
Demandes de retrait signée par Arthur ?
L'internaute qui a contacté l'Effrontée et republié sa vidéo officie sous plusieurs pseudonymes, dont cKlooz et iKlooz. Il est cofondateur d'un podcast sur la popculture des années 1990-2000 mais ne travaille pas dans l'univers des médias. Sur X, donc, après avoir contacté l'Effrontée, il a publié un thread des vidéos d'Arthur, avec plusieurs extraits supplémentaires (thread désormais supprimé, mais visible à la 12ème minute de ce live Youtube). Arrêt sur images a eu accès à la demande de retrait envoyée à cKlooz et d'autres comptes, pour demander la suppression de 11 vidéos sur X.
La demande se fonde sur le Digital Millennium Copyright Act. Une loi américaine qui permet à un propriétaire de droits d'images d'informer un fournisseur de services en ligne en cas de violation supposée du copyright. La personne détentrice des droits, d'après la requête, serait Arthur Essebag - soit Arthur - propriétaire de la société Samaron. La demande de suppression est elle aussi signée Arthur Essebag. Mais la demande, elle, n'est pas faite au nom Samaron. Elle provient d'une adresse mail liée à Arthur-World, une société de production. Des informations confirmées par CheckNews, le service de vérification à la demande de Libération, qui s'est également penché sur le sujet. À la tête d'Arthur-World : Judith Aboulkheir, la soeur d'Arthur, avec qui il possède d'autres entreprises. Elle n'a pas répondu aux demandes d'ASI.
La requête transmise à X est bien accordée à la première personne du singulier, comme si elle était bien signée par Arthur : "Emission "A prendre ou a laisser" (titre original international du format "Deal or no Deal") que j'ai produite et animée pendant plusieurs années sur TF1". Puis, plus loin : "Utilisation illégale, diffamante, trompeuse des extraits de l'émission «A prendre ou a laisser». Merci de supprimer dans les plus brefs délais ces vidéos litigieuses." Joint par Arrêt sur images, le compte Actu React Info dit n'avoir pas conservé l'autre demande de suppression reçue, signée, d'après Actu React Info, de la société Samaron.
D'après le texte de Cerveaux Non Disponible, les droits d'auteurs ne sont qu'un prétexte. "Toutes ces émissions sont en ligne en intégralité sur Youtube, sur des comptes autres que ceux de TF1 ou de la société d'Arthur. C'est donc bien le fond du montage qui pose problème à Arthur, et non le respect des droits d'auteurs." Arrêt sur images a contacté la chaîne youtube ICON TV, d'où sont tirés les extraits. Elle appartient à Logicomix TV. Une société audiovisuelle "dédiée à la diffusion, la monétisation et à la protection des contenus audiovisuels sur YouTube et Facebook", fondée par l'ancien directeur de France télévisions, Yann Chapellon. Société créée par Endemol, dont Arthur a été vice-président. Ni l'une, ni l'autre n'a donné suite à la prise de contact d'Arrêt sur images.
Cet article est libre d’accès
En vous abonnant, vous contribuez
à une information sur les médias
indépendante et sans pub.
Déjà abonné.e ? Connectez-vousConnectez-vous