Mathias Enard, les révolutions arabes et les Indignés, d@ns le texte
C'est l'histoire d'un gamin de Tanger, qui travaille pour un cheikh intégriste, et lit des Séries noires à la chaîne. Qui fait ramadan, et rêve de lever une touriste espagnole, parce que c'est le pays des jambons noirs, et la clé de l'Europe. C'est un roman entre deux mondes. Entre Maghreb et Europe, entre révolutions arabes et mouvement des Indignés, entre cadavres échoués sur les plages d'Andalousie, et survivants plus ou moins condamnés. C'est un roman de "fantômes", comme dit Judith. Il y a beaucoup de fantômes, dans le roman de Mathias Enard "Rue des voleurs" (Actes Sud) que nous avons choisi, en cette rentrée, pour notre première plongée D@ns le texte.
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Derniers commentaires
Passionnante. Judith était vraiment à la hauteur, la discussion enrichissante.
Je ne suis pas sûre que je lirai le livre, car ce n'est pas trop ma tasse de thé à la menthe, mais j'ai passé un excellent moment.
Celle-ci en est une autre, mais là l'auteur a une personnalité différente et ne se préoccupe pas à chaque fois de rectifier des propositions, pardon mais parfois un peu ineptes (car oui, cette opposition musulmans/blancs l'est) ou de suivre J. quand elle amène le débat plutôt du côté du politique en sortant presque du livre. Enard je découvre et j'aime aussi, il fait passer ce qu'il a à dire, au moins quand il parle (je n'ai pas lu le livre je vais le faire, celui-ci et "Zone" qui a l'air d'être animé par un sacré souffle, une grande baffe épique contemporaine).
Mais toutes ces précautions hésitantes pour choisir ses mots dès qu'il s'agit de musulmans, d'européens, de méditerranéens, d'arabes, je ne comprends pas vraiment. Et les dix minutes de déblayages moraux au début de l'émission sur le lien entre ce choix d'écriture et notre histoire post-coloniale étaient me semble-t-il de trop, au vu de l'homme assis en face et de ce que semble être son bouquin.
J'aime beaucoup sa manière d'intégrer à son récit ces incongruités qui sont nées du chevauchement des cultures et des générations. Elles peuvent être parfois drôles parfois cruelles mais c'est notre présent, c'est enfin la vie, incohérente et foisonnante, de hasards aussi.
Et puis car c'est sur cela qu'ils ont conclu, je suis restée un peu ébahie devant la découverte de la manière de vivre le ramadan qu'évoquait Judith, surtout après une heure de choix hésitant de vocabulaire, et d'évocations superflues des fumigènes islamophobes (je veux dire: qu'est ce que ces cons là, qui ne sont pas d'hier, viennent faire dans cette discussion). Découvrir aujourd'hui le ramadan familial et festif, c'est j'ai l'impression n'en avoir jamais discuté avec un musulman, et en vivant en France, je trouve ça assez fou. Ce n'est pas une critique (on allez si, un peu malgré tout), et le découvrir dans un livre c'est beau aussi, mais je me dis maintenant que si même Judith, telle qu'elle est, à chercher les étincelles de l'avenir est prise dans les fumigènes islamophobes - ou islamistes- on n'est quand même mal barrés. Parce que n'est pas non plus Judith qui veut :)
Contrairement à certains sinautes, je peux écrire en gros : PAS ! SION ! NANT ! MERCI JUDITH ! MERCI MATHIAS ENARD ! (je pourrais l'écrire en rouge mais on me confondrait avec un autre internaute)...
J'ai eu un peu peur, dans la première partie de l'émission, d'être aussi désenchantée que le récit (car j'ai suivi ces "révolutions" avec un réel enchantement et un solide espoir)... La seconde partie m'a "rattrapée" : J'aime comme Enard parle de la langue arabe (j'ai étudié l'arabe deux ans et hélas ne serai pas capable de comprendre le poème imprimé sur le livre...). L'arabe c'est une belle écriture et de belles sonorités (merci à notre prof. syrienne nous a communiqué l'amour de cette langue).
J'aime comme Enard parle du monde arabe, parce que c'est celui que j'ai rencontré pour la première fois en 74 au Liban et en Syrie, lors d'un court séjour...
Et j'aime comme Judith "brosse" ces phénomènes fantômatiques provoqués par la globalisation et que génère notre regard souvent imbécile et islamophobe sur le monde arabe.
J'ai retrouvé chez Enard l'enthousiasme avec lequel une amie d'origine égyptienne, (interprète arabe-français rencontrée dans mon parcours professionnel) me parlait de ce "Coran", l'ambiance "festive et familiale" lorsque j'allais chez les parents d'un ami d'origine algérienne, pendant le ramadan.
Et j'ai oublié toutes les sal...ries qu'on entend depuis quelques temps, justement sur ce monde arabe si mal connu par nos cultures...
De façon générale, ne serait-il pas possible de tenter au moins de prendre de la hauteur, dans cette émission, pour dépasser ce point de vue franco-français qui tend sans cesse à donner la leçon, cette arrogance qui s'arroge le droit de définir une figure de "l'Arabe" ou de "l'Espagnol" et fait fi de la diversité des cultures, des langues, donc de l'appréhension du monde ? Je pense que Judith en est capable. Encore faut-il que l'invité soit à la hauteur.
Au final, Enard (qui est plus qu'un écrivain occidental, c'est manifestement un fin connaisseur de la culture arabo-musulmane, de l'islam et de la langue arabe) introduit son lecteur au cœur des principales problématiques qui secouent le monde arabo-musulman mais aussi l'Europe.
Lisez le livre, Gérard, parce que là vous me semblez hors sujet et vous vous faites du mal pour rien.
:-)
D'une façon plus générale, il me semble qu'il est possible d'apprécier indifféremment l'un ou l'autre, l'émission, ou le livre, ou l'invité(e), ou la thématique posée par le sujet du livre. Il y a des D@ns le texte que j'ai négligés parce que l'invité ne m'intéressait pas, ou c'était le sujet du livre, ou les deux.
Je peux trouver réussie l'émission qui au final me dissuadera d'aller plus loin , tout autant qu'une émission comme celle-ci qui m'a donné envie de me procurer rapidement l'ouvrage.
Enfin, il y a sans doute mille et une façons de contribuer à ce forum sans avoir nécessairement lu le bouquin concerné. A condition d'éviter d'être péremptoire sur les aspects dont on n'a pas pris préalablement connaissance, en s'appuyant uniquement sur des impressions fugaces ou trompeuses ou en interprétant certains propos un peu hâtivement voire abusivement.
Pour appuyer ce que je disais plus haut, un point de vue paru ce we de la journaliste du monde en charge de la Tunisie, pour une fois bien inspirée.
L'été a été meurtrier pour la Tunisie dans les médias français. Premier tir, sans sommation : la tribune d'un jeune professeur d'université, spécialiste de l'outre-mer, parue le 27 juillet sur Lemonde.fr, décrivant sans nuance des taxis tunisiens confinés chez eux après 22 heures, de peur de se "voir confisquer leur véhicule au détour d'un barrage salafiste" et des "boutiques de prêt-à-porter" exposant des niqab, le voile intégral, "dans leur vitrine". Une deuxième salve, fournie, a été déclenchée par l'agression d'un Français d'origine tunisienne à Bizerte par des salafistes, rapportée par l'intéressé le 16 août. Certes détestable et condamnable, ce fait divers a fait l'objet d'un déchaînement médiatique néanmoins surprenant et a nourri des éditoriaux au vitriol. Alors que rien ne permettait de distinguer ce vacancier d'un autre, la fonction de conseiller régional PS de la Sarthe a été mise en avant pour en faire une quasi- "insulte à la République française" ! Combien de touristes ont été agressés cet été en France ? Combien d'agressions racistes ont été commises ?
Un an et demi après la chute de l'ancien régime de Zine El-Abidine Ben Ali et l'accession au pouvoir des islamistes du parti Ennahda qui domine le gouvernement, les sujets de préoccupation ne manquent pas en Tunisie : la situation sociale et économique, passée au second plan, reste très dégradée, les tensions politiques se développent, les réformes piétinent, des artistes ont été menacés de mort, et le pouvoir manque de fermeté face aux violences perpétrées par des extrémistes religieux - il y en a. Mais de là à annoncer l'avènement d'un "fascisme vert", à déplorer un pays "en proie aux mandibules islamistes", il y a tout de même une marge !
La Tunisie est, et reste, un pays d'accueil pour le tourisme où il est possible de siroter un apéritif, en short, même en plein ramadan. De très nombreux touristes, et pas seulement français, ont pu pleinement profiter de leurs vacances et apprécier, dans leur grande majorité, la gentillesse des Tunisiens. Leur tolérance, aussi. Cet été, sur les plages d'Hammamet ou de Djerba, des touristes occidentales aux seins nus côtoyaient des nageuses tout habillées.
Les femmes tunisiennes ne sont pas cloîtrées chez elles, elles travaillent, étudient, avec ou sans voile. Le niqab n'est pas plus présent que dans certains quartiers de France. Les islamistes n'ont pas pris le pouvoir avec le couteau entre les dents : ils ont été élus, démocratiquement. Ils ne sont d'ailleurs pas majoritaires, ce qui les a contraints à nouer une triple alliance pour gouverner un pays encore déstabilisé, qui tâtonne et qui se cherche aujourd'hui une identité. Comment pourrait-il en être autrement dans une petite république qui n'a jamais connu la démocratie, même au temps de Bourguiba ?
Oui, l'islamisation de la société est un sujet sensible, mais qui mérite mieux que des caricatures.
Bonjour
vous avez publié mercredi dernier dans lemonde.fr un article intitulé
« La Tunisie est islamiste. ». J'ai pu y lire une descrription
apocalyptique des plages tunisiennes.
Immédiatement après cette lecture (mercredi 25 juilllet à 17H 30 fait ma propre enquête sur
la plage populaire de Sidi El Mahersi à Nabeul (un peu plus de 500000 habitants)
Sur 1250 mètres de plage peu fréquentée il est vrai à 2h de la rupture du jeûne j'a pu voir une cinquantaine de baigneuses tunisiennes dont
AUCUN Niqab,
deux mailllots de bains « cycliste »
le reste des une pièce traditionnels ou des bikinis.
J'ai pris des photos que j'ai proposé d'envoyer à Monsieur Clinchamps.
Je n'ai pas eu de réponse de sa part.
Pour compléter , ce matin 27 juillet, dans la queue du Monoprix de l'avenue Bourguiba où je me sert régulièrement (à Nabeul également) deux femmes sur sept portaient un voile (pas un Niqab).
En ville la proportion paraît plutôt de l'ordre de 60% de voiles mais seulement 10% de niqab.
Ceci pour corriger l'impression désagréable que m'a laissé le fait que vous donniez la parole à quelqu'un dont le témoignage me paraît plus fondé sur l'écoute de on-dits que sur une enquête approfondie in-situ.
Pour info aussi,
Le Monde est disponible comme la plupart de la presse française
dans plusieurs points de vente à Nabeul
Cordialement
Aukjoud'hui encore ces messages restent sans réponse.
C'est un extrait d'une brochure de l'office du tourisme tunisien.
Pour le reste, s'il y a hypertrophie possible d'un côté, il y a assurément un euphémisme de l'autre.
"Le niqab n'est pas plus présent que dans certains quartiers de France. Les islamistes n'ont pas pris le pouvoir avec le couteau entre les dents : ils ont été élus, démocratiquement."
Ben oui, le niqab est largement trop présent dans certains quartiers français, ce qui ne permet de l'excuser en rien ailleurs. Ici comme là-bas, il est tout bonnement intolérable, tant il n'y a aucune bonne raison qui ne peut-être allégué pour légitimer son port, ni la culture, ni l'origine et encore moins le culte.
Enfin oui, les islamistes peuvent prendre le pouvoir sans sortir un couteau, démocratiquement, ce qui n'a rien de rassurant le moins du monde, ni pour nous, ni pour ceux qui se laissent encore berner par le concept de démocratie.
yG
Il dit d'ailleurs qu'il y a eu, en Tunisie une "immense amélioration sur le plan du fonctionnement des institutions"
mais "une déterioration de certains aspects de la liberté d'expression".
En Tunisie aujourd'hui pas mal d'institutions ne fonctionnent pas correctement.
La liberté d'expression , tant publique que privée, est certainement bien plus grande que sous les régimes précédents.
L'autocensure qui était de règle ne l'est plus aujourd'hui.
Ne soyez pas impatients, Mathias et Judith, les « printemps arabes », puisque vous continuez à employer l'expression, n'ont encore « accouché » de rien.
Mais la révolution, même si elle parvenait à modifier de fond en comble le monde arabo-musulman, n'aurait pas pour résultat le monde occidental que certains d'entre nous ont tendance à lui assigner pour objectif.
Elle aura « accouché d'un monde meilleur » si nous savons apprendre à vivre avec ce qu'elle
aura produit et qui, à terme, ne sera pas ce que le pessimisme ambiant fait craindre.
Sûr, elle a lu le livre avec attention. Mais as-t-elle compris celui-ci ?
Mathias Enard est un pacifiste bien patient; une chance pour Judith Bernard dont les questions étaient complètement à côté de la plaque.
De plus, tout le monde n'est pas atteint d'islamophobie ou de peur du Coran malgré " l'ambiance fumeuse " actuelle déversée.
Pour le reste : à lire !
Sûr, elle a lu le livre avec attention. Mais as-t-elle compris celui-ci ? "
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Et bien, je laisse le soin à l'intéressée d'apprécier comme il se doit le compliment... Et si vous avez encore un peu de temps à nous faire partager votre science du monde arabe, dites-nous ce que seraient au moins une question pertinente à propos de "Rue des voleurs".
D'avance merci.
Un lecteur trop occidental sans doute pour être certain de bien comprendre
Vraiment, Judith, vous êtes sacrément en forme et le plaisir que vous avez pris à lire, relire et re-relire "Rue des voleurs" pour préparer ce D@ns le texte n'y est sûrement pas pour rien.
En plus c'est communicatif. Alors merci encore et bonne rentrée !
:-)
C'est possible d'avoir des explications à propos de Conrad et Kurtz svp ?
D'autre part, Enard rappelle qu'il y a autant de façon d'être musulman qu'il y a de musulmans. Une assertion toute aussi évidente qu'il est facile de réitérer à propos de n'importe quelle adhésion idéologique.
Mais que faire de ce double constat ? Deux informations qui vont dans des sens différents.
L'un d’accusation, la dérive est inéluctable. Si vous affirmez politiquement le sacré, dans la pratique, les adeptes du sacré n'en auront jamais assez, ils pousseront toujours au maximum le curseur. Pour eux, on n'est jamais assez respectueux. Le sacré et son affirmation étant un pouvoir, il s'exercera sur tous ceux qui ne peuvent suivre le rythme.
L'autre de disculpation, puisqu'il y a autant de manière d'être pieux, un peu, beaucoup, passionnément et à la folie, il est impossible de condamner le sacré en tant que tel.
A priori, nous sommes face à une aporie, impossible de concilier ce double constat. Et pourtant, la solution est simple, il y a une distinction à faire entre le fait de croire et le fait de devoir respecter la croyance d'autrui, entre être croyant et en appeler au sacré.
Nous sommes tous libres de croire dans n'importe quelle "connerie" métaphysique, il est inutile de combattre ce fait, bien au contraire, mais il n'implique en lui-même aucunement qu'on doive collectivement respecter les croyances de quiconque.
On peut donc combattre tous ceux qui en appellent au sacré, au respect de leur petite conviction métaphysique, sans pour autant condamner le moindre croyant. Hélas, toutes les institutions religieuses ont depuis longtemps verrouillées nos institutions politiques, tentant de faire passer le droit de croire et l'obligation de respect comme inséparables. Ce qu'ils ne sont pas, loin s'en faut.
yG
Oui, Evidemment, Bien sûr, il avait atteint un niveau "de dignité" suffisant pour être convié au "tête à tête" mensuel par la "maîtresse" des textes asiniens! Mais cela n'augure pas forcément d'un moment agréable...
Loin s'en faut ... mais Mathias, isolé, ne répondit pas aux provocations dans les premiers temps de l'échange quand JB affirmait au nom du "monde occidental" des "français", des "blancs européens islamophobes"....
Mathias évoquait notre temps, les polars, ses "économies et ses civilisations très perméables", JB en appelait "au siècle des Lumières" à Montesquieu et à Voltaire, ses hommes et ses civilisations très étrangères les unes aux autres".
Mathias avançait sans faillir, relevant des indignés qui ne s'insurgeaient pas ici, son pessimisme des "révolutions" et des mouvements caritatifs avides de pouvoirs là bas.
JB avança bien encore toutes sortes d'autres fantômes et de frontières anciens mais ... Mathias Enard avec son regard affectueux ( et toutes sortes d'autres choses que je suis bien incapable d'apprécier) éclairé par ses connaissances sur le monde arabe, l'islam et le ramadan, emporta ses dernières défenses.
Pour JB, l'affaire était dans la poche, nous serions sûrement nombreux à lire "Rue des voleurs" de Mathias Enard.
Merci pour ces échanges dans tous les cas.
Edit pour fôtte
Vos "ouais' ponctuent l'échange. Faut-il s'en indigner?
Je me la garde pour demain, ça me fera passer une bonne soirée ! (là, je dois faire dodo, je suis en mode "bâillement compulsif" depuis 30 minutes).