Dans les médias, des prisonniers palestiniens libérés et invisibilisés
Analyse

Dans les médias, des prisonniers palestiniens libérés et invisibilisés

"Tous terroristes" sur RMC, souvent sans nom ailleurs

Quasi absents des JTs, les 90 prisonnières et prisonniers palestiniens libérés par Israël en échange de trois otages du Hamas ont souvent été oubliés par les médias français. Sur RMC, Olivier Truchot et sa bande sont même allés jusqu'à les qualifier de "terroristes". Revue de presse et rappel des faits.

Dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu à Gaza, trois otages israéliens ont été libérées par le Hamas (Doron Steinbrecher, Romi Gonen et Emily Damari) en échange de 90 prisonniers palestiniens qui sont en réalité très majoritairement des femmes. Les visages de ces dernières n'ont pas fait la une, leurs histoires et leurs noms encore moins. Pire, elles ont même été qualifiées de "terroristes" par certains journalistes, qui ont répété la propagande israélienne, plutôt que les faits. 

"Gaza/Israël : Trois otages libérées contre 90 terroristes. Le prix à payer ?". C’est ainsi que l’émission Les Grandes Gueules a décidé de titrer la séquence de 15 minutes qu’ils consacrent, ce 20 janvier, à la libération des 90 prisonniers palestiniens. La terminologie est également reprise sur leur compte X, agrémenté d’un émoji "chaînes" et d’un émoji "boom", dont on vous laissera juger du bon goût.

L'animateur Olivier Truchot donne le ton dès le départ de cette séquence : "Contrairement à ce que j'ai pu entendre, ce ne sont pas des prisonniers politiques, ce sont pour la plupart des gens qui ont été condamnés pour des faits de terrorisme, pour des attentats suicides donc c'est des gens qui ont du sang sur les mains", affirme l’animateur sans sourcer ni sourciller. 

La discussion se poursuit sur le plateau. "Si en échange de trois personnes t'es obligé de libérer des terroristes, ça va jamais s’arrêter", déplore le chroniqueur Brunot Poncet, seul parmi ses camarades à concéder cependant que "des fois dedans t’as des gens qui ont été arrêtés pour de très mauvaises raisons". "On est en train de recréer le prochain 7 octobre en libérant des terroristes qui n’ont qu’une seule envie, c’est de tuer des israéliens" renchérit un autre chroniqueur, Antoine Diers, avant d'insister : "On libère 90 terroristes, 90 nouveaux cadres du Hamas" qui selon lui sont tous "prêts à mourir pour tuer des israéliens"

L'enjeu du débat étant de savoir si oui ou non, la vie des 3 otages israéliennes "trois vies innocentes, parfaitement innocentes" vaut la libération de "90 terroristes" qui, par opposition, sont donc tous coupables, parfaitement coupables. Contacté par Arrêt sur images concernant son utilisation du terme "terroriste" pour qualifier les 90 prisonniers palestiniens libérés, Olivier Truchot a décliné notre demande d'interview. 

"69 femmes et 21 adolescents"

Le sujet des prisonniers palestiniens est, en réalité, très complexe. Le même jour sur France Inter, Josha Zarka, ambassadeur d'Israël en France, assurait que les 90 prisonniers libérés sont "en grande partie des terroristes"

Mais qui sont ces personnes ? Parmi les 90 prisonniers libérés ce dimanche figurent "une grande majorité de femmes et même de mineurs" explique le journaliste Angy Louatah en duplex de Tel-Aviv sur... l’antenne de BFM - qu’Olivier Marchall, dont l'émission est diffusée sur cette même chaîne, ne semble pas regarder. "Il y a également des mineurs voire des enfants", détaille l'envoyé spécial de la chaîne d'info.

Le Monde évoque de son côté, en citant le Haaretz, la présence parmi ces 90 prisonniers libérés de Nawal Fatiha, "condamnée à huit ans de prison pour avoir poignardé un Israélien à Jérusalem". Le journal du soir précise aussi que "selon les informations du service pénitentiaire israélien, le contingent des 90 libérés comprend 69 femmes et 21 adolescents", ajoutant que la plupart "purgeaient des peines courtes, étaient en attente de jugement ou placés en détention administrative". 

La détention administrative, pour rappel, est une procédure d’urgence permettant à l’armée israélienne d'incarcérer sans inculpation ni procès des Palestiniens pendant une période illimitée. Un véritable système de "justice" parallèle, dont les enfants ne sont pas préservés. Dans son reportage sur place, à Beituna, où les familles des détenus attendent leurs proches avec impatience, La Croix fait état de "femmes et [de] mineurs, détenus pour la majorité sans inculpation, ni jugement". Dans celui de Libération, un jeune Palestinien qui attend sa soeur témoigne en ce sens : "on ne sait toujours pas pourquoi on l'a arrêtée, personne ne nous a donné de réponse depuis 9 mois". L'envoyée spéciale de Libé à Beituna (Cisjordanie Occupée), détaille que Saja Mouadi "a été emmenée par des soldats une nuit, hors de sa maison, visiblement accusée d'avoir partagé des contenus anti-occupation"

Quelques visages et très peu de noms

Selon la recension faite par ASI, l'émission de RMC est la seule à reprendre ainsi à son compte la rhétorique de l'Autorité pénitentiaire israélienne qui évoquait elle aussi "90 terroristes libérés". L'ensemble des médias français décrivent des "prisonniers".  Beaucoup, reprennent les images de l'arrivée des bus acheminant les anciens captifs de la prison militaire d'Ofer (Cisjordanie occupée) et d'un centre de détention à Jérusalem, vers Beitunia.

Pour la majorité des médias, les prisonnières n'ont cependant pas de noms, à l'instar de cette séquence de M6 (en bas à droite de la capture ci-dessus) dans laquelle Hadeel Shatara, éducatrice palestinienne et administratrice du programme d’études supérieures à l’université de Beir Zeit, est simplement décrite comme "professeur activiste", alors même que son identité est bien connue des milieux militants internationaux et pro-palestiniens, qui se mobilisaient depuis son arrestation et sa détention administrative. 

Quelques articles, qui font figure d'exception, se penchent sur l'identité des prisonnières libérées et livrent quelques noms. France Info cite Abla Abdel Rassoul, "la doyenne âgée de 68 ans", ou encore Khalida Jarrar, ancienne députée palestinienne et figure du FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine) - considéré comme organisation terroriste par Israël, les États-Unis et l'Union Européenne.

Le nom de Khalida Jarrar est également cité au JT de 20h de TF1 qui consacre un sujet à la libération des 90 prisonniers palestiniens, mais c'est le seul. Pas de noms pour "cette étudiante de 23 ans" ni "ce jeune homme" dont la chaîne diffuse quelques mots. En face, le 20h de France 2 ne consacre que dix secondes au sort des prisonniers palestiniens libérés. Dans le 13h du même jour, la chaîne revenait plus longuement sur le sujet, l'occasion d'apprendre que le jeune homme présenté par TF1 s'appelle en réalité Abdul Aziz Muhammad Atawneh. 

Trois journalistes libérées passées sous silence

Dans un reportage sur le même sujet, France Info mentionne la journaliste palestinienne Bouchra al-Tawil, qualifiée ici simplement d' "activiste palestinienne", contrairement à l'AFP qui la désigne bien comme journaliste et rappelle qu'elle était "emprisonnée en mars 2024" dans une dépêche datée du 20 janvier et reprise par L'Express, TV5 Monde, France 24, et quelques sites de presse quotidienne régionale (Corse Matin, L'Indépendant, La Voix du Nord, La Nouvelle République, ou encore Actu.fr). Contacté à ce sujet par ASI, france info n'a pour l'heure pas donné suite à nos sollicitations. 

Deux autres femmes journalistes sont, en revanche, complètement absentes de la couverture médiatique française. C'est le cas de Rula Hassanein, journaliste pour le média palestinien Wattan, battue et arrêtée en mars 2024 par l'armée israélienne, tout comme Bouchra al-Tawil. Elle raconte à Middle East Eyes ses conditions effroyables de détention. Reporter Sans Frontière a publié un post sur X pour se réjouir de leur libération et appeler à celle des "39 journalistes palestiniens injustement détenus en Israël"Selon la Fédération internationale des journalistes (FIJ), la photojournaliste Ashwaq Awad(arrêtée et emprisonnée depuis août 2024) fait également partie des prisonniers libérés ce dimanche. 

Au total, 1000 prisonniers palestiniens devraient être libérés dans les six prochaines semaines, en échange de la libération de 33 otages israéliens. Haaretz évoque notamment les noms de Mohammad Abu Warda, condamné à 48 peines de prison pour son rôle dans deux attentats terroristes dans des bus à Jérusalem en 1996 qui avaient fait 45 morts, ou encore Mahmoud Atallah, condamné à perpétuité pour le meurtre d’une Palestinienne qu’il soupçonnait de renseigner Israël et accusé d'avoir violé l'une de ses gardiennes en prison. Ainsi que plusieurs cadres du FPLP et du Hamas. 

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