Commentaires
L'humanité échouée
Ce sont deux photos, qui font depuis ce jeudi la une de la presse internationale. Deux photos nous montrant le corps d'un petit enfant échoué sur une plage de Bodrum en Turquie, et un policier qui le porte dans ses bras.
Abonnez-vous pour pouvoir commenter !
si vous êtes déjà abonné Connectez-vous Connectez-vous
Derniers commentaires
Précison pour Alain Korkos : ce n'est pas « un trépied de photographe » qu'on aperçoit, mais un trépied pour canne à pêche.
Et pour entendre « le bruit de la mer », il suffit d'écouter cette vidéo de l'agence de presse turque DHA pour laquelle travaille la photographe Nilüfer Demir.
Et pour entendre « le bruit de la mer », il suffit d'écouter cette vidéo de l'agence de presse turque DHA pour laquelle travaille la photographe Nilüfer Demir.
Je ne suis pas grand fan de Titeuf, mais il faut reconnaître que Zep a eu quelques initiatives intéressantes. Dans son dernier album, Titeuf grandit et est maintenant adolescent. Ses premières aventures datent d'il y a 23 ans, on peut dire que Titeuf a pris son temps.
Dans sa dernière note de blog, Zep nous montre un autre Titeuf, encore enfant, soudainement rattrapé par une guerre qu'il ne comprend pas. En écho à ces enfants qui, contrairement à Titeuf, ont du grandir trop vite.
Merci à Zep.
Dans sa dernière note de blog, Zep nous montre un autre Titeuf, encore enfant, soudainement rattrapé par une guerre qu'il ne comprend pas. En écho à ces enfants qui, contrairement à Titeuf, ont du grandir trop vite.
Merci à Zep.
L'eau, sans hâte, mais sans interruption, irrésistible et lourde, montait dans la cale, et, à mesure qu'elle montait, le navire descendait. Cela était très-lent.
Les naufragés de la Matutina sentaient peu à peu s'entr'ouvrir sous eux la plus désespérée des catastrophes, la catastrophe inerte. La certitude tranquille et sinistre du fait inconscient les tenait. L'air n'oscillait pas, la mer ne bougeait pas. L'immobile, c'est l'inexorable. L'engloutissement les résorbait en silence. À travers l'épaisseur de l'eau muette, sans colère, sans passion, sans le vouloir, sans le savoir, sans y prendre intérêt, le fatal centre du globe les attirait. L'horreur, au repos, se les amalgamait. Ce n'était plus la gueule béante du flot, la double mâchoire du coup de vent et du coup de mer, méchamment menaçante, le rictus de la trombe, l'appétit écumant de la houle ; c'était sous ces misérables on ne sait quel bâillement noir de l'infini. Ils se sentaient entrer dans une profondeur paisible qui était la mort. La quantité de bord que le navire avait hors du flot s'amincissait, voilà tout. On pouvait calculer à quelle minute elle s'effacerait. C'était tout le contraire de la submersion par la marée montante. L'eau ne montait pas vers eux, ils descendaient vers elle. Le creusement de leur tombe venait d'eux-mêmes. Leur poids était le fossoyeur.
Ils étaient exécutés, non par la loi des hommes, mais par la loi des choses.
Victor Hugo, L’homme qui rit
Les naufragés de la Matutina sentaient peu à peu s'entr'ouvrir sous eux la plus désespérée des catastrophes, la catastrophe inerte. La certitude tranquille et sinistre du fait inconscient les tenait. L'air n'oscillait pas, la mer ne bougeait pas. L'immobile, c'est l'inexorable. L'engloutissement les résorbait en silence. À travers l'épaisseur de l'eau muette, sans colère, sans passion, sans le vouloir, sans le savoir, sans y prendre intérêt, le fatal centre du globe les attirait. L'horreur, au repos, se les amalgamait. Ce n'était plus la gueule béante du flot, la double mâchoire du coup de vent et du coup de mer, méchamment menaçante, le rictus de la trombe, l'appétit écumant de la houle ; c'était sous ces misérables on ne sait quel bâillement noir de l'infini. Ils se sentaient entrer dans une profondeur paisible qui était la mort. La quantité de bord que le navire avait hors du flot s'amincissait, voilà tout. On pouvait calculer à quelle minute elle s'effacerait. C'était tout le contraire de la submersion par la marée montante. L'eau ne montait pas vers eux, ils descendaient vers elle. Le creusement de leur tombe venait d'eux-mêmes. Leur poids était le fossoyeur.
Ils étaient exécutés, non par la loi des hommes, mais par la loi des choses.
Victor Hugo, L’homme qui rit
L'enfant de la première semble endormi, on imagine que parfois il prenait cette pose dans son lit.
Ha donc si je compte sur @SI pour prendre de la distance avec les images et leur éventuelle manipulation politique par l'émotionnel, il faut mieux repasser un autre jour ?
Des hommes, qui se baptisent État islamique ou qui officient sous les ordres de Bachar El-Assad, ont créé une situation qui a conduit des milliers d'êtres humains à la mort.
Ha. Quand même. Donc @SI devient une vraie officine de propagande.
On organise le chaos pour faire basculer la Syrie.
On s'indigne ensuite innocemment devant l'horreur de leurs enfants refugiés qui atterrissent noyés sur nos côtes.
Merci la fabrique du consentement.
L'exploitation d'une image pour influencer l'opinion en jouant sur le registre de l'émotion, c'est ce que font les publicitaires pour vendre n'importe quoi.
Je suis plus intéressé par les morts anonymes que les morts à la mode. Je n'ai pas besoin de photos choc pour comprendre que dans toutes les guerres des enfants meurent. Le problème des photos symboles, c'est qu'elles masquent les autres enfants morts, et qu'on oublie les enfants tués par Boko Haram, les enfants tués au Yemen sous les bombes saoudiennes ou tués en Ukraine sous les obus de Kiev. Lassitude, épuisement, tristesse infinie devant ces émotions manipulées, devant ces opinions préparées…
Je remarque simplement qu'après cette campagne publicitaire très étudiée, la France annonce ce matin qu'elle va bombarder en Syrie, et se positionne comme la "patrie des droits des migrants" après avoir évacué à coup de matraques ceux du métro Barbès, il y a 2 mois, avec des méthodes semblables à celles de la police hongroise… Quant au bon peuple de France, s'il est prêt à ouvrir sa maison aux réfugiés syriens, il ne se gêne pas pour incendier des camps de roms, puisque cela ne provoquera pas de manifestations massives d'indignation.
Lassitude, épuisement, tristesse infinie devant l'hypocrisie des gouvernants et la naïveté de leurs électeurs qu'on mène par le bout du nez…
Quant aux photos des enfants ukrainiens massacrés, on n'en verra jamais à la une des journaux, l'opinion n'a pas à s'émouvoir sur ce sujet. D'ailleurs ils n'existent pas puisqu'on ne les voit pas à la télévision. Lassitude, épuisement, tristesse infinie devant le cynisme de ceux qui décident qu'une guerre doit concentrer tous nos bons sentiments et pas une autre.
Je suis plus intéressé par les morts anonymes que les morts à la mode. Je n'ai pas besoin de photos choc pour comprendre que dans toutes les guerres des enfants meurent. Le problème des photos symboles, c'est qu'elles masquent les autres enfants morts, et qu'on oublie les enfants tués par Boko Haram, les enfants tués au Yemen sous les bombes saoudiennes ou tués en Ukraine sous les obus de Kiev. Lassitude, épuisement, tristesse infinie devant ces émotions manipulées, devant ces opinions préparées…
Je remarque simplement qu'après cette campagne publicitaire très étudiée, la France annonce ce matin qu'elle va bombarder en Syrie, et se positionne comme la "patrie des droits des migrants" après avoir évacué à coup de matraques ceux du métro Barbès, il y a 2 mois, avec des méthodes semblables à celles de la police hongroise… Quant au bon peuple de France, s'il est prêt à ouvrir sa maison aux réfugiés syriens, il ne se gêne pas pour incendier des camps de roms, puisque cela ne provoquera pas de manifestations massives d'indignation.
Lassitude, épuisement, tristesse infinie devant l'hypocrisie des gouvernants et la naïveté de leurs électeurs qu'on mène par le bout du nez…
Quant aux photos des enfants ukrainiens massacrés, on n'en verra jamais à la une des journaux, l'opinion n'a pas à s'émouvoir sur ce sujet. D'ailleurs ils n'existent pas puisqu'on ne les voit pas à la télévision. Lassitude, épuisement, tristesse infinie devant le cynisme de ceux qui décident qu'une guerre doit concentrer tous nos bons sentiments et pas une autre.
Ce qui fait la force de cette image, et sa différence par rapport à celles à quoi on la compare, c’est « l’oxymore visuel » qu’elle présente : effacez le décor , il reste un enfant dans l’attitude la plus attendrissante qui soit, celle de l’abandon au sommeil. On cherche instinctivement où se trouve la peluche, ou le doudou … mais soudain on comprend ! et la « collision » de deux émotions aussi simplement contradictoires,que l’amour de la vie et la peur de la mort, nous bouleverse .
L'EL, la guerre en Syrie, tout ça ce sont les raisons pour lesquelles la famille de ce petit garçon a quitté la Syrie. La raison pour laquelle il s'est noyé en tentant de traverser la Méditerranée, c'est la politique migratoire de l'Europe, qui depuis des années, ferment ses frontières à double tour, et restreint toujours plus le droit d'asile... C'est une chose de dénoncer les horreurs en Syrie, mais il ne faudrait pas oublier notre contribution directe à ces tragédies.
A cause de qui la création de l 'Etat Islamique Mr Kourkos ? :)
Lassitude, épuisement, tristesse infinie.
Le monde est un enfer, effectivement, mais il l'est surtout pour le monde extérieur à l'occident. Nous vivons nous occidentaux dans des cocons relatifs, mais réels. Nous sommes à l'abri de beaucoup de maladies, bien protégés "Par 2000 ans de servitude, et quelques clous sur la chaussée, comme dit un poète méconnu (Les Villes de Grande Solitude)". Dans le sens où un processus historique très identifiable a fait de l'occident un territoire de prospérité économique et politique, à condition que nous nous conformions à divers niveaux, qui est celui de vivre dans un espace protégé, avec un dedans et un dehors.
Ceusses qui sont au-dedans bénéficient de la protection à condition de se conformer, et ceusses qui sont au-dehors sont livrés au chaos du monde. Ils peuvent être eux aussi protégés, de différentes façons, mais surtout parce qu'ils vivent dans des sociétés suffisamment structurées et culturellement homogènes pour ne pas chercher ailleurs.
Mais lorsque le chaos devient horrible, alors c'est le sauve-qui-peut général, en ces temps où "rugissent les vagues de la faim"
(Empty spaces), et des foules nombreuses viennent battre sur nos rives.
Aylan nous dit que dans cette vision schizophrénique de notre monde, nous sommes à la fois les mêmes et les différents.
Observez un élément étonnant sur la photo de l'enfant mort et du "sauveteur", ils ont les mêmes couleurs. Le rouge répond au rouge, le bleu au bleu, le blanc au blanc, des couleurs fortes qui se détachent sur un fond terne. Cette photo nous renvoie à notre double humanité : le même et le différent, le mort et le vivant, le faible et le fort, le protégé et le migrant en devenir, celui qui va vivre et celui qui va mourir.... Celui qui est debout et celui qui a la tête sous l'eau. Celui qui se tient comme un pantin désarticulé, et celui qui agit, même si c'est évidemment dérisoire, appelle ses supérieurs sur son talkie-walkie, puis qui porte le petit corps comme un objet sacré.
Ils nous parlent de cette terrible dichotomie d'être des êtres humains qui aspirent à l'égalité et à l'harmonie du monde tout en sachant que ce n'est pas le cas.
D'être protégés à l'intérieur d'un monde infernal dont, plus que dans tout autre temps, nous avons accès immédiatement et totalement à l'enfer de l'autre qui est à la fois le même que nous et le différent. Et c'est alors que le choc est le plus traumatisant.
Mais la bonne nouvelle, c'est que justement, si nous agissons, nous pouvons aider ce monde à devenir meilleur.
On pourrait rappeler que jamais aucune photo ne mit fin à une guerre
C'est entièrement faux. Ce sont les photos qui ont été prises pendant la guerre du Vietnam qui ont participé à faire prendre conscience à l'opinion américaine des horreurs de cette guerre. Et par un effet de dominos, la partie de l'opinion qui était la plus active a réussi à obtenir un départ des troupes américaines qui de toutes façons n'étaient pas en mesure de vaincre, pour au moins faire disparaître leur pouvoir de nuisance intrinsèque.
Mais malheureusement le temps politique n'est pas le temps humain, et le temps que les vagues d'indignation lèvent les foules contestataires, les horreurs ont continué.
Plus généralement, la puissance de l'art change le monde. L'Art nous définit, nous explique et au bout du compte, c'est ce qui reste des civilisations disparues, cette capacité à projeter le monde d'une façon différente, d'embellir, de recréer le monde et ses concepts. La photographie, l'art en général, ont leur place dans le destin du monde.
Et spécialement dans cette terrible et magnifique transition que nous vivons : la transformation de l'autre, du différent, en "nous".
Pour le meilleur ou/et pour le pire.
Le monde est un enfer, effectivement, mais il l'est surtout pour le monde extérieur à l'occident. Nous vivons nous occidentaux dans des cocons relatifs, mais réels. Nous sommes à l'abri de beaucoup de maladies, bien protégés "Par 2000 ans de servitude, et quelques clous sur la chaussée, comme dit un poète méconnu (Les Villes de Grande Solitude)". Dans le sens où un processus historique très identifiable a fait de l'occident un territoire de prospérité économique et politique, à condition que nous nous conformions à divers niveaux, qui est celui de vivre dans un espace protégé, avec un dedans et un dehors.
Ceusses qui sont au-dedans bénéficient de la protection à condition de se conformer, et ceusses qui sont au-dehors sont livrés au chaos du monde. Ils peuvent être eux aussi protégés, de différentes façons, mais surtout parce qu'ils vivent dans des sociétés suffisamment structurées et culturellement homogènes pour ne pas chercher ailleurs.
Mais lorsque le chaos devient horrible, alors c'est le sauve-qui-peut général, en ces temps où "rugissent les vagues de la faim"
(Empty spaces), et des foules nombreuses viennent battre sur nos rives.
Aylan nous dit que dans cette vision schizophrénique de notre monde, nous sommes à la fois les mêmes et les différents.
Observez un élément étonnant sur la photo de l'enfant mort et du "sauveteur", ils ont les mêmes couleurs. Le rouge répond au rouge, le bleu au bleu, le blanc au blanc, des couleurs fortes qui se détachent sur un fond terne. Cette photo nous renvoie à notre double humanité : le même et le différent, le mort et le vivant, le faible et le fort, le protégé et le migrant en devenir, celui qui va vivre et celui qui va mourir.... Celui qui est debout et celui qui a la tête sous l'eau. Celui qui se tient comme un pantin désarticulé, et celui qui agit, même si c'est évidemment dérisoire, appelle ses supérieurs sur son talkie-walkie, puis qui porte le petit corps comme un objet sacré.
Ils nous parlent de cette terrible dichotomie d'être des êtres humains qui aspirent à l'égalité et à l'harmonie du monde tout en sachant que ce n'est pas le cas.
D'être protégés à l'intérieur d'un monde infernal dont, plus que dans tout autre temps, nous avons accès immédiatement et totalement à l'enfer de l'autre qui est à la fois le même que nous et le différent. Et c'est alors que le choc est le plus traumatisant.
Mais la bonne nouvelle, c'est que justement, si nous agissons, nous pouvons aider ce monde à devenir meilleur.
On pourrait rappeler que jamais aucune photo ne mit fin à une guerre
C'est entièrement faux. Ce sont les photos qui ont été prises pendant la guerre du Vietnam qui ont participé à faire prendre conscience à l'opinion américaine des horreurs de cette guerre. Et par un effet de dominos, la partie de l'opinion qui était la plus active a réussi à obtenir un départ des troupes américaines qui de toutes façons n'étaient pas en mesure de vaincre, pour au moins faire disparaître leur pouvoir de nuisance intrinsèque.
Mais malheureusement le temps politique n'est pas le temps humain, et le temps que les vagues d'indignation lèvent les foules contestataires, les horreurs ont continué.
Plus généralement, la puissance de l'art change le monde. L'Art nous définit, nous explique et au bout du compte, c'est ce qui reste des civilisations disparues, cette capacité à projeter le monde d'une façon différente, d'embellir, de recréer le monde et ses concepts. La photographie, l'art en général, ont leur place dans le destin du monde.
Et spécialement dans cette terrible et magnifique transition que nous vivons : la transformation de l'autre, du différent, en "nous".
Pour le meilleur ou/et pour le pire.
Tout le monde n'a pas oublié Hannah Arendt.
www.ttoarendt.com
www.ttoarendt.com
Je ne serais pas aussi radical et pesimiste que cela. Certes, le fait qu'une image (ou un type d'image) soit rapidement galvaudée et que cela entraine une surenchère peut-être admise. Regis Debray le signalait également dans son ouvrage "Vie et mort du regard en occident". Mais si l'on prend un peu le large et que l'on replace ces images dans les méandres de l'histoire, on se rend compte qu'elles coïncident avec des moments de basculement des opinions publics. On ne peut évidemment pas mesurer la corrélation. Telle photo est-elle apparue au moment où l'opinion basculait et n'a t'elle eu aucune influence? Est-ce qu'elle aurait été aussi emblématique à un autre moment? ou est-elle arrivée comme une goutte d'eau de trop et aidée le changement d'opinion…?
D'autres part, ces photos constituent après coup autant de "cailloux du petit poucet" sur le parcours de l'histoire (comme le montre votre chronique). En prenant une dimension iconique, cela fait bien sur encourir le risque de masquer les autres faits et la réalité historique, mais cela peut également favoriser, en tant que référence temporelle et élément d'une culture populaire, la curiosité pour le fait historique et devenir ainsi une porte d'entrée vers plus une recherche d'information sur les évènements qu'elles décrivent. Il n'y a donc pas, à mon avis, de raison de penser que ces images ne servent pas à faire bouger les lignes. La réalité de leur vie est plus complexe que cela.
D'ailleurs, lorsque vous parlez d'incarner un drame, le terme en lui même est fort et contredit en partie le début du texte : l'incarnation est la transformation d'une idée, d'un concept en un objet de chair (carne). En cela, l'image rend plus tangible les choses. De plus, si la surenchère décrite par S. Sontag avait autant d'effet que cela, une image telle que celle du petit Aylan laisserait de marbre aujourd'hui.
Enfin, votre référence à l'EI m'échappe un peu… Elle ne mentionne pas qu'en filigrane derrière cette photo, c'est aussi l'EI qui est responsable de la fuite de ces personnes, et que derrière l'EI se cache l'iniquité et le cynisme de notre monde contemporain qui veut que les plus riches restent à l'abri des externalités causées par leur enrichissement (comprenez les pays les plus riches). L'émergence de l'EI est à lire dans la complexité de l'histoire de la domination occidentale, entre la guerre froide et sa chute, qui fit naître les talibans et autres groupuscules, et sa fin qui les livra à eux même. Ceci dans un contexte où les richesses pétrolières attisaient de plus en plus la convoitise des pays occidentaux. Ce qui incita les pays les plus puissants à jouer un jeu qui depuis au moins 30 ans désorganise, épuise et aiguise les ressentiments des populations concernées. Cette photo, à elle seule, est un résumé de tout cela. Le processus cognitif qui amène à cette réflexion peut débuter par un choc émotionnel, pourquoi pas? On est donc face à quelque chose de plus large qu'une simple image qui décrit en filigrane des évènements dont nous sommes directement responsables et rien ne dit qu'à terme il n'y ait pas un processus de prise de conscience plus grand. Même si cette photo n'en est qu'un élément infime.
D'autres part, ces photos constituent après coup autant de "cailloux du petit poucet" sur le parcours de l'histoire (comme le montre votre chronique). En prenant une dimension iconique, cela fait bien sur encourir le risque de masquer les autres faits et la réalité historique, mais cela peut également favoriser, en tant que référence temporelle et élément d'une culture populaire, la curiosité pour le fait historique et devenir ainsi une porte d'entrée vers plus une recherche d'information sur les évènements qu'elles décrivent. Il n'y a donc pas, à mon avis, de raison de penser que ces images ne servent pas à faire bouger les lignes. La réalité de leur vie est plus complexe que cela.
D'ailleurs, lorsque vous parlez d'incarner un drame, le terme en lui même est fort et contredit en partie le début du texte : l'incarnation est la transformation d'une idée, d'un concept en un objet de chair (carne). En cela, l'image rend plus tangible les choses. De plus, si la surenchère décrite par S. Sontag avait autant d'effet que cela, une image telle que celle du petit Aylan laisserait de marbre aujourd'hui.
Enfin, votre référence à l'EI m'échappe un peu… Elle ne mentionne pas qu'en filigrane derrière cette photo, c'est aussi l'EI qui est responsable de la fuite de ces personnes, et que derrière l'EI se cache l'iniquité et le cynisme de notre monde contemporain qui veut que les plus riches restent à l'abri des externalités causées par leur enrichissement (comprenez les pays les plus riches). L'émergence de l'EI est à lire dans la complexité de l'histoire de la domination occidentale, entre la guerre froide et sa chute, qui fit naître les talibans et autres groupuscules, et sa fin qui les livra à eux même. Ceci dans un contexte où les richesses pétrolières attisaient de plus en plus la convoitise des pays occidentaux. Ce qui incita les pays les plus puissants à jouer un jeu qui depuis au moins 30 ans désorganise, épuise et aiguise les ressentiments des populations concernées. Cette photo, à elle seule, est un résumé de tout cela. Le processus cognitif qui amène à cette réflexion peut débuter par un choc émotionnel, pourquoi pas? On est donc face à quelque chose de plus large qu'une simple image qui décrit en filigrane des évènements dont nous sommes directement responsables et rien ne dit qu'à terme il n'y ait pas un processus de prise de conscience plus grand. Même si cette photo n'en est qu'un élément infime.
Alain , je ne sais plus ou j'ai vu un artiste dire cela, que justement ce qui l'etonnait, et lui faisait croire a l'art, c'est cette capacité, a rendre meme l'horreur belle.
Il n'y a pas d'autre utilité a l'image qu'a creer une image, image mentale, image spirituel, l'art est une des formes de la spiritualité.
Les seul moralement legitimes pour fotographier la guerre sont les artistes .
Guernica vaut plus que tout les photoreportages du monde
Quant a l'homme, on ne peu l'aimer passionnément sans le detester aussi ( paraphrase d'A. France)
Il n'y a lassitude que dans la croyance absolue dans l'image temoin . Mais c' est une lassitude pour une illusion . Une lassitude saine
PS: tres belle article .
Il n'y a pas d'autre utilité a l'image qu'a creer une image, image mentale, image spirituel, l'art est une des formes de la spiritualité.
Les seul moralement legitimes pour fotographier la guerre sont les artistes .
Guernica vaut plus que tout les photoreportages du monde
Quant a l'homme, on ne peu l'aimer passionnément sans le detester aussi ( paraphrase d'A. France)
Il n'y a lassitude que dans la croyance absolue dans l'image temoin . Mais c' est une lassitude pour une illusion . Une lassitude saine
PS: tres belle article .
Merci Alain.
Il y a eu d'autres photos d'enfants noyés dans la presse.
Pourquoi celle là suscite t elle l'émoi, l'émotion, la révolte ?
En quoi est-elle plus universelle que les autres..
Je me pose la question.
Il y a eu d'autres photos d'enfants noyés dans la presse.
Pourquoi celle là suscite t elle l'émoi, l'émotion, la révolte ?
En quoi est-elle plus universelle que les autres..
Je me pose la question.
"Trois ans plus tard, le 8 juin 1972, l'aviation américaine répandait du napalm sur le village nord-vietnamien de Trang Bang, censé abriter des combattants communistes. "
C'était une erreur de l'aviation Sud-Vietnamienne où un pilote sud-vietnamien a pris un groupe de civil pour des militaire du nord en fait. (ça change pas grand chose je sais)
C'était une erreur de l'aviation Sud-Vietnamienne où un pilote sud-vietnamien a pris un groupe de civil pour des militaire du nord en fait. (ça change pas grand chose je sais)
la photo de Kevin Carter date de 1993, il a obtenu un prix Pulitzer en 1994 pour cette image controversée et il s'est suicidé 3 mois après.
(son suicide n'étant à priori pas en relation directe avec cette photo et les débats qu'elle a suscités)
(son suicide n'étant à priori pas en relation directe avec cette photo et les débats qu'elle a suscités)
J'aimerai réagir à un passage bien précis de l'article :
On pourrait s'exclamer : « C'est absolument inhumain ! » Sauf que ce n'est pas si simple. Des hommes, qui se baptisent État islamique ou qui officient sous les ordres de Bachar El-Assad, ont créé une situation qui a conduit des milliers d'êtres humains à la mort . Ces hommes, ces assassins, ne sont pas des monstres venus d'une autre planète. Ce sont des êtres ordinaires comme l'était Adolf Eichmann, qui fut chargé à partir de 1942 d'appliquer la "Solution finale". Eichmann, nous explique Hannah Arendt dans Eichmann à Jérusalem - Rapport sur la banalité du mal, avait délibérément cessé de penser par lui-même, s'en était remis à une logique qui réduisait l'autre à moins que rien, s'exonérant par là même de toute culpabilité. Une logique assassine qui, pour mieux se faire accepter, se dissimulait derrière des artifices de langage : la mort par le gaz était un procédé médical ; le meurtre était un moyen d'« accorder une mort miséricordieuse » ; l'extermination était baptisée évacuation ou traitement spécial ; la déportation devenait regroupement ; les convois ferroviaires de déportés n'étaient que cargaisons.
Les membres de l'État islamique et les sbires de Bachar El-Assad fonctionnent de la même manière. À la fois idéalistes et simples exécutants, ils se conforment aveuglément à un système, à un discours dont l’une des principales vertus est de mettre à distance la réalité de leurs actes.
Sur la base d'une photo épouvantable, j'avoue avoir du mal à établir le lien logique qu'il pourrait y avoir entre la solution finale nazi et ce qui se passe actuellement en Syrie. L'émotion a tendance à faire dire tout et n'importe quoi à une image (aussi horrible soit-elle).
La Syrie est en guerre entre un régime dictatorial et brutal et un groupement extrémiste qui a pris le dessus sur l'armée syrienne libre (soutenue par l'occident et la turquie pour déstabiliser le pouvoir en place).
Nous avons voulu jouer aux apprentis sorciers et aux donneurs de leçons avec des groupes violents et un peuple au milieu (un peu comme en Lybie d'ailleurs). J'imagine qu'il est plus simple pour l'esprit humain d'évoquer les barbaries d'un passé lointain (le nazisme) plutôt que de chercher les responsables et les origines de ce désastre humanitaire et notre implication directe dans ce fiasco que nous refusons d'assumer aujourd'hui. L'occident a sa part de responsabilité depuis le début dans cette affaire, au même titre que Bachar El-Assad ou l'Etat Islamique.
En ce qui concerne cet enfant et sa famille, j'attire votre attention (et non pas votre émotion) sur ce que nous savons d'eux : ils étaient kurdes et vivaient dans la ville syrienne de Kobané, non loin de la frontière turque. La tante du petit garçon (Teema) donne peut-être un début de réponse aux raisons qui les ont poussé à fuir :
"Je tentais de les parrainer, raconte Teema. Mes amis et mes voisins m'ont aidée financièrement, mais nous n'avons pas pu les faire venir, et c'est pour cela qu'ils ont pris le bateau. J'ai même payé leur loyer en Turquie, mais la façon dont ils traitent les Syriens là-bas est horrible."
Ce dernier passage semble laisse penser que cette famille fuyait, non pas les "sbires" de Bachar El-Assad ou de l'Etat Islamique, mais tout simplement le mauvais accueil (la maltraitance?) du gouvernement turc à l'égard de ces réfugiés syriens (kurdes de surcroit). Ne laissons pas l'émotion altérer notre prudence et notre rationnalité.
http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/qui-etait-aylan-kurdi-le-petit-syrien-retrouve-mort-sur-une-plage-de-turquie_1068013.html
On pourrait s'exclamer : « C'est absolument inhumain ! » Sauf que ce n'est pas si simple. Des hommes, qui se baptisent État islamique ou qui officient sous les ordres de Bachar El-Assad, ont créé une situation qui a conduit des milliers d'êtres humains à la mort . Ces hommes, ces assassins, ne sont pas des monstres venus d'une autre planète. Ce sont des êtres ordinaires comme l'était Adolf Eichmann, qui fut chargé à partir de 1942 d'appliquer la "Solution finale". Eichmann, nous explique Hannah Arendt dans Eichmann à Jérusalem - Rapport sur la banalité du mal, avait délibérément cessé de penser par lui-même, s'en était remis à une logique qui réduisait l'autre à moins que rien, s'exonérant par là même de toute culpabilité. Une logique assassine qui, pour mieux se faire accepter, se dissimulait derrière des artifices de langage : la mort par le gaz était un procédé médical ; le meurtre était un moyen d'« accorder une mort miséricordieuse » ; l'extermination était baptisée évacuation ou traitement spécial ; la déportation devenait regroupement ; les convois ferroviaires de déportés n'étaient que cargaisons.
Les membres de l'État islamique et les sbires de Bachar El-Assad fonctionnent de la même manière. À la fois idéalistes et simples exécutants, ils se conforment aveuglément à un système, à un discours dont l’une des principales vertus est de mettre à distance la réalité de leurs actes.
Sur la base d'une photo épouvantable, j'avoue avoir du mal à établir le lien logique qu'il pourrait y avoir entre la solution finale nazi et ce qui se passe actuellement en Syrie. L'émotion a tendance à faire dire tout et n'importe quoi à une image (aussi horrible soit-elle).
La Syrie est en guerre entre un régime dictatorial et brutal et un groupement extrémiste qui a pris le dessus sur l'armée syrienne libre (soutenue par l'occident et la turquie pour déstabiliser le pouvoir en place).
Nous avons voulu jouer aux apprentis sorciers et aux donneurs de leçons avec des groupes violents et un peuple au milieu (un peu comme en Lybie d'ailleurs). J'imagine qu'il est plus simple pour l'esprit humain d'évoquer les barbaries d'un passé lointain (le nazisme) plutôt que de chercher les responsables et les origines de ce désastre humanitaire et notre implication directe dans ce fiasco que nous refusons d'assumer aujourd'hui. L'occident a sa part de responsabilité depuis le début dans cette affaire, au même titre que Bachar El-Assad ou l'Etat Islamique.
En ce qui concerne cet enfant et sa famille, j'attire votre attention (et non pas votre émotion) sur ce que nous savons d'eux : ils étaient kurdes et vivaient dans la ville syrienne de Kobané, non loin de la frontière turque. La tante du petit garçon (Teema) donne peut-être un début de réponse aux raisons qui les ont poussé à fuir :
"Je tentais de les parrainer, raconte Teema. Mes amis et mes voisins m'ont aidée financièrement, mais nous n'avons pas pu les faire venir, et c'est pour cela qu'ils ont pris le bateau. J'ai même payé leur loyer en Turquie, mais la façon dont ils traitent les Syriens là-bas est horrible."
Ce dernier passage semble laisse penser que cette famille fuyait, non pas les "sbires" de Bachar El-Assad ou de l'Etat Islamique, mais tout simplement le mauvais accueil (la maltraitance?) du gouvernement turc à l'égard de ces réfugiés syriens (kurdes de surcroit). Ne laissons pas l'émotion altérer notre prudence et notre rationnalité.
http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/qui-etait-aylan-kurdi-le-petit-syrien-retrouve-mort-sur-une-plage-de-turquie_1068013.html
Des hommes, qui se baptisent État islamique ou qui officient sous les ordres de Bachar El-Assad, ont créé une situation qui a conduit des milliers d'êtres humains à la mort . Ces hommes, ces assassins, ne sont pas des monstres venus d'une autre planète.
Permettez que je rajoute "des hommes ayant détruit l'Irak, des hommes ayant prôné la déstabilisation de la Syrie, des hommes ayant armé des jihadistes, des hommes en costume-cravate vendant des Rafales" etc.
Ces hommes ne sont pas des monstres venus d'une autre planète, on vote pour eux.
Permettez que je rajoute "des hommes ayant détruit l'Irak, des hommes ayant prôné la déstabilisation de la Syrie, des hommes ayant armé des jihadistes, des hommes en costume-cravate vendant des Rafales" etc.
Ces hommes ne sont pas des monstres venus d'une autre planète, on vote pour eux.
Merci...
Cette photo m'a immédiatement fait penser au dormeur du val. Je suppose que Rimbaud parle de la guerre de 1870. Est ce que ses contemporains se sont pris le dormeur dans la poire, comme on se prend cette photo à présent, en pleurant "plus jamais ça"? 40 ans plus tard, c'était les tranchées. Lassitude...
"Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme sourirait un enfant malade, il fait un somme. Nature, berce-le chaudement : il a froid."
Cette photo m'a immédiatement fait penser au dormeur du val. Je suppose que Rimbaud parle de la guerre de 1870. Est ce que ses contemporains se sont pris le dormeur dans la poire, comme on se prend cette photo à présent, en pleurant "plus jamais ça"? 40 ans plus tard, c'était les tranchées. Lassitude...
"Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme sourirait un enfant malade, il fait un somme. Nature, berce-le chaudement : il a froid."
Je ne peux m'empêcher de reposter le lien vers cette belle interview de Don McCullin, où il parle de la mère biafraise : http://www.horvatland.com/WEB/en/THE80s/PP/ENTRE%20VUES/McCulin/entrevues.htm
"What I would consider my self-portrait, if I had to, would be the Irish tramp who looks like Neptune. Because of his melancholy, his dignity. It is difficult to associate the word “dignity” with conditions such as I photograph, yet dignity is what I try to show. I find it most in the people who suffer the most, they seem to marshal the energy of dignity, because they will not surrender. Like the Biafran mother with the child at her breast, you cannot imagine a more dignified human being."
C'est peut-être là ce qu'apportent certaines de ces photos qui deviennent des icônes. Ce qui frappe, dans cette photo de la mère biafraise, ce n'est pas seulement son extrême maigreur, c'est aussi la dignité, la douceur avec laquelle elle pose son regard sur le photographe. Cette femme nous dit "je suis une femme", et nous ne pourrons plus ignorer que les ibos poussés à la famine par le gouvernement nigérians étaient des hommes et des femmes.
La pudeur des photographies du petit Aylan, ses vêtements si banals, son air d'endormi, nous disent juste "je suis un enfant". Et rappellent à tous que les enfants qui coulent en Méditerranée sont des enfants tout autant que ceux qui courent dans les parcs européens.
Ces photographies ne montrent pas uniquement la mort et la souffrance, elles humanisent la mort et la souffrance. Elles nous amènent à nous identifier à ceux qui en sont victimes. Et plus que leur valeur de choc (qui en soit n'apporte rien et qui, comme l'indique Susan Sontag, peut au contraire nous rendre insensible à leur propre violence), c'est ce processus d'empathie avec les personnes qu'elles montrent, pour certaines d'entre elles, qui est important.
Cela suffit-il pour arrêter toutes les guerres et injustices, non, parce que le monde est vaste et complexe et que quand bien même tout le monde serait de bonne volonté, il y a énormément de choses à surmonter. Mais la photographie du petit garçon biafrais albinos de Don McCullin a poussé Kouchner a créer les Médecins Sans Frontières, et ils existent toujours, et leur action permet de réduire les souffrances dans beaucoup de pays. Et ces images qui nous entourent et nous font nous identifier avec les victimes des guerres, contribuent à nous rappeler qu'une guerre ne se lance pas à la légère, que les hommes qui vivent ici ou ailleurs sont tous également des hommes, et que leur souffrance est notre affaire à tous.
Nous n'abolirons pas toute la souffrance du monde, mais les empathies, la conscience des autres peuvent nous aider à la réduire, ponctuellement et une souffrance après l'autre.
Un des nouveaux petits fachos qui illuminent les forums d'@si en ce moment se plaignait l'autre jour que l'on montre l'image d'Aylan alors qu'on ne voulait pas montrer les images de décapitation de journalistes français par l'EI. Et nous pourrions être dans un système différent : un qui ne montrerait pas les images de violence qui poussent à l'empathie et à l'humanité, mais qui nous abreuverait de celles qui se veulent et sont prises comme des propagandes de haine et de déshumanisation.
"What I would consider my self-portrait, if I had to, would be the Irish tramp who looks like Neptune. Because of his melancholy, his dignity. It is difficult to associate the word “dignity” with conditions such as I photograph, yet dignity is what I try to show. I find it most in the people who suffer the most, they seem to marshal the energy of dignity, because they will not surrender. Like the Biafran mother with the child at her breast, you cannot imagine a more dignified human being."
C'est peut-être là ce qu'apportent certaines de ces photos qui deviennent des icônes. Ce qui frappe, dans cette photo de la mère biafraise, ce n'est pas seulement son extrême maigreur, c'est aussi la dignité, la douceur avec laquelle elle pose son regard sur le photographe. Cette femme nous dit "je suis une femme", et nous ne pourrons plus ignorer que les ibos poussés à la famine par le gouvernement nigérians étaient des hommes et des femmes.
La pudeur des photographies du petit Aylan, ses vêtements si banals, son air d'endormi, nous disent juste "je suis un enfant". Et rappellent à tous que les enfants qui coulent en Méditerranée sont des enfants tout autant que ceux qui courent dans les parcs européens.
Ces photographies ne montrent pas uniquement la mort et la souffrance, elles humanisent la mort et la souffrance. Elles nous amènent à nous identifier à ceux qui en sont victimes. Et plus que leur valeur de choc (qui en soit n'apporte rien et qui, comme l'indique Susan Sontag, peut au contraire nous rendre insensible à leur propre violence), c'est ce processus d'empathie avec les personnes qu'elles montrent, pour certaines d'entre elles, qui est important.
Cela suffit-il pour arrêter toutes les guerres et injustices, non, parce que le monde est vaste et complexe et que quand bien même tout le monde serait de bonne volonté, il y a énormément de choses à surmonter. Mais la photographie du petit garçon biafrais albinos de Don McCullin a poussé Kouchner a créer les Médecins Sans Frontières, et ils existent toujours, et leur action permet de réduire les souffrances dans beaucoup de pays. Et ces images qui nous entourent et nous font nous identifier avec les victimes des guerres, contribuent à nous rappeler qu'une guerre ne se lance pas à la légère, que les hommes qui vivent ici ou ailleurs sont tous également des hommes, et que leur souffrance est notre affaire à tous.
Nous n'abolirons pas toute la souffrance du monde, mais les empathies, la conscience des autres peuvent nous aider à la réduire, ponctuellement et une souffrance après l'autre.
Un des nouveaux petits fachos qui illuminent les forums d'@si en ce moment se plaignait l'autre jour que l'on montre l'image d'Aylan alors qu'on ne voulait pas montrer les images de décapitation de journalistes français par l'EI. Et nous pourrions être dans un système différent : un qui ne montrerait pas les images de violence qui poussent à l'empathie et à l'humanité, mais qui nous abreuverait de celles qui se veulent et sont prises comme des propagandes de haine et de déshumanisation.
Merci encore, malgré toute la noirceur de votre contribution.
Et il me vient cette question, sinistre. S'agit-il de donner à voir la misère du monde, ou de la vendre à voir ?
Et il me vient cette question, sinistre. S'agit-il de donner à voir la misère du monde, ou de la vendre à voir ?