La députée, l'économiste, et les violences conjugales
(et elle est même dans l'opposition de l'opposition). Il est économiste de renom. On lit souvent dans les journaux, aux pages économiques, ou politiques, les noms d'Aurélie Filippetti et de Thomas Piketty. Hormis leurs amis et peut-être leurs parents, savait-on qu'ils vivaient ensemble ? Avaient-ils convoqué les photographes, pour les prendre à témoin de leur bonheur ? Les avait-on vus dans Match, au bord d'une piscine ? S'étaient-ils affichés ensemble, au bas des marches à Cannes ? Non.
Elle porte plainte, pour violences conjugales. Le parquet de Paris ouvre une de ses célèbres "enquêtes préliminaires" (mondialement connues depuis l'affaire Julien Dray). L'affaire menace-t-elle le bon fonctionnement des institutions ? De l'argent public a-t-il été détourné ? Y a-t-il risque de conflit d'intérêt ? Non. Et pourtant, Le Figaro révèle confidentiellement le dépôt de plainte. Stupeur des petits cercles: "tiens, ils étaient ensemble". Cruelles heures dans les rédactions, où personne n'ose dégainer le premier. Puis, l'Agence France Presse s'empare du sujet. Elle confirme l'information du Figaro. Preuve qu'elle a fait son travail, elle cite trois mots de l'économiste, évoquant des "histoires de caniveau". L'AFP en a parlé: tous les médias qui le souhaitent peuvent désormais reprendre l'information.
Bien sûr, ils trouveront toutes les justifications du monde. "Ce sont des personnes publiques", diront-les uns. "L'affaire, renchériront les autres, montre bien qu'aucun milieu n'est à l'abri des violences conjugales". Dans nos forums, certainement, certains d'entre vous, sincèrement, justifieront les articles, et la dépêche. "Qu'auriez-vous dit, de quelle omerta auriez-vous accusé lémédias, s'ils s'étaient tûs?" "Elle est tout de même une élue du peuple". Arguments parfaitement recevables, éternelles questions, éternelles réponses, éternel tremblement du scalpel, chargé de découper sphère publique et sphère privée. A partir de quel moment, de quelle fréquence de citations dans la presse, devient-on une "personne publique" ? Et les souffrances privées des personnes présumées publiques, en vertu de quel droit absolu nous en emparons-nous ?
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