"Action légitime" du Hamas : autopsie de la polémique Rima Hassan
enquête

"Action légitime" du Hamas : autopsie de la polémique Rima Hassan

Une vidéo exhumée enflamme les élections européennes

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Rima Hassan, en septième position sur la liste conduite par Manon Aubry (LFI) aux élections européennes, estime-t-elle que le Hamas mène une "action légitime" ? C'est ce que laisse penser un court extrait, diffusé en janvier par le média en ligne "Le Crayon" et qui a refait surface. Dans quel contexte précis ces propos ont-ils été tenus, et comment sont-ils réapparus ? Comment la juriste française d'origine palestinienne se justifie ?

C'est une séquence de quelques secondes, qui n'est restée en ligne qu'une quinzaine de minutes sur le compte Instagram du média le Crayon, mais qui a eu des conséquences importantes. Initialement postée pour "teaser" une interview qui ne sera finalement jamais publiée, certains extraits de ce "teaser" sont aujourd'hui utilisés comme une arme politique contre LFI dans le cadre des élections européennes. Récit, sous forme de questions/réponses, d'une séquence dont on n'a pas fini d'entendre parler.

De quoi parle-t-on exactement ?

Le 22 janvier 2024, le média en ligne le Crayon publie une "story" sur son compte Instagram. On y voit Rima Hassan, juriste française d'origine palestinienne, commenter plusieurs affirmations sous la forme d'un "vrai ou faux", dont certaines très polémiques. "Le Hamas mène une action légitime ?" "Vrai", répond celle qui a depuis été nommée en position éligible sur la liste menée par Manon Aubry pour les élections européennes. "L'État d'Israël a un droit de défense ?" "Faux." "La solution à deux États est possible ?" "Faux" aussi. D'après Rima Hassan, la séquence a été tournée fin novembre 2023.

L'extrait, qui dure près de deux minutes, est un classique des vidéos de cette chaîne, dont chaque grand entretien est précédé d'un "vrai/faux", qui permet de situer en quelques secondes, de façon un peu caricaturale, les positions politiques de tel ou tel invité, et les thèmes qui seront abordés durant l'interview. Ce jour-là, le Crayon, spécialisé dans les débats enflammés sur des sujets sensibles, poste donc cet extrait pour annoncer un plus grand entretien, qui sera publié dans les jours suivants.

Cela n'arrivera pourtant pas. Quinze minutes après sa publication, l'extrait est supprimé par les créateurs de la chaîne, qui ont reçu entre temps des dizaines de signalements pour "apologie du terrorisme". "On l'a retirée tout de suite pour que nos comptes ne soient pas supprimés sur les réseaux sociaux", explique à Arrêt sur images Wallerand Moullé-Berteaux, l'un des fondateurs de la chaîne Youtube. Certains extraits de l'entretien sont toujours visibles en ligne, notamment sur le compte TikTok du Crayon.

Entre-temps, plusieurs internautes ont fait une capture de cette story, et postent dans les jours suivants huit secondes de cette vidéo sur les réseaux sociaux, évidemment les plus polémiques. La machine s'emballe. Quelques jours plus tard, l'animateur et producteur de télévision Arthur s'insurge sur Instagram, sur la base de cet extrait, que Rima Hassan figure parmi les "40 femmes de l'année" honorée lors d'une soirée organisée par le magazine économique Forbes. Le 5 février 2024, l'événement est annulé pour "des raisons de sécurité". Début mars, alors que la jeune femme, née dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie, figure sur la liste conduite par LFI aux Européennes, cet extrait de huit secondes ressort. La polémique redouble alors.

Comment RIma Hassan justifie-t-elle ses réponses ?

Rima Hassan a publié plusieurs messages sur X pour détailler ses positions. La question sur la "légitimité" de "l'action du Hamas" ne porte pas sur le 7-Octobre, recadre-t-elle. Le journaliste du Crayon ne spécifie pas, non plus, s'il parle "de l'action politique ou de l'action armée" du Hamas, précise-t-elle auprès d'ASI. Pour elle, l'action politique du Hamas, contrairement à sa branche armée, est légitime. C'est en ce sens qu'elle répond "vrai". "On peut dire que le Hamas a une légitimité dans un contexte de lutte pour l'autodétermination. C'est un parti politique qui a été élu. Mais quand ils commettent des crimes, ils sont en dehors du cadre prévu par les Nations unies." Cet aspect-là des actions du Hamas est bien, selon elle, illégitime.

"Depuis le début, je parle de «crimes de guerre» pour qualifier les attaques du 7-Octobre notamment." Et même, insiste-t-elle, "de mode opératoire terroriste". Dans l'extrait initial publié par le Crayon - l'extrait complet et non pas la version de huit secondes, tronquée, qui a circulé sur les réseaux sociaux - Rima Hassan répond à une question "sur la qualification du mode opératoire terroriste sur lequel je réponds VRAI", a-t-elle déclaré sur X et confirmé à Arrêt sur images

Sur le droit de défense d'Israël, Rima Hassan répond "Faux" en vertu du droit international. Le droit à la légitime défense d'Israël, soutient-elle, ne vaut que pour des actions contre des États et non contre "une menace qui émane d'un territoire qu'il occupe". Quant à la possibilité d'une solution à deux États, si Rima Hassan répond "faux", c'est parce que "cette perspective ne nous fait plus espérer", détaille-t-elle à ASI. "Si on nous donnait les moyens de croire à une solution à deux États, ce serait différent. Ce n'est pas une posture idéologique mais le sursaut de vie d'une génération qu'on a trop fait désespérer."

Ces arguments, Rima Hassan affirme avoir eu "totalement" le temps de les développer pendant "l'heure et demie" d'interview avec le Crayon. "J'ai dénoncé les crimes de guerre du Hamas et dénoncé, bien sûr, l'offensive israélienne. C'était une interview très fluide, dans laquelle j'ai tenu la ligne que je tiens depuis longtemps : condamner les attaques du 7-Octobre, dénoncer le contexte d'injustice depuis 75 ans et analyser l'impasse dans laquelle on est, avec la colonisation et l'apartheid." Des réponses qui ne seront finalement pas diffusées, ce que regrette Rima Hassan. "Ma garantie, c'était de me dire que ces courts extraits Instagram seraient accompagnés d'une longue interview, comme c'était prévu." Elle réclame les rushs, les images complètes, au Crayon depuis fin janvier.

Pourquoi "Le Crayon" ne publie pas l'intégralité ?

Le 8 mars, après avoir été interpellé sur Twitter par Rima Hassan, le Crayon a publié un communiqué, signé Antonin Marin, rédacteur en chef du média. Il déplore "que cet extrait ait été enregistré dans l'intervalle puis rediffusé hors contexte et sans notre accord". Pourquoi ne pas avoir depuis publié l'intégralité de l'entretien ? Pour des raisons juridiques, assure Wallerand Moullé-Berteaux à ASI. "On ne cherche pas à séquestrer la vidéo", insiste-t-il au téléphone, à plusieurs reprises. "On ne veut juste pas se retrouver en cour de justice pour production d'une vidéo qui fait l'apologie du terrorisme." À ce sujet, la situation pourrait évoluer dans les jours qui viennent, mais il ne souhaite pour l'heure pas en dire plus. 

"On n'a rien contre Rima, on pense plutôt qu'elle a quelque chose à dire sur le monde d'aujourd'hui", ajoute Wallerand Moullé-Berteaux. Reposterait-il aujourd'hui cette story"Je ne pense pas", répond-il avant de développer. "Notre but c'est quand même de réunir. Et là, c'est l'inverse qui se produit." 

Sur sa chaîne, le Crayon aime pourtant jouer avec le feu, et multiplie les débats sur l'immigration, l'insécurité ou le voile. "On n'a qu'une seule ligne de conduite : recevoir très largement des gens dont les idées ont de l'impact sur le monde. Notre seule limite, c'est la limite juridique", argue Wallerand Moullé-Berteaux.

Dans les faits, sur la chaîne Youtube du Crayon, des interviews vidéo de François Ruffin, Bruno Patino, Gad Elmaleh et Najat Vallaud-Belkacem cohabitent avec un nombre important de figures d'extrême droite : Thaïs d'Escufon, Georges Jordi, Florian Philippot, Bruno Attal ou Julien Rochedy. C'est en invitant ce dernier, masculiniste notoire, à participer à un débat sur "le féminisme" face à la créatrice de contenus "MyBetterSelf" que la chaîne avait d'ailleurs percé voilà quatre ans. Interrogé sur la présence de l'extrême droite sur la chaîne, Wallerand Moullé-Berteaux répond : "La stratégie du cordon sanitaire, ça mène au premier parti de France." 

Cet ensemble, très hétéroclite politiquement, séduit les investisseurs : en octobre 2023, le Crayon a levé un million d'euros. Parmi les investisseurs, le milliardaire et propriétaire de Free, Xavier Niel.

L'extrait s'invite dans les élections européennes

Depuis l'apparition de son nom sur la liste LFI, cet extrait est devenu une arme politique. L'avocat de Rima Hassan, Vincent Brengarth, estime que cela "participe de la dénaturation de ses propos et de la réalité de ses idées". L'extrait, qui tourne en boucle sur X, se retrouve aujourd'hui dans une vidéo de campagne de François-Xavier Bellamy, tête de liste LR aux Européennes, publiée sur TikTok.

Plusieurs médias l'ont aussi mise en avant, sans s'enquérir de l'origine et de la nature exacte de la vidéo. Le Figaro, d'abord, à travers une chronique de l'avocat Gilles-William Goldnadel. Il écrit n'avoir pas prévu "qu'en Europe - bien qu'en cours d'islamisation accélérée -, la chasse aux Juifs soit acceptée et autorisée sans grande protestation". La preuve : Rima Hassan et la vidéo du Crayon. Il les cite comme preuve de son "soutien" au Hamas. Rima Hassan s'est défendue de tenir une quelconque position antisioniste sur X.

L'extrait, tronqué, a également été diffusé dans l'émission Quotidien, le 11 mars 2024. Sur le plateau de l'émission, le journaliste Paul Gasnier affirme que, dans le cadre des élections européennes "LFI mise tout sur la défense des Palestiniens quitte parfois à flirter avec l'antisionisme. L'incarnation de cette stratégie s'appelle Rima Hassan". Sa présence sur la liste LFI est, poursuit-il, "un choix controversé, notamment depuis cette interview que Rima Hassan a donné un mois seulement après le 7-Octobre". C'est là qu'est diffusé l'extrait tronqué du Crayon : "Le Hamas mène une action légitime. Vrai."

Auprès d'ASI, Rima Hassan déplore que personne n'ait cherché à se procurer le reste de l'interview. "Le plus grave, c'est que Quotidien ne m'a pas invitée pour répondre", ajoute-t-elle. Un journaliste de l'émission de TMC a tenté d'échanger avec Rima Hassan alors qu'elle participait à une manifestation appelant à un cessez-le-feu, le 9 mars. Un échange filmé, et diffusé pendant l'émission du 11 mars. Il lui demande si "l'objectif" (de quoi, on ne sait pas) "est de remettre la question palestinienne au cœur de l'Europe" et ce qu'elle répondrait aux "polémiques" autour de sa présence sur la liste LFI. "Ils auraient pu dire : si vous ne voulez pas répondre maintenant, venez sur le plateau commenter ce passage, mais non", répond Rima Hassan. Elle affirme avoir proposé au journaliste de l'inviter. Contactée par ASI, la production de Quotidien n'a pas répondu à notre demande d'interview.

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Une tornade nommée Rima

 

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