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L'enseignement de l'arabe en France, trou noir médiatique

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C'est d'autant plus problématique que les parents qui souhaitent que leur enfant apprennent l'arabe n'ont parfois pas d'autre choix que de se tourner vers l'école coranique, même s'ils préfèreraient un enseignement laïque.

Pour reprendre un commentaire précédent que j'avais posté à ce sujet, et l'étoffer un peu.

Oui, les politiques françaises, ancrées dans un rapport particulier à l'histoire coloniale française sont un véritable gâchis.

Et rappelons le, ces politiques ne(...)

Il faut comprendre.


L'arabe, ce n'est pas un marché porteur, si l'on prend en compte la vitesse à laquelle ils disparaissent à Gaza, en Cisjordanie et au Liban.


En plus, nous la France, on n'a même plus de colonies où on parle arabe. 

En plus plus,(...)

Derniers commentaires

Hors-sujet, mais ce Guémart, juste par la photo, il a pas l'air sympa...

ASI : Toujours à l'avant garde de la dhimmitude...

On est jamais assez préparé.

Spoil : Vous aurez beau faire, vous serez les premiers à y passer.

Merci Loris pour ce sujet et son traitement 

Bonjour,

dans le bassin minier, où des prolos de toutes origines ont trimé et crevé au boulot pendant plus d'un siècle, très peu parlaient la langue de leurs parents, d'une part car c'était interdit à l'école (de même que parler chti ou flamand à la récré était sanctionné d'heures de colles jusque dans les années 80), et c'était mal vu au boulot et dans les cité minières, même celles à dominante polonaise, il n'y avait que chez quelques commerçants et à l'église que la langue polonaise était tolérée. J'avais de nombreux camarades d'origine polonaise, qui ne parlaient pas un mot de polonais, et chez mes grand-parents il était interdit de parler néerlandais, seuls les jurons étaient proférés dans la langue des ancêtres :-)

Pour reprendre un commentaire précédent que j'avais posté à ce sujet, et l'étoffer un peu.

Oui, les politiques françaises, ancrées dans un rapport particulier à l'histoire coloniale française sont un véritable gâchis.

Et rappelons le, ces politiques ne reflètent pas, par ailleurs, le rapport historique à la langue arabe et son enseignement, enseignement qui commença à la création de la Sorbonne, car la langue arabe était alors une manière d'accéder à la culture classique, souvent mieux préservée en arabe qu'en grec ou latin (si mes souvenirs sont bons François Rabelais était arabisant, par exemple), puis, par la suite dans le cadre des rapports diplomatiques avec l'empire Ottoman, pour former des traducteurs, parlant arabe, persan et turc...
La construction nationale et l'aventure coloniale française ont profondément modifié ce rapport historique à l' enseignement de la langue arabe en France, pour aboutir à une situation de rejet de celle-ci.

Pour l'anecdote personnelle, j’ai grandi au Liban, où ma scolarité était en arabe le matin et en français l'après-midi - retour en France dans les années 1980, puis départ pour l'Australie, où je suis devenu anglophone, perdant la langue arabe (dialectal syro-libanais avec lequel je jouais dans la cours de recré puis, en primaire, arabe littéraire, lecture, grammaire, dictée) - mon père est arabophone, mais a lui aussi un rapport compliqué avec la langue, et n'a fait aucun effort pour m'aider à la maintenir - ce qui pouvait se comprendre vu que j'étais scolarisé dans le système anglophone.

Retour en France adolescent, et scolarité dans un lycée à sections internationales, histoire, géo, littérature en anglais, etc., etc... Mais aussi premiers retours au Liban après la guerre civile, en vacance, et oui, cette sensation de ne pas/plus pouvoir parler. Mots familier, salutations familiales, et c'est tout. La sensation étrange d'un oubli.


Puis la vie m'amène un travail de terrain au Liban et en Syrie au début des années 2000, et la nécessité directe de pouvoir communiquer en arabe.

Cours express (en mineure) d'arabe dialectal aux Langues O' / INALCO (une erreur, j'aurais du passer directement par le littéral, qui permet de mettre du sens aux variations dialectales), et redécouverte de la langue - puis poursuite par des cours d'arabe littéral (arabe standard moderne, la langue de la littérature et des médias) en DULCO.
Un père qui ne m'aide toujours pas, mais j'ai retrouvé la langue, sa lecture et le reste. Que ce soit des textes médievaux, de l'arabe de presse, de poèmes ou extrait de romans du levant ou d'ailleurs...



Pour relier cette anecdote personnelle à la question de l'enseignement (supérieur, universitaire dans mon cas) et du statut particulier de la langue arabe, j 'ai donc étudié l'arabe aux Langues O' (INALCO), où j'ai également, quelques années plus tard, étudié le japonais jusqu'en licence.

A l'époque, l'arabe était enseigné aux Grésillons à Asnières, et le japonais dans la fac de Dauphine -  symbolisme géographique plutôt intéressant...
Puis le vieux rêve de réunir les différentes sections de l'INALCO - séparées depuis les années 1960 - dans un même lieu s'est enfin matérialisé - en 2011 si mes souvenirs sont exacts - avec la création d'un pôle dans le 13e arrondissement de Paris, aux Grands Moulins, dont j'ai essuyé les plâtres avec mes camarades.


Et cependant, le choix d'un lieu pour accueillir cette prestigieuse institution (fondée par Colbert pour former des drogman, traducteurs/intérprètes indispensables dans le cadre de la diplomatie ottomane tout de même...) ne fut pas sans difficulté. Eh oui, même pour un pôle de l'enseignement supérieur mondialement reconnu, l'équivalent française de la SOAS anglaise...

De nombreuses propositions de lieux envisagés pour accueillir l'INALCO / Langues O' rencontrèrent une vive opposition, reposant principalement sur, eh oui, une peur de voir le quartier fréquenté par les "orientaux" de tout poil, venus étudier ou enseigner dans cet Institut National des Langues et Civilisations Orientales....

Oui, au-delà de la construction identitaire nationale longtemps centrée sur le français et rien que le français pour tous ("pas cracher par terre et parler breton / patois" tout ça) la langue arabe fait peur.
Un imaginaire touffu - une langue de colonisés (ou mandataires pour le levant...), une langue de travailleurs immigrés, des pays pauvres du sud-global, une langue de cet "autre" miroir "oriental" d'une construction identitaire "occidentale", une langue de l'islam, de l'islamisme et du communautarisme donc, du terrorisme jihadiste ou autre, et bien d'autres associations aussi fleuries que géneralement négatives.

Mais au-delà de ces constructions, la langue arabe existe, et c'est une langue bien vivante. Une langue de presse, de littérature, de culture, une très belle langue, avec de sa forme classique et standard moderne, complétée par la complexité de ses variations dialectales. Et une langue qui, sous une forme ou une autre, comprend de nombreux locuteurs, en France et à travers le monde.
Au lieu de nier à cette langue le droit d'exister au sein de l'identité française, normaliser son apprentissage serait bien une force pour la France, et aussi une manière positive et constructive d'approcher l'histoire coloniale et la réalité du pays, et l'avenir de celui ci.
Plutôt que de craindre que l'enseignement langue entraîne un "replis communautaire", l'enseigner serait une occasion d'intégrer de plein droits ses locuteurs à une communauté élargie, où nos différences ne nous divisent pas, mais nous renforcent.


En guise de conclusion,  je recommande aussi cet article du Monde Diplomatique publié en 2012 sur l'enseignement de la langue arabe en France, "L'arabe, une langue de France sacrifiée", par Emmanuelle Talon

https://www.monde-diplomatique.fr/2012/10/TALON/48275


ainsi que la réaction à celui-ci soumise par Jean-Pierre Maillard, ancien proviseur du Lycée International de Saint-Germain en Laye, qui évoque son échec à développer une section arabe au LI (lycée qui dispose aujourd'hui, en plus des langues originales de pays membres de l'OTAN - liées à l'histoire du lycée - d'une section japonaise, chinoise ou russe par exemple...)
Je crois me souvenir qu'Emmanuelle Talon avait participé à une émission ASI sur ce sujet, mais je la retrouve pas.



Pour centraliser quelques liens sur ce sujet:
https://www.monde-diplomatique.fr/2012/10/TALON/48275
https://www.monde-diplomatique.fr/2012/11/A/48461

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/30/le-bon-arabe-c-est-celui-qui-choisit-d-etre-le-meilleur-en-francais-plutot-qu-en-arabe_6054144_3232.html
https://www.lemonde.fr/education/article/2015/06/18/l-arabe-au-ban-de-l-ecole_4657092_1473685.html




Il y aurait beaucoup à dire sur votre témoignage, mais pour rester factuel -- Rabelais n'a certainement pas été arabisant, et l'arabe n'a pas été enseigné dès les débuts de la Sorbonne... pas davantage que le grec, en fait.

Pour séparer "la" langue de "la" théologie, François Ier a... encouragé, sinon vraiment financé, la création d'un collège des trois langues (grec, latin, hébreu), futur Collège de France -- l'arabe n'est venu que plus tard dans le siècle...

Merci pour ces précisions factuelles.

Au delà de la Sorbonne, en creusant sur l'enseignement de l'arabe en France au XIIIe et début du XIVe siècle, sur une période qui coïncide peu ou prou avec la création des universités on trouve par exemple la décision de créer de chaires / écoles de langue arabe à Paris après le concile de Vienne (1311/1312).
Les langues concernées sont donc bien l'arabe, mais aussi l'hébreu et le "chaldéen" - mais là aussi, difficile de savoir comment fut appliqué ce décret (qui concernait Paris, mais aussi Oxford, Bologne, Salamanque Avignon et le siège de la Curie romaine) - cependant une chaire d'hébreu fut par exemple bien crée à Paris en 1319
Pour l'arabe, on peu se demander si cette décision s'incrivait strictement dans une perspective théologique ou plus vaste.

Pour ce qui est de la Sorbonne ancienne, voici ce qu'en dit le site passerelle de la BNF, évoquant par exemple l'influence des reformes introduites en Allemagne par Albert le Grand, portant sur l'introduction des sciences arabes et grecques (nécessitant donc un accès à la langue).
                                           
1257 - La Fondation de la Sorbonne
                                                                                                       
En 1257, la fondation du collège de Sorbon change la façon d’étudier. Louis IX finance Robert de Sorbon, prêtre et docteur en théologie, pour qu’il ouvre un collège à Paris. Le collège de Robert de Sorbon accueille d’abord une trentaine d’étudiants pauvres, qui y vivent une vie austère et studieuse, et qui bénéficient d’une bibliothèque assez fournie pour l’époque : 107 livres en 1290.


Le collège de Sorbon ne tarde pas à être connu dans toute l’Europe, sous le nom de "Sorbonne". La création de ce collège va de pair avec une révolution de l’enseignement qui touche toute l’Europe : dès le milieu du 12e siècle, des universités ouvrent, comme à Bologne en 1150 ou à Oxford en 1156.
Les matières étudiées évoluent : en Allemagne, Albert le Grand (vers 1200-1280) est l’un des premiers à introduire la philosophie grecque et les sciences arabes et grecques, en plus des cours de latin et de théologie.


Albert le Grand qui fut notamment accueilli par la jeune Université de Paris au XIIIe siècle.

Mais comme vous le soulignez, si nous avançons dans le temps, pour ce qui est du début l'époque moderne, c'est toutefois bien plus clair, avec de nombreuses sources sur l'enseignement de la langue arabe dans les universités européennes, comme ces études de cas en accès libre issus de The Teaching and Learning of Arabic in Early Modern Europe 

****

Sinon j'ai oublié le lien vers la réponse / commentaire de M. Maillard, ancien proviseur du Lycée International de St Germain en Laye, sur sa tentative d'y introduire une section langue arabe, la voici:

https://www.monde-diplomatique.fr/2012/11/A/48461


Réponse qui se termine par la constatation suivante:

Enfin, en tant que proviseur du Lycée international, à la fois lycée, collège et réseau d’établissements associés, je n’ai jamais pu créer une section franco-arabe, alors que cela a été possible pour une section japonaise. (…) 

Bien sûr, le problème, pas seulement en France, est bien de débarrasser l’arabe de son statut de langue de l’immigration (même chose en Allemagne pour le turc), et tout ce que vous dites à ce sujet est vrai, mais une réflexion de fond sur le multilinguisme dans les systèmes scolaires est indispensable si l’on veut que l’école (de la République) participe vraiment au renouveau social et économique nécessaire.




    Reportons-nous aux sources :
-- BnF :
"En 1257, la fondation du collège de Sorbon change la façon d'étudier (...) La création de ce collège va de pair avec une révolution de l'enseignement (...) dès le milieu du XIIe siècle, des universités s'ouvrent (...) Bologne en 1150 ou Oxford en 1156"
 -- les malheureuses ont donc dû attendre un siècle pour que "la Sorbonne" leur apprenne à enseigner...
Par malencontre, il se trouve que les premiers "collèges" n'étaient, par ailleurs,  pas des lieux où l'on enseignait...


 -- IMA :
notre éminent ministre de la culture, qui nous apprend que François Ier créa le Collège de France pour "enseigner entre autres l'apprentissage de l'arabe ou de l'hébreu" mais que "L’arabe fait une première incursion au Collège avec la nomination, en son sein, d’un médecin arabisant haut en couleur, Arnoult de Lisle, en 1587", soit quarante ans après la mort de François Ier (ce n'est toutefois pas lui qui aurait dit "j'ai failli attendre"),
évoque plus loin "la lettre [rapportée par Rabelais] que son personnage Pantagruel adressait à son fils Gargantua" (c'est presque ça)...
    Le Moyen Age n'est pas une période obscurantiste, mais... on peut lire (en français) des études sur le faible niveau de l'étude du grec avant la "renaissance" célébrée par (entre autres) Rabelais -- qui, toutefois, a vu ses livres de grec et ceux de l'ami avec qui il étudiait cette langue, confisqués par ses supérieurs franciscains...


-- quant à Rabelais arabisant, adhuc sub judice lis est : l'auteur de la Pantagruéline prognostication évoque son professeur d'arabe, mais son attribution à Rabelais reste discutée; il y a -- entre autres... -- de l'hébreu (avec des fautes) et du basque chez Rabelais, mais cela ne saurait constituer une "preuve".


* * *


    En tout état de cause, rien de tout cela n'a quoi que ce soit à voir dans l'enseignement de la "langue de l'immigration"...

En tout état de cause, rien de tout cela n'a quoi que ce soit à voir dans l'enseignement de la "langue de l'immigration"...


Si ce n’est de souligner que l’histoire de l’enseignement de l’arabe est ancienne, en France comme dans le reste de l’Europe de l’Ouest.
Que l’on remonte au Moyen-âge ou à l’époque moderne, nous pouvons discuter des dates exactes, des contextes et des motivations (théologiques, scientifiques, commerciaux, politiques et diplomatiques, militaires…), mais cela ne change pas le fait que l’enseignement de la langue arabe s’inscrit dans une histoire ancienne dans ce pays, et que c'est bien  l’enseignement de cette langue qui semble poser plus de problèmes aujourd’hui, au XXIe siècle, que par le passé.

Certes, les choses se compliquent avec la constitution des projets nationaux des communautés imaginées servant de trame de fond aux États-nations, puis l’ouverture de la période coloniale et la fin de l’Empire Ottoman.

La langue arabe devient effectivement la langue des colonisés, puis cette la langue de l’immigration que vous évoquez – en théorie du moins (la situation est complexe en Afrique du Nord, principale source d'une immigration potentiellement arabophone, avec un spectre de l’oralité comprenant les langues berbères et les dialectes arabes, et un accès à une langue plus littéraire allant de l’arabe coranique à l’arabe standardisé, acquis dans un cadre scolaire).


Mais le fait reste que la langue arabe existe bel et bien, comme langue vivante, littéraire, politique, indépendante des vagues migratoires ou des constructions nationales.
La langue arabe (dans sa diversité) est d’ailleurs l’un des facteurs clés de la définition nébuleuse de l’arabité.

Est-ce là le fond du problème ? Le fait d’être de nationalité française ne peut pas se combiner avec une forme d’arabité (notion bien complexe et parfois abstraite) ?

On peut citer ici l’exemple de certains nationalistes chrétiens du Liban qui allèrent jusqu’à suggérer que l’arabe libanais descendrait directement phénicien, qui se serait développée sur place, et serait en cela une langue non-arabe (c’est faux, l’arabe libanais, comme les autres dialectes levantins, est certes fortement influencé par l’araméen par exemple, avec aussi une bonne dose de lexique turc, mais reste bien un dialecte arabe).


Les crispations qui entourent l’enseignement de l’arabe en France sont pour moi bien liées à cette histoire et ce contexte si particulier – un contexte un peu anachronique, où le monolinguisme n’est plus vraiment perçu comme un facteur unificateur, comme c’était le cas par le passé, où faire la chasse à la diversité linguistique visait à renforcer le corps de la Nation.
Ce monde là n’est plus, et le bilinguisme est accepté, et même encouragé.

Et pourtant, c'est dans ce même contexte que l’on ne souhaite pas, pour des raisons politiques, donner sa chance à une langue dont la pratique pourrait pourtant apporter beaucoup, à la nation française et à ses constituants, surtout dans le cadre géopolitique dans lequel nous évoluons.

Il faut se poser la question de façon claire : de quoi a-t-on peur ?
Quelle menace pour la France et la Nation française représente un enseignement accessible de la langue arabe ?

Je ne connais l'arabe que de loin, et je n'ai pas le don des langues, excusez-moi par avance des questions qui me viennent.

Je sais qu'on enseigne le chinois dans des établissements à Paris, mais pas aux chinois. Aucun chinois ne tire profit de la filière, ou peu. En tout cas pas de la même façon que des élèves aux origines espagnol.es, italien.nes ont pu briller. 

Qu'est-qu'on espère de l'apprentissage de l'arabe dans un parcours scolaire? Un bonus pour les élèves originaires des pays où on le parle, comme ça a pu se voir pour l'espagnol? Ou bien comme pour le chinois un bonus pour futurs commerciaux de haut vol, un tri élitiste?

Dans les pays arabophones comment se passe l'apprentissage? Qui cassera mes préjugés d'ignorante sur l'arabe tel qu'on le parle, l'arabe littéral, etc? Préjugés qui font que j'ai l'impression d'un apprentissage demandant un peu plus de temps que l'anglais à la grammaire un peu simplette sauf verbes irréguliers qu'on nous met par ordre alphabétique juste pour compliquer leur usage. Savoir écrire l'arabe c'est ardu ou au contraire? Est-ce que ce n'est vraiment que du rejet envers les personnes ou est-ce que la langue en elle-même présente une difficulté d'enseignement? 

Très bonne question  – le sujet m’intéresse, et ma réponse sera donc bien trop longue – je m’en excuse...

Pour essayer de faire simple, l’arabe se divise entre des formes parlées (dites dialectales) et des formes littéraires, qui peuvent être écrites ou parlées (arabe standard moderne, arabe classique, médiéval ou coranique par exemple)


Ce qui enseigné a l’école dès le primaire est ce qu’on appelle aujourd’hui l’arabe standard moderne, une forme, simplifiée et modernisée de l’arabe classique, qui n’est pas spécifique à un pays en particulier, et commune à tous les pays arabophones.

 C’est la langue utilisée dans la presse, la littérature, les médias (télévision, radio, internet) en général, mais aussi pou le doublage ou sous-titrage des films ou dessins animés, par exemple.


Cette langue standard permet de suivre le journal télévisé, d’écrire une dissertation pour le bac ou son équivalent, d’écouter la radio, de lire une nouvelle de Naguib Mahfouz, un poème de Joseph Harb ou de Mahmoud Darwish, la plupart des chansons de Fairouz, les breifings d’urgence dans un avion, une traduction du Capital de Karl Marx ou à des interlocuteurs venus de pays différents de débattre à la télé (mais la langue dialectale – maternelle - repointe vite le bout de son nez à mesure que s’échauffe les débats…)


Cette langue standard découle de l’arabe classique, auquel elle permet un accès relativement aisé (même si la langue a évolué, et que certaines conventions grammaticales ne sont plus les mêmes).


Cette langue standard est donc commune à tous les pays arabophones, du Maghreb à l’Irak ou ailleurs.

Est-elle particulièrement difficile ?

Oui et non. La grammaire arabe est logique, avec beaucoup moins d’exceptions qu’en français, mais certaines règles peuvent mettre du temps (accord au féminin pluriel des « sœurs de kana », liaison grammaticale idafa, etc etc).

La lecture que vous mentionnez pose un problème particulier.
Pas pas l’alphabet s’apprend en deux semaines, sans réel problème (oui, il y a la forme isolée de la lettre, sa position initiale, médiale ou finale, mais ce n’est pas difficile).
Oui, quelques lettres (emphatiques, 3ain sont un peu difficiles à prononcer, mais cela se travaille)

Par contre, comme les autres langues sémitiques (hébreux, araméen, etc), l’arabe n’écrit que les consonnes, car ces langues reposent sur des racines consonantiques trilitères, qui donnent le sens du mot, et à partir duquel on applique des schèmes (affixes et voyelles ) qui déclinent le sens.

L’arabe possède trois voyelles A I OU qui peuvent être longues (â î ôû ou courtes a i ou), mais le sens est dans la racine consonantique.

 C’est le même principe en hébreu, avec qui l’arabe partage beaucoup de racines.

Un exemple la racine K.T.B a le sens d’écrire.

la forme verbale vocalisée KaTaBa donne le verbe écrire à la troisième personne du singulier, ce qui joue le rôle d’infinitif en arabe.

À partir de cette racine KTB, on peut appliquer d’autres schèmes, et dériver maKTab (le bureau) KâTiB (l’écrivain) KiTâB (le livre), etc etc


Pourquoi est-ce important ?

Et bien par ce que l’enjeu de l’apprentissage de la lecture est de lire SANS indication des voyelles courtes

Et ça, c’est difficile. Les voyelles longues s’écrivent, mais pas les voyelles courtes.
Elles peuvent se noter (les voyelles courtes sont n pour le Coran ou pour les textes pour enfants), mais ne le sont pas (cela charge la lecture, c’est très désagréable en fait).


Donc l’enjeu de l’apprentissage de la lecture va être de reconnaître les formes pour les vocaliser correctement.

Pour un arabophone, c’est plus ou moins facile et vient naturellement – pour un non-arabophone, ça l’est moins et cela nécessite un travail d’apprentissage des formes (qui sont heureusement limitées), et une lecture qui anticipe le mot pour le vocalisé.


Est-ce difficile, oui un peu, mais moins que la lecture et vocalisation des caractères chinois en japonais par exemple...


Donc, pour revenir à mon exemple, sur la racine KTB avec le sens d’écrire, le bureau s’écrira MKTB – comment savoir que cela se lit MaKTab et non MouKitab ou MaKouTib par exemple ?
Et bien c’est en reconnaissant le schème des qui se vocalise mXXaX (X étant la racine consonantique)


Le schème des noms de lieux (où l’on fait l’action) est, par exemple, maXXaXa


Combinant celui-ci avec des racines consonantiques :

DRS = idée d’étude +  schème des noms de lieu maXXaXa = maDRaSa = école


L’autre difficulté étant que les dictionnaires arabes sont organisés alphabétiquement par racines, dont maDRaSa l’école est à chercher à la lettre D et non M par exemple.


C'est là la principale difficulté de la lecture en arabe.
L'écriture est elle assez rapide (ce dont les turcs se sont rendu compte lorsqu'ils sont passés du système consonantique des lettres arabe à l'alphabet latin - la cursive arabe, consonantique donc, est plus rapide à écrire)

S'exprimer dans cette langue, ou dans ce niveau de langue à l'oral nécessite un certain entraînement, une pratique, qui s'aquiert à travers l'éducation, surtout au secondaire.
Ce n'est pas particulièrement facile, il faut bien conjuger, respecter certaines r`gles grammaticales qui sautent en dialecte, et aussi utiliser le bon lexique (verbes, noms, adjectifs), et prononcer correctement (certaines lettres plus difficiles à prononcer ont tendance à sauter dans les dialectes, ou a être remplacées par d'autres).

***


Après pour ce qui est formes parlées, les arabophones grandissent en parlant un dialecte, c'est à dire une forme parlée,  dialectale dérivant elle-même de la langue arabe classique, que l’on peut regrouper en grands groupes dialectaux (arabe maghrébin, arabe égyptien, arabe levantin, du Golfe, etc).

Pour illustrer, une chanson de Fairuz en arabe littéral (adaptation d'un poème de Joseph Harb), et voici une autre chanson de Fairuz en dialectal libanais/levantin légèrement "standardisé"


L'arabe dialectal est une forme simplifiée grammaticalement, avec aussi des influences grammaticales et lexicales diverses en fonction des régions.


Mais il existe aussi des variations au sein de ces grands groupes (l’arabe maghrébin peut se diviser en arabe marocain, arabe algérien, arabe tunisien, le levantin en arabe syro-libanais et palestinien), et au sein du dialecte même (l’arabe palestinien n’est pas exactement le même au sud qu’au nord par exemple), avec là encore des variantes d’accent et de lexique.


Un locuteur à l’oreille fine pourra savoir si un Syrien vient d’Alep ou de Damas, et même, dans certains cas, de quel quartier dans cette ville (!)


Ces formes dialectales ne s’écrivent pas, traditionnellement, même si la situation change, évolue.

Certains auteurs ont commencé à écrire en dialecte après guerre, et il faut aussi prendre en compte l’influence d’internet, qui permet de publier, à l’oral comme à l’écrit, dans sa langue.
Sur YouTube, les recettes de cuisine oscillent entre arabe standard moderne et dialectal, surtout pour des dialectes plus généralement compris comme les dialectes levantins.

Mais transcrire le dialecte reste compliqué, et pose de nombreuses questions pratiques.


À ce sujet, j’ai déjà mentionné le mouvement nationaliste de certains chrétiens du Liban qui allèrent jusqu’à suggérer que l’arabe libanais descendrait directement phénicien, qui se serait développé "sur place", et serait en cela une langue non-arabe.
Par extension, l'idée est aussi que les Libanais ne seraient pas arabes, mais phéniciens.
Ce mouvement nationaliste publia un journal en arabe libanais (en lettres latines) et visaient à faire reconnaître l’arabe libanais comme un isolat linguistique…
Il existe encore un peu aujourd'hui 

(note: linguistiquement, c’est faux, l’arabe libanais, comme les autres dialectes levantins, est certes fortement influencé par l’araméen par exemple, avec aussi une bonne dose de lexique turc, mais reste bel bien un dialecte arabe, dérivant de l'arabe, et non une langue locale influencée par l'arabe...).


***

Pour ce qui est de l’intelligibilité des dialectes – et bien c’est compliqué, avec de grandes variations d’accent, lexicales et grammaticales.


Il faut aussi évoquer la diffusion des dialectes, avec la chanson – de nombreuses chansons sont en dialectal, chansons de Fairouz ou d’Um Kalthoum, généralement levantin ou égyptien (bien que les dialectes maghrébins  connurent une heure de gloire avec les chansons du raimais restent difficilement compréhensible - au delà de la Tunisie - par les locuteurs d'autres dialectes), et la télévision, ou encore une fois l’égyptien et le Syro-libanais se sont imposés par le passé avec des séries à succès en dialectal (même si la majorité reste en arabe standard moderne).


Il s'agit donc d'un continuum linguistique, un locuteur d’arabe syrien n’a pas de difficulté pour parler avec un locuteur d’arabe palestinien, mais ne comprendra pas vraiment un locuteur d’arabe marocain (par contre, un locuteur d’arabe marocain comprendra plus facilement un locuteur levantin, don't le dialecte est plus répandu par les médias).

L’arabe du Golfe est difficile a comprendre pour un Levantin.

Un locuteur d’arabe maghrébin pourrait facilement comprendre le maltais (pour citer une langue européenne issue de l’arabe) … Bref…


Et n’en déplaise à mon père et son amour des formes levantines, la variante dialectale la plus proche de l’arabe standard moderne dans la grammaire comme le lexique est aujourd'hui l’arabe égyptien...

L’arabe levantin est, par exemple, fortement influencé par l’araméen (qui donne des variations grammaticales et lexicales, et aussi de prononciation, le “a” final (ta marbuta) devenant un é, comme dans un mot que vous connaissez sûrement, tabbouleh – mais aussi par le turc et le français), l’arabe maghrébin est influencé par les langues berbères, qui influent sur sa prononciation (raccourcissement des voyelles longues, etc)

L’intelligibilité dialectale est influencée par la distance relative du dialecte avec les formes standard (simplifications influences grammaticales et lexicales d’autres langues comme les langues berbères, le turc, l’araméen, le persan ou encore le français ou l’anglais...), et aussi par la diffusion internationale du dialecte (séries égyptiennes par exemple)


Bref, heureusement que nous avons l’arabe standard moderne comme langue commune et standard.


Au delà de l’écriture, n’est pas facile de la parler (et c’est généralement reservé à une prise de parole publique, officielle), et cela nécessite un apprentissage (scolarisation) et une certaine pratique, mais c’est une langue vivante d’une grande richesse.

L’éloquence en arabe (littéral, donc) est particulièrement appréciée – Yasser Arafat n’était pas très à l’aise avec le littéral, à l’opposé des discours de Nasser, par exemple, ce qui joue sur la perception de l'orateur public.


****

Pour revenir à votre message, oui, le chinois est également peu enseigné, et c’est une autre langue de France qui n’est pas assez valorisée – le chinois enseigné est le mandarin, qui joue le rôle de lingua-franca entre les différentes langues chinoises.
On pense à l’enseignement du mandarin en Asie du Sud-Est (Malaisie, Singapour...), très répandu dans les pays ayant d'importantes minorités chinoises.

La différence étant, en France, le nombre de personnes issues d’un contexte arabophone, qui est bien plus important que pour les autres langues dites de la colonisation ou de l’immigration.

Et aussi la réalité d'une langue aujourd'hui bien plus stigmatisée que les autres, notamment en raison de l’histoire récente du pays, du poids du rapport colonial, et aussi de l’association de la langue arabe avec l’islam, qui est une source de crispation assez particulière.


Rappelons juste que de nombreux pays ou peuples où la religion musulmane est majoritaire ne sont pas arabophones (Indonésie pour citer le plus grand, mais aussi l’Iran, la Turquie, le Pakistan, Bangladesh, et d’autres…) mais parlent plutôt une forme de malais, de turc ou de farsi/person, l’urdu, bengali, kurde ou chinois (avec une exposition à l'arabe très limitée, circonscrites au versets coraniques essentiels comme Al-Fatiha)

Et rappelons aussi qu’il existe - même si ce sont des populations minoritaires – des population arabophones qui ne sont pas musulmanes (peuvont aussi être chrétiennes, druzes ou juives par exemple).
Voici une messe maronite en arabe (les prêches sont en arabe dialectal, la liturgie en littéral)

À ce propos, voici une blague qui circulait pendant la guerre civile libanaise: une bonne-soeur (nonne) se déplaçant dans la montagne libanaise est contrôlée par des miliciens à un check-point.
Les élections n'étant pas loin, ils lui demandent, par curiosité, qui elle soutient politiquement.
Ce à quoi elle répond: "mon fils, mon parti à moi, c'est le parti de Dieu" --- ce qui ce dit Hezb Allah en arabe ˆˆ



Ce n’est pas pour nier qu’il existe un lien historique indiscutable entre la / les langue(s) arabe(s) et l’islam. Oui, l'arabe a remplacé les langues locales dans les pays les plus proches du foyer original d’expansion de la religion musulmane  (araméen au Mashrek, langues berbères au Maghreb par exemple), mais notons que ce ne fut pas le cas plus tard, et ailleurs.

De plus, la situation est aujourd’hui, des siècles après cette expansion médievale, bien plus complexe, et il me semble particulièrement dommage de réduire la langue arabe à son lien historique avec le Coran et l’islam, surtout dans le but d'agiter le spectre d'une domination culturelle et religieuse ("civilisationelle"...) dont la langue arabe serait une forme de cheval de Troie...

A delà des religions, rappellons également que la langue arabe est aussi au coeur de la notion assez abstraite d'arabité - rappelons à ce propos la définition de 1946 de la Ligue Arabe: "une personne dont la langue est l'arabe, vivant dans un pays arabophone, et qui partage les aspirations des peuples arabophones".

Mais essentiellement, la langue arabe est aussi... une langue.

Une langue bien vivante, une langue des médias, de la presse, et de la littérature, une langue internationale et, osons le dire, multiculturelle (ce qui est normal pour une langue comptant entre 449 et 480 millions de locuteurs estimés dans le monde...)


Face au crispations et à cette crainte d'un "repli identitaire" lié à un enseignement accessible de la langue arabe, je  pense au contraire que le fait de décomplexer - en France particulièrement - le rapport à cette langue et à son apprentissage permettrait d’offrir une alternative réelle.

Un alternative à une construction identitaire "communautaire" ou "communautariste" présentée comme en opposition diamétrale à une identité française idéalisée, mais qui, dans le réel, fait bien le grand écart entre une aspiration universaliste et un référent culturel nativiste ("de souche", culturellement "européen", chrétien, etc...)

Oui, la langue arabe, par son histoire et par le nombre de personnes ayant un lien avec celle-ci (la deuxième en nombre de locuteurs) est bien une langue de France.

Être français, et bénéficier d'une éducation permettant d'atteindre un excellent niveau d’arabe, en plus du français et de la lingua franca internationale qu'est l'anglais, devrait être perçu comme une chance, un atout.

Et favoriser l'accès à cette langue actuellement dévalorisée pourrait peut-être ouvrir une autre voie d’intégration à la nation française.
Une nation qui serait alors plus en accord avec la réalité complexe qui la sous-tend qu’avec imaginaire identitaire réactionnaire, tendant à percevoir l’altérité non comme une richesse et une force, mais comme une menace...

Whaouhhh. Merci !

Votre conférence est prête :-) 

Quand et où?

Je n'osais pas vous répondre, vous dire tous mes remerciements, uniquement pour laisser votre message en dernier paru, qu'il soit prêt à cliquer.. Car faire remonter un message tardif en commentaire préféré est mission impossible souvent.

Long ou pas, je l'ai lu d'une traite. Puis les liens. 


Très bonne question  – le sujet m’intéresse, et ma réponse sera donc bien trop longue – je m’en excuse...

Pour essayer de faire simple, l’arabe se divise entre des formes parlées (dites dialectales), qui sont rarement écrites, et des formes littéraires, qui peuvent être écrites ou parlées (arabe standard moderne, arabe classique, médiéval ou coranique par exemple)


Ce qui enseigné a l’école dès le primaire est ce qu’on appelle aujourd’hui l’arabe standard moderne, une forme, simplifiée et modernisée de l’arabe classique, qui n’est pas spécifique à un pays en particulier, et commune à tous les pays arabophones.

C’est la langue utilisée dans la presse, la littérature, les médias (télévision, radio, internet) en général, mais aussi pou le doublage ou sous-titrage des films ou dessins animés, par exemple. Une langue standard.


Cette langue standard permet par exemple de suivre le journal télévisé, d’écrire une dissertation pour le bac ou son équivalent, d’écouter la radio, de lire une nouvelle de Naguib Mahfouz, un poème de Joseph Harb ou de Mahmoud Darwish ou une traduction du Capital de Karl Marx, de comprendre la plupart des chansons de Fairouz, les breifings d’urgence dans un avion, u à des interlocuteurs venus de pays différents de débattre à la télé (mais la langue dialectale – maternelle - repointe vite le bout de son nez à mesure que s’échauffent les débats…)


Cette langue standard découle de l’arabe classique, auquel elle permet un accès relativement aisé (même si la langue et son lexique ont evolué, et certaines conventions grammaticales ne sont plus les mêmes).


Cette langue arabe standard est donc commune à tous les pays arabophones, du Maghreb à l’Irak ou ailleurs.

Est-elle particulièrement difficile ?

Oui et non.
La grammaire arabe est logique, avec beaucoup moins d’exceptions qu’en français, mais certaines règles doivent être assimilées (accord au féminin pluriel des « sœurs de kana », liaison grammaticale idafa, etc etc).

Cependant, la lecture que vous mentionnez pose un problème particulier.

Pas en raison de l’alphabet s’apprend en deux semaines, sans réel problème (oui, il y a bien la forme isolée de la lettre, sa position initiale, médiale ou finale, mais ce n’est pas difficile, et si quelques lettres, comme les lettres emphatiques, le 3ain par exemple,  sont un peu difficiles à prononcer, cela se travaille)

Par contre, comme dans les autres langues sémitiques (hébreux, araméen, etc), l’arabe n’écrit que les consonnes et les voyelles longues.
En effet, ces langues reposent sur un système de racines consonantiques trilitères, qui donnent le sens du mot, racines sur lesquelles on applique des schèmes (affixes et voyelles ) qui déclinent le sens.

L’arabe possède trois voyelles A I OU qui peuvent être longues (â î oû - ou courtes  - a i ou), mais le sens général est donné par la racine consonantique trilitère.

 C’est le même principe en hébreu, avec qui l’arabe partage beaucoup de racines.

Un exemple:  la racine K T B a le sens général d’écrire.

la forme verbale vocalisée KaTaBa donne le verbe écrire à la troisième personne du singulier, ce qui joue le rôle d’infinitif en arabe.

À partir de cette racine KTB, on peut appliquer d’autres schèmes, et dériver maKTab (le bureau) KâTiB (l’écrivain) KiTâB (le livre), etc, etc


Pourquoi est-ce important ?

Et bien par ce que l’enjeu de l’apprentissage de la lecture est bien d'arriver à lire SANS indication des voyelles courtes

Et ça, c’est difficile.

Les voyelles longues s’écrivent donc, mais pas les voyelles courtes.
Elles peuvent se noter - les voyelles courtes sont notées pour le Coran et les textes religieux, ainsi que pour les textes pour enfants - mais ne le sont pas dans les autre contextes, comme le journal ou un livre (cela charge la lecture, et c’est très désagréable en fait).


Donc l’enjeu de l’apprentissage de la lecture va être de reconnaître les formes pour pouvoir les comprendre et vocaliser correctement.

Pour un arabophone, c’est plus ou moins facile et vient naturellement – pour un non-arabophone, ça l’est moins et cela nécessite un travail d’apprentissage des schèmes et formes (qui sont heureusement limités), et aussi une lecture qui anticipe le mot pour le vocaliser correctement.


Est-ce difficile, oui un peu - mais moins que la lecture et vocalisation des caractères chinois en japonais par exemple... ˆˆ


Donc, pour revenir à mon exemple, sur la racine KTB avec le sens d’écrire, le bureau s’écrira donc MKTB
Mais comment savoir que cela se lit MaKTab et non MouKitab ou MaKouTib par exemple ?

Et bien c’est en reconnaissant le schème qui se vocalise mXXaX (X étant ici à remplacer par la racine consonantique)

Le schème des noms de lieux (où l’on fait l’action) est, par exemple, maXXaXa

Combinant celui-ci avec des racines consonantiques :

DRS = idée d’étude +  schème des noms de lieu maXXaXa = maDRaSa = école


L’autre difficulté étant que les dictionnaires arabes sont organisés alphabétiquement par racine - donc le mot maDRaSa, signifiant l’école, est à chercher à la lettre D et non M par exemple.


C'est là la principale difficulté de la lecture en arabe.

L'écriture consonantique est elle assez rapide (ce dont les Turcs se sont rendu compte lorsqu'ils sont passés du système consonantique des lettres arabe à l'alphabet latin - la cursive arabe, consonantique donc, est plus rapide à écrire)

Et s'exprimer à l'oral dans cette langue, ou plutôt dans ce niveau de langue, nécessite un certain entraînement, une pratique, qui s'aquiert à travers l'éducation, surtout au secondaire.

Ce n'est pas particulièrement facile, il faut bien conjuger, respecter certaines règles grammaticales qui disparraissent en dialectal, et aussi utiliser le bon lexique (verbes, noms, adjectifs à remplacer), et prononcer correctement (certaines lettres plus difficiles à prononcer ont tendance à sauter dans les dialectes, ou a être remplacées par d'autres).

***


Pour ce qui est formes parlées dialectales, les arabophones grandissent donc en parlant un dialecte, c'est à dire une forme parlée locale,  dialectale dérivant elle-même de la langue arabe classique, que l’on peut regrouper en grands groupes dialectaux couvrant des aires géographiques (arabe maghrébin, arabe égyptien, arabe levantin, du Golfe, etc).
Cette forme "non officielle" n'est pas étudiée à l'école.

Pour illustrer la difference de sonorités, voici une chanson de Fairuz en arabe littéral (adaptation d'un poème de Joseph Harb), et voici une autre chanson de Fairuz en dialectal libanais/levantin légèrement "standardisé"


L'arabe dialectal est une forme simplifiée grammaticalement, avec une prononciation adaptée, avec aussi avec des influences grammaticales et lexicales diverses en fonction des régions.


Mais il existe aussi des variations au sein de ces grands groupes (l’arabe maghrébin peut se diviser en arabe marocain, arabe algérien et arabe tunisien, le levantin en arabe syro-libanais et palestinien), et au sein d'un dialecte local même (l’arabe palestinien n’est pas exactement le même au sud qu’au nord par exemple), avec là encore des variantes d’accent et de lexique.


Un locuteur à l’oreille fine pourra savoir si un Syrien vient d’Alep ou de Damas, et même, dans certains cas, de quel quartier dans cette ville (!)


Ces formes dialectales ne s’écrivent pas traditionnellement, même si la situation change, évolue.
Certains auteurs ont commencé à écrire en dialecte après la seconde guerre mondiale, et il faut aussi prendre en compte l’influence d’internet, qui permet de publier, à l’oral comme à l’écrit, dans sa langue.

Sur YouTube par exemple, les recettes de cuisine oscillent entre arabe standard moderne et dialectal, surtout pour des dialectes plus généralement compris comme les dialectes levantins.

Mais transcrire le dialecte reste compliqué, et pose de nombreuses questions pratiques. Ce n'est pas très courant, en dehors du net et des SMS.


À ce sujet, j’ai déjà mentionné le mouvement nationaliste de certains chrétiens du Liban qui allèrent jusqu’à suggérer que l’arabe libanais descendrait directement phénicien, qui se serait développé "sur place", et serait en cela une langue non-arabe.

Par extension, l'idée est aussi que les Libanais ne seraient pas arabes, mais phéniciens.
Ce mouvement nationaliste publia un journal en arabe libanais (en lettres latines) et visaient à faire reconnaître l’arabe libanais comme un isolat linguistique…
Il existe encore un peu aujourd'hui  (note: c'est faux linguistiquement, l’arabe libanais, comme les autres dialectes levantins, est certes fortement influencé par l’araméen par exemple, avec aussi une bonne dose de lexique turc, mais reste bel bien un dialecte arabe, dérivant de l'arabe, et non une langue locale influencée par l'arabe...).

Rappelons à ce sujet que la langue arabe est aussi au coeur de la notion assez abstraite d'arabité - rappelons à ce propos la définition de 1946 de la Ligue Arabe: "une personne dont la langue est l'arabe, vivant dans un pays arabophone, et qui partage les aspirations des peuples arabophones".


***

Pour ce qui est de l’intelligibilité mutuelle des dialectes, c’est assez compliqué, avec de grandes variations lexicales, grammaticales et aussi d'accent.


Il faut par ailleurs prendre en compte la diffusion culturelle des dialectes par la chanson – de nombreuses chansons sont en dialectal, chansons de Fairouz ou d’Um Kalthoum, généralement levantin ou égyptien (bien que les dialectes maghrébins  connurent une heure de gloire avec les chansons du raimais restent difficilement compréhensible - au delà de la Tunisie - par les locuteurs d'autres dialectes).
Il y aussi la radio et la télévision, ou encore une fois l’égyptien et le Syro-libanais se sont imposés par le passé avec des séries à succès en dialectal (même si la majorité reste en arabe standard moderne), et internet, qui amplifie la diffusion des formes dialectales.


Il s'agit donc d'un continuum linguistique, où un locuteur d’arabe syrien n’a pas de difficulté pour parler avec un locuteur d’arabe palestinien, mais ne comprendra pas vraiment un locuteur d’arabe marocain (par contre, un locuteur d’arabe marocain comprendra plus facilement un locuteur levantin, dont le dialecte est plus accessible, et répandu par les médias).

L’arabe du Golfe est assez difficile a comprendre pour un Levantin.

Un locuteur d’arabe maghrébin pourrait facilement comprendre le maltais (pour citer une langue européenne issue de l’arabe) …


Et n’en déplaise à mon père et son amour des formes levantines, la variante dialectale la plus proche de l’arabe standard moderne dans la grammaire comme le lexique est aujourd'hui l’arabe égyptien...

L’arabe levantin est, par exemple, fortement influencé par l’araméen (qui donne des variations grammaticales et lexicales, et aussi de prononciation, le “a” final, ta marbuta, devenant un é, comme dans un mot que vous connaissez sûrement, tabbouleh) mais aussi par le turc et le français.

L’arabe maghrébin est influencé par les langues berbères, qui jouent sur son lexique et sa prononciation (raccourcissement des voyelles longues, etc)

L’intelligibilité dialectale est influencée par la distance relative du dialecte avec les formes standard (simplifications influences grammaticales et lexicales d’autres langues comme les langues berbères, le turc, l’araméen, le persan ou encore le français ou l’anglais...), et aussi par la diffusion internationale du dialecte (séries égyptiennes par exemple)


Bref, heureusement que nous avons l’arabe standard moderne comme langue commune et standard...


Au delà de l’écriture, comme mentioné plus haut, ce n’est pas vraiment facile de parler en littéral (et c’est généralement reservé à une prise de parole publique, officielle), et cela nécessite un apprentissage (scolarisation) et une certaine pratique. C'est la langue des chaînes d'info continues en arabe, par exemple.

Mais l'arabe standard, ou littéral reste, malgré cette difficulté relative, une langue bien vivante, et d’une grande richesse.

L’éloquence en arabe (littéral, donc) est particulièrement appréciée – Yasser Arafat n’était pas très à l’aise avec le littéral, à l’opposé des discours de Nasser, par exemple, ce qui joue sur la perception de l'orateur public.


****

Pour revenir à votre message, oui, le chinois est également peu enseigné, et c’est une autre langue de France qui n’est pas vraiment valorisée – le chinois enseigné est le mandarin, qui joue le rôle de lingua-franca entre les différentes langues chinoises.
On pense à l’enseignement du mandarin en Asie du Sud-Est (Malaisie, Singapour...), très répandu dans les pays ayant d'importantes minorités chinoises.

La différence étant, en France, le nombre de personnes issues d’un contexte arabophone, qui est bien plus important que pour les autres langues dites de la colonisation ou de l’immigration (vietnamien par exemple).

Et aussi la réalité d'une langue arabe aujourd'hui plus stigmatisée que les autres, notamment en raison de l’histoire récente du pays, du poids du rapport colonial et de l'immigration post-coloniale, et aussi de l’association de cette langue  avec l’islam, qui est une source de crispation assez particulière.


Rappelons juste que de nombreux pays (ou peuples) où la religion musulmane est majoritaire ne sont pas arabophones (Indonésie pour citer le plus grand, mais aussi l’Iran, la Turquie, le Pakistan, Bangladesh, et d’autres…) mais parlent plutôt une forme de malais, de turc ou de farsi/person, l’urdu, bengali, kurde ou chinois (avec une exposition à l'arabe très limitée, circonscrites au versets coraniques essentiels comme Al-Fatiha)

Et rappelons aussi qu’il existe - même si ce sont des populations minoritaires – des population arabophones qui ne sont pas musulmanes (peuvont aussi être chrétiennes, druzes ou juives par exemple).
Voici pour l'illustrer une messe maronite en arabe (les prêches sont en arabe dialectal, la liturgie en littéral)

À ce propos, je me permets de partager une blague qui circulait pendant la guerre civile libanaise:
une bonne-soeur (nonne) se déplaçant dans la montagne libanaise est contrôlée par des miliciens à un check-point.
Les élections n'étant pas loin, ils lui demandent, par curiosité, qui elle soutient politiquement.
Ce à quoi elle répond: "mon fils, mon parti à moi, c'est le parti de Dieu" --- ce qui ce dit Hezb Allah en arabe ˆˆ



Mon but n’est pas ici de nier qu’il existe un lien historique indiscutable entre la / les langue(s) arabe(s) et l’islam. Oui, l'arabe a remplacé les langues locales dans les pays les plus proches du foyer original d’expansion de la religion musulmane  (araméen au Mashrek, langues berbères au Maghreb par exemple), mais notons aussi que ce ne fut pas le cas plus tard, et ailleurs.

De plus, la situation est aujourd’hui, des siècles après cette expansion médievale (!), bien plus complexe, et il me semble particulièrement dommage de réduire la langue arabe à son lien historique avec le Coran et l’islam, surtout dans le but d'agiter le spectre d'une domination culturelle et religieuse ("civilisationelle"...) dont la langue arabe serait une forme de cheval de Troie...

Mais essentiellement, la langue arabe est aussi... une langue, tout simplement.

Une langue bien vivante, une langue des médias, de la presse, et de la littérature, une langue internationale et, osons le dire, multiculturelle (ce qui est normal pour une langue comptant entre 449 et 480 millions de locuteurs estimés dans le monde...)


Face au crispations et à cette crainte d'un "repli identitaire" lié à un enseignement accessible de la langue arabe, je  pense au contraire que le fait de décomplexer - en France particulièrement - le rapport à cette langue et à son apprentissage permettrait d’offrir une alternative réelle et pratique.

Un alternative à une construction identitaire "communautaire" ou "communautariste" présentée comme étant en opposition diamétrale à une identité française idéalisée, mais qui, dans le réel, fait bien souvent le grand écart entre son aspiration universaliste et un référent culturel nativiste ("de souche", culturellement "européen", chrétien, etc...)

Oui, la langue arabe, par son histoire et par le nombre de personnes ayant un lien avec celle-ci (la deuxième en nombre de locuteurs) est bien une langue de France.

Être français, et bénéficier d'une éducation permettant d'atteindre un excellent niveau d'arabe, en plus du français et de la lingua franca nécessaire qu'est l'anglais, devrait être perçu comme une chance, un atout.

Et favoriser l'accès à cette langue actuellement dévalorisée pourrait peut-être ouvrir une autre voie d’intégration à la nation française.
Une nation qui serait alors plus en accord avec la réalité complexe qui la sous-tend qu’avec imaginaire identitaire réactionnaire, tendant à percevoir l’altérité non comme une richesse et une force, mais comme une menace...

Il faut comprendre.


L'arabe, ce n'est pas un marché porteur, si l'on prend en compte la vitesse à laquelle ils disparaissent à Gaza, en Cisjordanie et au Liban.


En plus, nous la France, on n'a même plus de colonies où on parle arabe. 

En plus plus, ya plus besoin de parler arabe pour avoir du gaz ou du pétrole.


Soyons efficaces, merdre !

C'est d'autant plus problématique que les parents qui souhaitent que leur enfant apprennent l'arabe n'ont parfois pas d'autre choix que de se tourner vers l'école coranique, même s'ils préfèreraient un enseignement laïque.

C'est d'autant plus problématique que les parents qui souhaitent que leur enfant apprennent l'arabe n'ont parfois pas d'autre choix que de se tourner vers l'école coranique, même s'ils préfèreraient un enseignement laïque.

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