Étienne Klein, une thèse constellée de plagiats
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Étienne Klein, une thèse constellée de plagiats

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Le philosophe des sciences préféré des médias a bâti sa carrière et sa légitimité scientifique à partir d'une thèse, soutenue en 1999, sur la quête de l'unité en physique. Elle a été publiée en 2000 par les Presses universitaires de France. Or, cette thèse est constellée de dizaines de paragraphes, ou même de pages entières, copiés-collés sans guillemets ni attributions. Des emprunts à une vingtaine d'auteurs et autrices, publié·es aussi bien dans des ouvrages pointus que dans des livres grand public. Confronté à notre recension, Étienne Klein a préféré garder le silence.

"Si la pensée parvenait à découvrir, dans les miroirs changeants des phénomènes, des relations éternelles qui puissent les résumer, on pourrait certainement parler d'un bonheur de l'esprit. À défaut d'être une trame nécessaire de la pensée, le désir d'unité correspond à une nostalgie, à un appétit d'absolu, à une impatience ontologique." Ces deux (belles) phrases proviennent de la première page de L'unité de la physique (Puf, 2000), republication au mot près de la thèse en philosophie des sciences d'Étienne Klein, soutenue en 1999. Elles sont surtout copiées-collées du Mythe de Sisyphe (Gallimard, 1942) d'Albert Camus. Cette même première page contient ensuite quatre phrases recopiées à partir d'ouvrages des philosophes des sciences Jean-Michel Besnier et Daniel Parrochia.

La suite relève-t-elle d'un travail original ? Pas vraiment. La première page de son introduction est elle aussi plagiée d'un article du prix Nobel de physique Louis de Broglie remontant à 1947. Quant à la métaphysique, "forme la plus pure de ce goût pour l'unité, le moment décisif où l'esprit se résout, non sans appréhension, à rechercher hors du monde l'explication unifiante du monde", le thésard d'alors la copie à partir du Que sais-je du philosophe François Grégoire à propos des "grands problèmes métaphysiques" (Puf, 1957).

Des plagiats issus de textes de son propre jury de thèse

Ces premières pages reflètent les mauvaises habitudes d'Étienne Klein, épinglé en 2016 par l'Express pour des phrases piochées chez de grands auteurs et d'autres physiciens, sujet d'un précédent article d'Arrêt sur images pour le recyclage de ses propres textes… y compris ceux comportant des plagiats déjà identifiés. À l'Express puis au Monde – qui était revenu en 2021 sur les plagiats dévoilés par l'hebdomadaire –, Étienne Klein disait avoir été traversé involontairement par la prose d'écrivains à force de les avoir lus. Ou mettait en avant l'impossibilité de présenter des phénomènes physiques de manière différente du canon scientifique. Auprès d'ASI en mai 2024, il justifiait sa pratique du recyclage de textes afin d'alimenter des ouvrages, chroniques et textes de vulgarisation (plagiats compris) par leur caractère pédagogique. Si l'Express – qui lui avait confié une chronique en 2022 – avait alors cessé sa collaboration avec Étienne Klein, France Culture lui avait conservé sa confiance.

Nous avons voulu remonter à la source de la pratique d'Étienne Klein. Vulgarisateur scientifique talentueux, il est adoré des médias depuis deux décennies et tête d'affiche de France Culture, où il anime l'émission hebdomadaire d'entretiens La conversation scientifique. Sans oublier un siège au conseil scientifique de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), afin d'éclairer les parlementaires à propos des "enjeux scientifiques de sujets qui doivent ensuite être traduits en termes politiques"

Cette source de la pratique d'Étienne Klein, c'est sa thèse, intitulée Études sur la question de l'unité en physique – ensuite publiée sous le titre L'unité de la physique par Puf. Il l'a soutenue en 1999 à l'Université Paris-Diderot, face à un jury composé de grands noms de la philosophie des sciences tels que Dominique Lecourt, Françoise Balibar, Michel Paty ou Lambros Couloubaritsis. Ils ont validé un travail scientifique pourtant plagié dans les grandes largeurs, puisque notre recension établit que plusieurs dizaines de pages de cette thèse ont été copiées-collées, parfois avec de légères paraphrases, d'autres œuvres d'au moins 22 auteurs et autrices différent·es… y compris trois membres de son propre jury. Au total, nous avons identifié des passages plagiés dans 88 des 429 pages de texte du livre issu de la thèse, soit un peu plus de 20 % : vous pouvez retrouver ici l'intégralité des plagiats identifiés

Sollicité à plusieurs reprises par ASI, Étienne Klein n'a pas répondu avant publication du présent article – il l'a fait après publication, voir plus bas. À ces plagiats, il faut ajouter le fait que sa thèse reprend, comme nous l'avons découvert après la publication initiale de cet article, des dizaines de pages d'un livre intitulé La quête de l'unité, qu'Étienne Klein a cosigné avec le physicien Marc Lachièze-Rey, publié en 1996 chez Albin Michel. Aucune mention de ce recyclage ne figure dans sa thèse, ni dans le corps du texte, ni dans les notes de bas de page, ni dans la bibliographie. 

Comment avons-nous procédé ?

Pour mener cette enquête, nous sommes donc partis d'une interrogation simple : la thèse d'Étienne Klein comporte-t-elle des plagiats ? Voici comment nous avons opéré. Nous avons copié à la main plusieurs centaines de phrases de sa thèse, celles notamment qui nous semblaient étrangères à son propre style – plus littéraires ou plus techniques – dans le moteur de recherche Google Books. Nous avons ainsi pu identifier de très nombreux emprunts en comparant avec les versions numériques des livres plagiés. Afin de nous assurer que les identifications de Google étaient correctes et ne relevaient pas, par exemple, d'écrits de Klein lui-même, nous avons aussi consulté les exemplaires physiques des ouvrages, dont certains n'étaient disponibles qu'à la Bibliothèque nationale de France.

Nous nous sommes également rendus à la bibliothèque universitaire de Paris Diderot, à quelques centaines de mètres de la BNF, où était consultable la thèse originale d'Étienne Klein, pour nous assurer que celle-ci était strictement identique (sources et références comprises) au livre l'ayant republiée. C'est le cas. Lors de ces déplacements, la consultation des ouvrages manquants à notre recension nous a par ailleurs permis d'identifier d'autres plagiats de livres signalés par Google sans pour autant être intégralement consultables. Nous avons ensuite identifié plus précisément l'ampleur de chaque plagiat grâce à un outil en ligne de comparaison automatique de textes hébergé sur le site de l'Université internationale des sciences appliquées de Berlin. On ne parle pas ici de citations usuelles courantes dans le monde de la recherche et balisées comme telles, via notamment l'usage des guillemets.

Les étranges méthodes d'Étienne Klein

Qui sont les victimes de ces plagiats ? Étienne Klein emprunte en général aux meilleurs, tels que les prix Nobel Louis de Broglie ou Albert Camus, déjà cités. Lorsqu'il s'agit de décrire les philosophies d'Aristote ou de Thomas d'Aquin, Étienne Klein pioche dans l'Encyclopædia Universalis, encyclopédie de référence avant la naissance de Wikipedia, composée d'articles écrits par des spécialistes de chacun des sujets traités. Lorsque Klein décrit Le Traité du Ciel d'Aristote, il le fait ainsi avec les mots de Pierre Aubenque, spécialiste du philosophe antique. Nulle part dans sa thèse ne sont pourtant citées ces notices d'Aubenque, ou celles écrites par Marie-Dominique Chenu et Jean Trouillard, dont il a aussi copié des passages. Il n'évoque pas plus les Que sais-je sur Les théories de la connaissance ou Les grands problèmes métaphysiques. Aucune citation non plus pour La joie de la pensée de la physicienne Françoise Balibar, ouvrage de vulgarisation publié en 1993 dans la collection Découverte Gallimard, et dont Étienne Klein copie-colle ou paraphrase l'équivalent de trois pages.

À plusieurs reprises, Étienne Klein use aussi d'un subterfuge déjà identifié en 2016 par l'Express : citer un auteur de façon correcte, tout en le plagiant avant ou après sur plusieurs paragraphes sans plus signaler de référence. Il y a par exemple ce plagiat très brutal du physicien américain Gerald Holton : cinq pleines pages copiées-collées d'un article traduit en français par la revue Le Débat en 1998, sans aucun guillemet, dont seul un fragment du texte lui est attribué. Il procède de la même manière pour son copié-collé de quelques pages d'un ouvrage de Michel Paty, membre de son jury de thèse. Mais il peut aussi faire référence à un ouvrage dans sa thèse, pour certains passages, tout en recopiant d'autres passages à plusieurs pages d'écart sans plus de guillemets ni de référence. C'est le cas du livre Aux origines de la philosophie européenne, du philosophe belge - et autre membre de son jury - Lambros Couloubaritsis. Jury dont on se demande comment il a pu valider son travail sans tiquer, alors même que Klein a emprunté le travail de trois de ses membres.

Des plagiés répondent à "ASI"

La réponse est apportée à ASI par Lambros Couloubaritsis. "Sa thèse sur l'unité a été inspirée par mon travail sur l'Un et le Multiple. Qu'il s'agisse d'enseignement ou de séminaires communs ou qu'il s'agisse d'inspirations, il n'est pas anormal que des personnes ne se rendent plus compte de ce qu'ils empruntent, et cela peut arriver à chacun de nous dans ces circonstances", commente-t-il à propos des plagiats de son travail par Klein. Lui-même dit être conscient "d'avoir été inspiré et donc utilisé des idées provenant de mes chercheurs ou même de mes doctorants, sans toujours voir les limites", tandis que "les nouvelles technologies ont amplifié ce problème"Le philosophe de l'Université Libre de Bruxelles – et docteur honoris causa à l'Université de  Liège – poursuit : "Certes, il serait plus logique (pour ne pas dire plus honnête) que ces emprunts soient accompagnés d'une note ou de guillemets." Il met cependant en avant le fait que ses propres travaux soient régulièrement reproduits ailleurs sans référence pour indiquer qu'il n'est "pas une surprise" de les retrouver dans la thèse de Klein. "Quand cela vient de personnes que je connais parce que nous avons collaboré ensemble ou parce que nous avons eu des rapports scientifiques durables ou fugitifs, comme c'est le cas avec Étienne, cela ne me gêne pas. Je comprends cela comme une sorte de rapport de filiation…" Lambros Couloubaritsis se dit plus heurté lorsqu'on lui "emprunte des idées importantes" sans les lui créditer.

Deux autres chercheurs plagiés par Étienne Klein ont accepté de répondre à ASI, mais sous condition d'anonymat. L'un défend sans détour le doctorant d'alors : "J'adhère à l'esprit des Lumières qui croyait, avec Kant lui-même, que lorsqu'on s'exprime au nom de la raison, il n'est nul besoin de rendre à César ce qui n'appartient pas à César. L'attachement à la notion d'auteur m'est assez étranger et la propriété intellectuelle pollue selon moi les esprits plus qu'elle ne les porte à la création, nous a répondu ce philosophe français. Si l'intelligence d'Étienne Klein a pu trouver à être inspirée quelquefois par mes écrits, pourquoi m'en plaindrais-je ? Il y a bien des petitesses dans l'époque que l'on vit et je pense qu'on soumettra tôt ou tard Les Essais de Montaigne au détecteur de plagiats." Une défense qui ne manque pas de sel : Montaigne, inspiré par Plutarque, le cite 88 fois dans les Essais et pour "toute citation assez importante", faisait remarquer une spécialiste des deux philosophes dans l'Express en 2011. À noter que ce n'est pas la première fois que les Essais sont mis en avant pour excuser un plagiaire, à l'époque Joseph Macé-Scaron.

Quid de l'éthique scientifique ? "L'éthique scientifique s'insurge contre cette pratique, que je m'interdis à moi-même", a répondu à ASI ce philosophe anonyme. Mais "l'éthique reflète toujours les normes d'une époque, tandis que la morale prétend être absolue et ignorer les particularités du temps", une "distinction élémentaire", poursuit-il. Concernant Klein, si "son ignorance des usages académiques (ie. de l'éthique en vigueur) pouvait surprendre et scandaliser", il tient à assurer que "son attachement aux valeurs d'intersubjectivité (sa morale) reste à [s]es yeux hors de cause", et "réprouve l'acharnement dont il est encore l'objet". De son point de vue, l'examen des plagiats éventuels d'une thèse et les exigences bibliographiques afférentes relève en France d'évolutions venues du monde anglophone remontant aux années 1980. Des évolutions étrangères aux "professeurs de l'ancien temps" comme ceux du jury de la thèse de Klein. Ainsi, son directeur de thèse, le défunt Dominique Lecourt, avait "la générosité du savant qui accompagne les recherches d'un doctorant prometteur". Alors, il "ne se serait pas abaissé à contrôler sa probité au point d'aller vérifier qu'il n'avait pas été pillé par son poulain".

Un autre philosophe français des sciences nous a répondu qu'il "était au courant", mais juge le copié-collé de plusieurs paragraphes de son texte "vraiment minime". Alors, il "ne souhaite pas intervenir dans ce débat, sinon pour [s]'en amuser". Et préfère citer Romain Gary répondant aux suspicions qu'il était derrière le pseudonyme d'Emile Ajar : "Que voulez-vous, je n'y peux rien, j'influence les jeunes auteurs." Si côté francophones, l'indulgence domine, ce n'est pas le cas chez tous les chercheurs contactés. "Merci d'avoir attiré mon attention sur les étonnantes publications d'Étienne Klein", nous a indiqué le chercheur néerlandais de l'Université de Leyde Jan Willem van Holten. Des pages entières ont en effet été plagiées à partir de sa contribution traduite en français dans un ouvrage collectif autour du vide, publié en 1998. "J'ignorais l'existence de ce travail, je ne l'ai jamais rencontré ou échangé avec lui, et je ne lui ai certainement jamais donné l'autorisation de copier des extraits de ma contribution", a-t-il poursuivi à propos de ce "cas de plagiat"

"Je n'étais pas aussi rigoureux qu'aujourd'hui"

Quelques heures après publication de cet article, Étienne Klein a posté sur X une longue réponse – ensuite supprimée, nous la republions ci-dessous. Après un long développement sur "une sorte d'acharnement" dont il serait l'objet de la part de Loris Guémart (coauteur de ces lignes), Klein écrit : "Il est vrai qu'il y a 25 ans (les écrits qu'il cite datent... de 1999, me glisse-t-on !), je n'étais pas aussi rigoureux qu'aujourd'hui." Il ne précise pas que "les écrits" concernés sont ceux de sa thèse de doctorat. Étienne Klein précise aussi que je n'aurais "pas travaillé autant qu'on pourrait le croire" car "les éléments qu'il a rendus publics lui ayant été envoyés par un noble citoyen au tempérament zélé". Cette affirmation ne semble pouvoir désigner que le coauteur de cet article, le journaliste Jean Abbiateci. Enfin, Klein se compare à  Zola et Borges en les citant en italique.

La rigueur dans les sources de sa thèse, Étienne Klein la défendait pourtant dans des déclarations antérieures qui avaient échappé à ASI, mais ont été opportunément rediffusées à l'antenne de France Inter le 17 août 2024 – après la publication de notre enquête puis de la réponse de Klein. Le 15 février 2014, dans un entretien radiophonique consacré à sa carrière, le vulgarisateur assurait ainsi, en réponse à une question à propos de sa thèse de doctorat soutenue à 40 ans : "C'était un moyen d'apprendre une forme de rigueur [...] parce que dans le manuscrit qu'on est censé rendre, on doit veiller à ce que chaque phrase soit logiquement reliée à la précédente. On doit vérifier que ce qu'on dit n'a pas été dit par quelqu'un d'autre, si c'est le cas il faut donner la citation." 

Le 22 août 2024, Étienne Klein a publié une nouvelle réponse à notre enquête. "Le sujet de ma thèse de philosophie, rédigée en quatre ans il y a plus d'un quart de siècle, était très vaste" au point de l'"intimider", écrit-il dans ce texte diffusé sur X. "Sans doute pour me donner confiance, j'ai parfois commis l'erreur de m'appuyer sur des éléments écrits par d'autres, que j'ai ensuite faits miens." Il admet avoir fait "certainement preuve de désinvolture et de négligence", même si "à ce jour, nulle personne ne m'a dit s'être sentie lésée en quelque façon" et que "les auteurs concernés semblent dire qu'ils ne voient pas là de quoi faire une «affaire»"Étienne Klein présente ensuite ses excuses, et conclut : "Les personnes qui me lisent aujourd'hui savent que je suis devenu un auteur qui cite abondamment («trop», me reproche-t-on parfois) et de façon rigoureuse."

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