"On ne parle de harcèlement scolaire que quand il y a un suicide"
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L'émission
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  • Avec
    Anne-Liz Deba et Margot Déage et Elsa Maudet
  • Presentation
    Nassira El Moaddem
  • Préparation
    Adèle Bellot
  • Réalisation
    Alizée Vincent

Lindsay avait 13 ans, elle s’est donné la mort le 12 mai 2023, après avoir été harcelée durant de longs mois par des élèves de son collège du Pas-de-Calais. Depuis, les parents de l’adolescente crient leur douleur sur les plateaux télé mais aussi leur colère de ne pas avoir été entendus à temps par l’Éducation nationale. Régulièrement, le sujet du harcèlement scolaire arrive à la Une de la presse et en tête des titres des journaux télévisés. Chaque année, selon les données officielles, entre 700 000 et 1 million de jeunes sont victimes de harcèlement scolaire en France. Ministres de l’Éducation nationale, associations de lutte contre le harcèlement à l’école, femme du président de la République, Brigitte Macron, mais aussi youtubeurs : ils sont nombreux à prendre la parole sur ce sujet. Mais pour dire quoi ? Pour quelle politique publique à destination des jeunes victimes ? Et quid des premier·es concerné·es, les élèves, les collégien·nes, les lycéen·nes ? Où les entendre ? Pour réponde à ces questions, trois invitées : Anne-Liz Deba, intervenante dans les écoles sur le harcèlement scolaire, elle-même victime au collège et au lycée jusqu'à une tentative d'assassinat, Elsa Maudet, journaliste éducation à Libération et Margot Déage, sociologue de l’éducation et du numérique.

"Ne parler que des suicides empêche les professionnels de réagir à temps"

Le traitement médiatique du harcèlement scolaire, c'est d'abord la chronique des morts d'adolescent·es de manière régulière. À regarder les reportages consacrés à ce sujet dans les médias, le constat est sans appel. "On parle du harcèlement comme un drame parce qu'on parle de harcèlement que quand il y a un suicide, regrette Anne-Liz Deba. Sinon à la télé, on n'en parle jamais, alors qu'il y a plein d'enfants victimes de harcèlement. Si on faisait de la prévention, on pourrait savoir qu'il y a des enfants qui sont victimes de harcèlement, on pourrait connaitre le numéro d'aide".

"Diffuser des vidéos violentes ne permet pas une prise de conscience"

Que faire journalistiquement des vidéos prouvant le harcèlement, notamment celles filmées par les harceleurs, diffusées ensuite sur les réseaux sociaux ? Est-ce un matériel à utiliser par les journalistes pour reconstituer une histoire de harcèlement, comme l'ont fait les journalistes de 7 à 8 sur TF1 ? Anne-Liz Deba, par exemple, aurait -elle aimé que des médias, pour raconter le harcèlement qu'elle a subi pendant des années, utilisent des images la montrant humiliée ? "Pas du tout, répond sans équivoque l'intéressée. Je trouve ça d'une violence sans nom. En tant que journaliste, je trouve ça très grave de mettre à l'écran des images d'elle en train d'être humiliée par les personnes qui l'ont poussée au suicide."

"La prévention n'est pas un sujet porteur"

Brigitte Macron a fait du harcèlement un de ses sujets d'intervention médiatique. Régulièrement, elle prend la parole publiquement pour alerter, rencontrer des jeunes et assurer de son engagement. Pour Elsa Maudet, les interventions médiatiques de l'épouse du président de la République sur ce sujet, "c'est du saupoudrage". "En terme de prise de conscience médiatique, poursuit-elle, cela reste quelque chose d'instantané, puis on passera à autre chose". En revanche, précise-t-elle, Brigitte Macron "a raison sur la prévention mais médiatiquement parlant ce n'est pas très porteur car on réagit quand des choses se voient, émeuvent, frappent dans le ventre."

Où est la parole des enfants ?

Et les enfants dans tout ça ? Ont-ils voix au chapitre dans le récit médiatique d'un mal qui les touche au premier chef ? Pas vraiment. En 1989, une émission diffusée sur France 3, C'est pas juste, prenait le parti de donner la parole aux enfants. Sarah, 12 ans, y témoignait des brimades quotidiennes, des moqueries, des insultes et des agressions dont elle était victime. Prenant la parole comme dans un tribunal, Sarah avait à ses côtés, sa maman, présentée comme son "avocate". Un de ses agresseurs était lui aussi présent en plateau. "Je trouve ca choquant, réagit Elsa Maudet. Tout est choquant dans cette émission. La victime est accusée. C'est un tribunal, c'est elle qui est jugée et elle se retrouve face à ses agresseurs. Même les questions qui lui sont posées sont hallucinantes". Des questions qui sont toujours posées, regrette Anne-Liz Deba, par des policiers mais aussi des journalistes. Seul bon point, d'après Margot Déage : entendre plusieurs points de vue et une parole des concerné·es. 

Pour aller plus loin

Nommer les violences scolaires, des incivilités au harcèlement scolaire, Claire de Saint Martin, in La lettre de l'enfance et de l'adolescence, 2012
- Le livre de Margot DéageÀ l'école des mauvaises réputations (PUF, 2023)
- L'émission C'est pas juste de France 3 tournée en 1989, et une interview de Sarah par l'INA 30 ans plus tard.
Un monde, le film de Laura Wandel sur le harcèlement scolaire.


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