Monstrueuses accoutumances
C'est le Huffington Post qui nous alerte sur ce nouveau risque. Notre indifférence est inquiétante. N'est-ce pas monstrueux, de s'habituer ? Ne sommes-nous pas monstrueux, de continuer à vivre ? Muriel Salmona, psychiatre : "Vu la situation de tension permanente, nous ne devrions plus être capables de bouger, d'avancer, ou seulement de prendre le métro". Johann Sfar, dessinateur : "j'ignore comment lutter contre ce sentiment de répétition et d'impuissance". Même la mobilisation, désormais automatique, des web-graphistes, pour créer à chaque attentat le "Je suis Bruxelles", serait un symptôme. Ne va-t-on pas devenir des traumatisés de l'accoutumance ? Comment donc ? Vous bougez encore ? Vous prenez le métro ? Très inquiétant. Allongez-vous ici.
Oui, les narrations monstrueuses peuvent provoquer en nous des réactions monstrueuses, ou, tout aussi monstrueuse, une absence apparente de réactions, dont nous paierons peut-être le prix plus tard. Non seulement, c'est une réaction de survie, mais c'est même la meilleure chance des populations ciblées par les poseurs de bombes. Réaction d'autant plus salutaire, comme le rappelaient l'autre matin les collégiens de France Inter, que l'événement est largement surmédiatisé. Je n'y reviens pas.
Mais il y a autre chose. Sans compétences psychiatriques particulières, cette accoutumance ne semble pas être seulement une réaction aux narrations horrifiques. En période d'emballement terroriste, nous ne sommes pas seulement ciblés par des narrations, comme l'éternellement renaissante vaine guerre des Trissotin (C'est la faute à la pauvreté / C'est la faute à l'Islam), mais aussi par des injonctions... tout simplement incohérentes. C'est de messages inquiétants / rassurants, que nous sommes sans cesse bombardés. Des ministres ont démissionné, mais leur démission a été refusée. L'Etat nous protège, mais il est totalement inefficace. Préparez-vous au pire, mais surtout sans panique. Une opération de police est en cours ce matin, un gros poisson a été arrêté, mais ils sont plusieurs centaines d'autres, prêts à passer à l'acte. Nous sommes débordés, submergés, mais nous vaincrons à la fin. Au moins autant que des images de corps ensanglantés, et si c'était de ces incohérences, que nos pauvres cerveaux cherchaient à se préserver ?
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