Adieux du patron de l'Arcom : ASI y était
reportage

Adieux du patron de l'Arcom : ASI y était

Ne pas répondre aux journalistes, un art maîtrisé jusqu'au bout par Roch-Olivier Maistre

Face à une vingtaine de rubricards spécialistes des médias, le président sortant de l'Arcom Roch-Olivier Maistre a défendu la nécessité de la régulation audiovisuelle. Sans aller jusqu'à donner le fond de sa pensée, alors que les journalistes multipliaient les questions autour des chaînes de Vincent Bolloré.

"Daniel Schneidermann m'avait dit un jour que le plus intéressant aux déjeuners de l'AJM, ce sont les questions des journalistes. D'ailleurs, tu auras noté qu'une question n'a pas été posée", me confie ce 30 janvier Amaury de Rochegonde, rédacteur en chef adjoint de Stratégies, et président de l'Association des journalistes médias (AJM), après le déjeuner organisé autour du président sortant de l'Arcom, Roch-Olivier Maistre. Laquelle ? "Aucune question n'a été posée sur la couverture du conflit israélo-palestinien. Même si je pense qu'il aurait répondu de manière très générale." Ce midi-là comme lors d'un déjeuner similaire de 2021Arrêt sur images était aussi présent, Roch-Olivier Maistre – qui s'en retournera à la Cour des Comptes dès lundi – a en effet montré, face aux 22 journalistes présents pour l'interroger, tout son talent pour ne pas apporter de réponse précise s'il n'en avait pas l'intention.

Ce n'est pas faute d'avoir essayé pour le journaliste médias de Mediapart, Yunnes Abzouz. Si la décision de ne pas renouveler la fréquence attribuée à C8 semblait prouver que pour l'Arcom, "il ne pouvait pas exister sur une fréquence publique une chaîne d'opinion", lance-t-il entre le plat et le dessert, il "semble assez évident, aujourd'hui, que CNews est une chaîne d'opinion". Alors, enchaîne-t-il, "est-ce qu'il a traversé votre esprit d'attribuer une fréquence par ailleurs au Média pour contrebalancer une chaîne comme CNews ?". Formulation assez imparable, mais parée. "Le cadre juridique pour la chaîne que vous avez évoquée, il a changé. D'abord parce que la convention de la chaîne a changé à l'occasion de l'appel à candidatures, elles ont toutes été revues et celle-là en particulier, parce qu'elle vivait avec celle d'i-Télé qui disait beaucoup moins de choses, et était beaucoup moins précise", répond Roch-Olivier Maistre. 

"Les clauses liées au pluralisme ont été réécrites, elles intègrent la décision du Conseil d'État", poursuit-il en faisant référence à l'obligation de pluralisme politique des intervenants non politiques sur CNews. Décision qui lui semblait par ailleurs inenvisageable jusqu'à ce que le Conseil d'État renverse la table en février 2024, lui qui défendait farouchement, en 2021, la possibilité de ces plateaux de télé où l'on peut tout dire et avec n'importe qui. "Je vois bien ce petit vent venu d'outre-Atlantique qui souffle en ce moment au service du free speech, et par voie de parallèle anti-régulation", avait aussi lancé Roch-Olivier Maistre dans les premières minutes de la rencontre. Il faut croire que les temps ont changé. Mais Yunnes Abzouz n'a pas de réponse quant au refus de fréquence au Média, l'Arcom ayant préféré les groupes CMI de Daniel Kretinsky et Ouest-France en remplacement de C8 et NRJ12. Roch-Olivier Maistre sait qu'aux déjeuners de l'AJM, il affronte rarement plus d'une relance. Il n'est pas de bon ton pour les journalistes d'engager des duels jusqu'à obtenir une réponse. Ici, on n'est pas sur le plateau d'ASI

Que sont ces déjeuners ? Ce jeudi 30 janvier, les employeurs de 22 journalistes spécialistes des médias avaient déboursé 34 euros pour leur déjeuner ainsi que celui du président de l'Arcom (tomates-mozzarella, bœuf bourguignon, tarte aux pommes et café, pas d'alcool). Ils et elles ont pu poser toutes les questions qu'ils souhaitaient à Roch-Olivier Maistre, au premier étage du restaurant parisien le Vieux Châtelet. L'AJM, Daniel Schneidermann a toujours refusé d'y adhérer afin d'éviter l'endogamie naturelle vers laquelle peuvent tendre les journalistes couvrant un même domaine. Conscient·es du travers, les responsables de l'association de journalistes relancée en 2007 ont mis en place quelques règles simples. Ici, pas de boucle WhatsApp avec des communicants, pas de réunions "off" pour les privilégiés et autres joyeusetés avec lesquelles se débattent parfois les journalistes spécialisés et leurs associations.

L'AJM a pour seul objet d'organiser des petits déjeuners et des déjeuners, quelques fois par an, afin d'interroger des dirigeant·es de grands médias ou celui de l'Arcom – et parfois quelques outsiders, tels que le fondateur d'ASI. De quoi permettre un accès journalistique à des personnalités habituellement frileuses ou dont le service communication fait barrage aux prétentions à l'information. Autour de ces rencontres, une règle unique concernant l'invité·e du jour : tout est en "on", c'est-à-dire citable, et attribuable explicitement. Ici, pas de "selon l'entourage de" et autres formules alambiquées d'échanges que le lectorat peinerait à sourcerCe cadrage donne une utilité journalistiques certaine à ces rencontres, malgré la politesse attendue qui en dessine la limite, et le tropisme "business" des journalistes couvrant les médias, pour beaucoup plus intéressé·es par le volet économique qu'éditorial du secteur.  

Ce 30 janvier reviennent ainsi, sous des formulations différentes, des questions destinées à faire réagir l'invité du jour à la dénonciation par le président de Canal+ Maxime Saada, la veille, devant le Sénat, de la "décision arbitraire de l'Arcom" ayant abouti à la suppression de la fréquence TNT de C8 – entre autres protestations quant aux mesures de régulation touchant le groupe Canal+. "Je vois la régulation, au contraire, comme protecteur de l'intérêt général", commente certes Roch-Olivier Maistre. Mais il refuse à l'assemblée la petite phrase qui permettrait de souffler sur les braises du cycle médiatique, ne tenant pas à conclure son mandat par une flopée d'articles du style : "L'Arcom répond au patron du groupe Canal+". "On comprend tous que vous ne voulez pas commenter les propos de Maxime Saada", finit par lancer l'un des attablés. "Vous m'avez bien compris", répond tout sourire le haut-fonctionnaire. Les médias ayant publié des articles issus du déjeuner s'en tiennent donc aux "dernières vérités" (le Figaro), à des citations plus générales tels que "l'avenir des médias se joue entre régulation et liberté" (The Media Leader), ou à d'autres sujets tels qu'une possible future fusion TF1-M6 (Stratégies).

Pas question de brouiller les messages de départ distillés à travers moultes interviews ces derniers jours. Une tournée d'adieux politico-médiatiques menée du Monde aux Échos, de France Inter à la Croix, destinée à défendre son propre bilan de six ans à la tête d'un CSA devenu Arcom en intégrant la défunte Hadopi. Un numéro d'équilibriste pour ce fervent défenseur de la liberté d'expression dont on tire le sentiment, à lire ces entretiens ("Un éditorialiste ne vous plaît pas ? Que fait l'Arcom ! Un journaliste ne vous plaît pas ? Que fait l'Arcom ! [...] Nous ne gagnerons rien dans une approche illibérale", répond-il au Monde), qu'il se serait bien passé de devoir soutenir un bras de fer avec le groupe Bolloré... et son fer de lance Cyril Hanouna. Un fer de lance bientôt privé de chaîne et en partance pour M6, qui n'a pas manqué de consacrer – une fois de plus – une part substantielle d'une récente émission sur Europe 1 à moquer l'Arcom et son président. 

"En un repas, on n'a pas prononcé le nom de Cyril Hanouna", lance un journaliste. Quelques rires traversent la salle. "Est-ce qu'il n'a pas été le plus gros caillou dans la chaussure" de son mandat, est-il demandé après le dessert. "Vous le savez bien, l'interlocuteur du régulateur, c'est l'éditeur, on n'intervient jamais sur les personnes", esquive là encore Roch-Olivier Maistre. Il avait aussi noyé le poisson lorsqu'il avait été demandé à deux reprises pourquoi "les motifs de retrait" de sa fréquence TNT à C8 n'avaient pas été rendus publics. Ce jour-là, aucun·e journaliste n'est présent·e pour défendre, à travers ses questions, les médias Bolloré. Aucun membre des rédactions d'Europe 1, de CNews ou du JDD n'a jamais demandé à adhérer à l'AJM depuis que ces médias ont été rachetés par leur actuel propriétaire, selon le président de l'AJM.

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