Ce grand mag' allemand publie l'auto-critique de ses articles
"Der Spiegel" demande à un universitaire d'écrire dans ses colonnes des analyses critiques du travail de la rédaction
L'initiative est inédite en Europe : le célèbre magazine allemand Der Spiegel, il y a quelques mois, a sollicité l'un des universitaires spécialistes des médias les plus connus d'Allemagne, Bernhard Poerksen. La demande ? Exercer une analyse critique, chaque trimestre, du travail de la rédaction du Spiegel, dans les pages-mêmes du magazine, et ce sans aucune restriction, ni de sujets ni dans la manière de travailler ou d'écrire, a assuré le rédacteur en chef dans le texte qui précède chaque chronique – ce qu'a confirmé Bernhard Poerksen à Arrêt sur images.
"Nous comprenons que nos lecteurs valorisent la transparence, un élément important de la confiance qu'ils nous accordent. Nous voulons leur montrer que nous sommes ouverts à la critique. Nous voulons qu'ils sachent ce qu'un expert pense de notre travail", écrit ainsi ledit rédacteur en chef, Dirk Kurbjuweit. La première chronique de Bernhard Poerksen, publiée en septembre sur la version anglophone du site web du magazine, était consacrée à l'échec des médias face à Donald Trump. Elle épargnait largement Der Spiegel, tout en proposant une analyse féroce des multiples faillites journalistiques face aux populistes dont Trump est le symbole.
À l'instar de cette critique acerbe et à contre-courant de la photo de Donald Trump venant de se faire tirer dessus, poing levé, entouré des agents du Secret service, sur fond de ciel bleu et de drapeau des États-Unis, prise par le photojournaliste d'Associated Press Evan Vucci. "C'était, selon un consensus immédiat, une image iconique. Et elle a immédiatement changé le récit. L'homme est soudain devenu un héros, écrit l'universitaire. En réalité, bien sûr, rien n'avait changé. La photo était seulement de la propagande déguisée en journalisme. Parce que cette photo est une composition, le résultat d'une coopération intuitive entre Donald Trump et le photojournaliste. Elle montre Trump exactement comme il l'aurait voulu : fort et invincible."
En décembre, l'universitaire remet le couvert avec la couverture du climat. Et cette fois-ci, il se focalise sur le Spiegel, en remontant les décennies avec l'aide des archivistes du magazine. Il constate que jusqu'à 2019, Der Spiegel couvrait le dérèglement climatique sans aucune ligne directrice, alternant entre, d'une part, des couvertures catastrophistes, par exemple avec la cathédrale de Cologne sous l'eau dès 1986. Mais aussi avec des contenus climatosceptiques, relativistes ou techno-solutionnistes à l'initiative d'un nombre (réduit) de chefs de services du magazine – telle une interview d'un cadre du géant de l'énergie allemand RWE contestant la réalité du dérèglement climatique et attaquant le travail des scientifiques du Giec.
Si, aujourd'hui, le magazine semble avoir une ligne éditoriale moins floue, Bernhard Poerksen observe que la couverture des enjeux climatiques reste trop souvent au second plan dans ses pages. Combien de temps ce critique des médias, dont les chroniques ne sont pas rémunérées, pourra-t-il jouer ce nouveau rôle ? Aux États-Unis, la quasi-totalité des médias qui avaient créé une telle fonction l'ont aujourd'hui éliminée, fait observer un article (admiratif) de la Columbia Journalism Review à propos de la démarche du Spiegel.
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