Ambassadeur assassiné en Turquie : le World Press 2017 critiqué
C'était le 19 décembre dernier. Un policier turc, Mevlut Mert Altintas, assassine de sang-froid Andreï Karlov, l'ambassadeur de Russie en Turquie, dans une galerie d'art d'Ankara, à l'occasion d'un vernissage. Les articles sur le sujet sont accompagnés de plusieurs clichés saisissants. Ils montrent le tueur, visiblement fier de son acte, le poing levé, le corps gisant à ses côtés. L'un d'entre eux, où l'on voit l'assassin de face avant qu'il ne soit à son tour abattu par la police, a été élu meilleure photo de l'année par le concours World Press, à l'occasion de sa 60e édition. Le jury, présidé par le photographe Stuart Franklin, de la coopérative de photographes Magnum, récompense l'auteur de la photo, Burhan Ozbicili, de l'Associated Press, pour avoir eu le réflexe de saisir l'instant et sa capacité à avoir été là au bon endroit, au bon moment.
Mais cette décision ne fait pas l'unanimité. A commencer par le président du jury. Dans une tribune du Guardian, Stuart Franklin explique s'être opposé à cette décision : "Mettre cette photographie sur un tel piédestal, est une invitation à contempler ce genre de mises en scènes spectaculaires, et joue le rôle d'intermédiaire entre le martyr et sa publicité." Des propos soutenus en France par le journaliste de Télérama Laurent Abadjian qui déplore la capacité d'une telle image à mettre en lumière un acte abject et odieux. Bien qu'il admette que publier une telle photo est nécessaire puisqu'elle montre que "les terroristes n'ont pas toujours le visage de leurs caricatures", le journaliste estime que récompenser cette dernière valorise ainsi une information, un geste. Pas celui du photographe, mais celui du tueur.
Lors de sa publication, le cliché en avait déjà heurté plus d'un, comme @si le racontait en décembre. Plusieurs abonnés du New York Times s'étaient plaints auprès du quotidien qui avait publié la photo en question en Une de son édition du 20 décembre 2016 puis sur la page d'accueil de son site. L'éditeur en chef adjoint du Times Phil Corbett avait alors défendu le choix du quotidien estimant que la photo disait la violence de l'attaque plus efficacement que n'importe quel texte. D'après lui, "ce n'est pas gore ou sensationnel de manière gratuite".
(Valentin Etancelin)
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