Macron / Ruffin : de l'utilité des journalistes
Pendant dix minutes, Emmanuel Macron a déroulé son "adresse aux Français". "Je dois bien reconnaître que cette décision" de dissoudre "n'a pas été comprise", a asséné l'homme qui a fait dorer "RF" sur sa chaise (et seule la sienne) au conseil des ministres. "Je sais bien que certains sont tentés de me rendre responsable de cette situation, c'est beaucoup plus confortable." Alors, il n'assumera rien "à quelques jours des fêtes de Noël". Je vous résume la suite : les député·es sont méchant·es, ils et elles ne pensent pas aux Français·es et ne veulent que la démission de notre bon roi pourtant élu pour cinq ans – ne cherchez surtout pas de mention de la pratique gaullienne de la Ve République, cela risquerait d'abattre l'argumentaire.
Et puis, alors que la Macronie avait distillé toute la journée du jeudi ses éléments de langage à propos de la nomination d'un premier ministre sinon le soir même, du moins dans les 48 heures, il est désormais question, dans la bouche d'Emmanuel Macron, des "prochains jours". Comme toujours, on peut saluer la sagacité des chaînes d'information qui ont, de manière aussi complaisante qu'unanime, relayé cette nouvelle fable élyséenne. Poing serré dépassant des boutons de manchette de sa chemise à poignets mousquetaire, le voilà qui met en avant la réussite des JO et la reconstruction de Notre-Dame pour s'attribuer le mérite du "cap clair" et de l'attribution d'un "rôle essentiel" à chacun·e.
Vous savez ce qu'il manquait à cette "adresse aux Français" ? De la contradiction, des questions, bref, des journalistes. Ces journalistes que la nouvelle conseillère presse internationale d'Emmanuel Macron s'évertue à tenir à l'écart à chacun de ses déplacements à l'étranger – a révélé le Nouvel Obs. Et pas forcément des journalistes politiques issu·es du sérail sciencespiste ou d'une "école reconnue". En réalité, n'importe quelle contradiction solide eut fait l'affaire, et montré son utilité démocratique face à un président qui persiste à s'imaginer monarque.
Une utilité démocratique dont on a eu une excellente preuve pas plus tard qu'il y a quelques jours, avec son antagoniste politique amiénois, j'ai nommé François Ruffin. Le 27 novembre, l'Humanité diffuse en direct sur Twitch sa nouvelle émission, Ça ira !, avec pour premier invité ledit François Ruffin. La vidéaste-éditorialiste Lumi, que nous avions reçue pour évoquer le traitement médiatique de la guerre à Gaza, lui a logiquement demandé : "Pourquoi vous ne parlez pas de génocide pour ce qu'il se passe à Gaza ?"
Réponse de l'intéressé : "Est-ce qu'il va y avoir une extermination des Palestiniens ? Non. Ce n'est pas ça le sujet." Il ajoute qu'il y a "une volonté de destruction de la société palestinienne, de destruction de sa culture, de destruction de son peuple en le faisant éclater en différents lieux". Mais pas de "volonté de l'extermination de tous les habitants".
Le 5 décembre, François Ruffin revient sur l'épisode. "Vous causez au micro, et aussitôt après, vous le regrettez", introduit-il sur son blog. Un double regret qui porte "à la fois sur le ton : raisonner à distance, sans dire l’horreur de Gaza, les souffrances des enfants, les larmes des mères", et "sur le fond : car oui, il s’agit bien d’un génocide". Après des recherches qu'il raconte, il est ainsi arrivé à la conclusion que "le droit international l’affirme, aucun doute : le peuple palestinien subit un génocide".
On peut lui reprocher de n'avoir pas procédé à ces recherches avant que la question lui soit posée en direct, plus d'un an après le 7-Octobre et la guerre qui a suivi. On peut aussi et surtout constater que Lumi a joué son rôle. Celui qu'aucun contradicteur, aucun·e journaliste n'a pu jouer face à Emmanuel Macron.
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