Mort d'Alain Delon : les médias évitent les mots qui fâchent
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Mort d'Alain Delon : les médias évitent les mots qui fâchent

Comme "violent", "misogyne", "homophobe" ou "proche de l'extrême droite".

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Dans les sujets sur sa mort, très peu de médias osent aborder explicitement certains pans de l'histoire d'Alain Delon. Lui qui a par exemple reconnu avoir frappé des femmes et vouloir "pousser" le succès de Jean-Marie Le Pen, est décrit comme une icône avec ses parts "d'ombre", un homme à la personnalité "contrastée".

Normalement, le journalisme n'aime pas les circonvolutions. Normalement. Car quand une icône meurt et qu'une partie de sa vie est embarrassante, les médias ne se privent pas de tournures alambiquées pour éviter de dire les choses. C'est le cas, depuis l'annonce de sa mort, ce dimanche 18 août, d'Alain Delon. Alors qu'il a reconnu des violences physiques envers plusieurs femmes, qu'il a assumé des propos homophobes dans les médias ou reconnu son amitié avec Jean-Marie Le Pen, la presse édulcore ces pans de sa biographie. 

Parmi les premières nécrologies consacrées à l'acteur (ainsi qu'il se définissait, plutôt que "comédien"), certaines ne mentionnent tout simplement aucun de ces éléments. C'est le cas de celles publiées par 20 minutes, le Figaro, le Point, l'Express ou des premiers sujets diffusés sur BFMTV. Aucun, pourtant, ne se focalise uniquement sur la carrière cinématographique d'Alain Delon (ce qui aurait pu expliquer ce silence). La plupart zooment aussi, dans leurs nécros, sur sa vie privée : ses relations avec Jean-Paul Belmondo, ses démêlés avec la justice (l'affaire Markovic) ou encore les "femmes de sa vie" (Romy Schneider, Mireille Darc, Nico...). L'angle revient à toutes les sauces - dans des articles ou sujets spécifiques - sur BFMTV, chez Ouest-France, Madame Figaro, TF1, France 2, le PointParis Match, à la Nouvelle République, au Parisien en passant par France info

Aveux de "gifles" sur plusieurs femmes

Les propos homophobes d'Alain Delon et les accusations de violences envers les femmes à son encontre, elles, ne sont jamais explicitées clairement, d'après notre recension. Ces faits d'armes sont pourtant connus de la presse. Ce, depuis longtemps. Les relations homosexuelles, "c'est contre nature", avait-il répété devant Anne-Sophie Lapix, en 2013. En 2013, toujours, l'un des fils d'Alain Delon affirmait que son père avait l'habitude de frapper sa mère. "Huit côtes cassées et un nez fracturé par deux fois" avait-il témoigné dans Vanity Fair Italie. Alain Delon avait alors réagi dans le Parisien, en contestant les faits. Mais plus tard, en 2018, dans l'émission de France 2 Thé ou Café, Alain Delon avouait lui-même avoir déjà giflé une partenaire. À la question : "Est-ce que vous avez eu des comportements un peu machistes ?", l'acteur avait répondu : "Je sais pas ce que vous appelez machiste. Une gifle c'est machiste ? Oui, j'ai dû être machiste".

Madame Figaro rappelle d'autres témoignages. Dont, à nouveau, celui d'Alain Delon lui-même, face à la police, en 2019. Il dépose alors plainte contre sa "dame de compagnie", Hiromi Rollin, pour abus de faiblesse. La scène décrite par le féminin se déroule devant la police. "À la question : «Avez-vous déjà été frappé par Hiromi Rollin», il répondait : «Oui. En réponse à mes frappes, physiques. Quand elle m'énervait», avant de mimer le geste, celui d'une gifle." Le magazine ajoute : "Une lettre de dix pages, datée de 2010, écrite par la salariée à l'une de ses amies et ajoutée à son dossier judiciaire, fait acte de la violence de la star envers elle, à de nombreuses reprises". En réaction à ces accusations, une pétition avait appelé le festival de Cannes à ne pas décerner de palme d'honneur à Alain Delon, en 2019. L'info avait fait le tour de tous les médias.

Un homme "ombrageux" avec ses parts de "tempête"

Au lieu de nommer les choses, dans les premières nécrologies, certains journaux évitent le sujet. Le Monde est l'un des rares journaux à évoquer l'homophobie d'Alain Delon. Mais rien, sur les accusations de violence. Libération parle de sa "masculinité ombrageuse"sans expliciter. Le corps du texte est plus qu'évasif. "Car plonger dans ses propres abysses, livrer sa part maudite et monstrueuse, l'acteur n'avait cessé de le faire, mais sans jamais dissocier en lui l'ange et le démon, la braise et la glace, les larmes et l'impavide, l'éclat et les ténèbres", écrit le journal. On fait aussi dans le flou au Nouvel Obs : "Il lui fallait la tempête, pas la sérénité", "star au tempérament inflammable, il avait trouvé sa voie, son personnage, sa destinée". Il serait "l'épouvantail cinématographique de la gauche", poursuit le Nouvel Obs, qui le dit aussi "symbole d'une France sombre". Pour Marianne, c'est le divorce des parents d'Alain Delon lorsqu'il avait 4 ans, qui "explique son caractère d'écorché vif"La une de l'Humanité insiste sur ses parts d'ombre - "La beauté du diable", titre le journal - mais ce, sans que l'intérieur des pages ne revienne sur les accusations. 

Une partie de ces médias se rattrapent dans les papiers rebonds - ceux publiés après la première nécrologie. Libération a dénoncé les comportements d'Alain Delon, de même que BFMTV ou France Culture. Le Parisien préfère parler de son "franc parler" qui parfois "choque"

France 2 a carrément consacré l'entièreté de ses deux journaux télévisés - le 13 heures et le 20 heures - à la mort d'Alain Delon. Sur 55 minutes d'information, 55 minutes de rétrospectives sur sa carrière ou de témoignages (d'habitant·es de la ville où il habitait, de vancancier·es et de proches). Rien sur les violences dont il est accusé ni les propos homophobes tenus. Une seule phrase peut être interprétée comme une allusion. On ne sait si elle évoque les personnages d'Alain Delon au cinéma, ou le véritable Alain Delon. "Il offrait aux femmes son regard bleu acier, et des mots parfois aiguisés, des cris et des claques", dit le commentaire sur une image de film, où Alain Delon gifle une femme. Aucune précision en plus. TF1 - qui a aussi fait 100% de son 13 heures du 18 août sur Alain Delon et plus de la moitié du 20 heures - parle de "tempérament fort", d'"écorché vif" (notamment dans ses relations avec ses femmes), de personnalité "sombre", "d'intensité", de "parcours sinueux". La chaîne le dit "rebelle", "provocateur", mais parle plutôt de ses amitiés avec le grand-banditisme. "Homme controversé mais immense acteur", ponctue l'un des sujets de la une.

"Proche des droites" dont... Jean-Marie Le Pen

La plupart des médias sont plus clairs sur les accointances politiques d'Alain Delon. Notamment, sur son amitié avec Jean-Marie Le Pen. "C'est un ami de longue date, je suis très sympathisant de M. Le Pen, point à la ligne", a-t-il déclaré, rappelle par exemple le ParisienSont évoqués ses liens avec le leader d'extrême droite sur France 2, TF1, Marianne, Libération, ou, parmi d'autres, le Nouvel Obs, qui en a fait un long format, comme Libération. L'Humanité y apporte quelques précisions. Le journal mentionne l'existence d'une photo d'Alain Delon avec Léon Degrelle, "le chef des rexistes, réplique belge des nazis, engagé avec les SS sur le front russe, réfugié en Espagne après-guerre et révisionniste quand il fallait nier l'indéniable". TF1 est l'une des très rares rédactions à rappeler qu'Alain Delon était également pour la peine de mort. 

Alain Delon a également, à plusieurs reprises, été accusé de véhiculer des idées racistes. En 2015, alors que Nadine Morano vient de qualifier la France de pays "de race blanche", l'acteur approuvait : "Juste une question : le Kenya est un pays de quelle race ? Les gens sont noirs. C'est une polémique ridicule, grotesque, qui n'a aucun sens". C'est le Parisien qui le rappelle. L'acteur avait également, déclaré, en 1996, sur le plateau du 20 heures, au sujet du peuple japonais (dont il parle comme "le Japonais") : "Si le Japonais avait eu la chance, dit-il, d'être blanc, il aurait voulu ressembler à Alain Delon".

Pour le Figaro - muet sur tous ces sujets - Alain Delon émettait "des opinions vraies". "Ce solitaire cultivait l'amitié", peut-on encore lire, dans la nécrologie du quotidien de droite de plus en plus extrême. Le titre ne consacre pas d'article-rebond sur les accusations de violence envers Alain Delon. Mais plutôt, sur "les conséquences (de sa mort, ndlr) pour sa propriété de Douchy en cas de vente", ou sur le "silence" de la gauche face au décès de la star. Le Figaro rebondit aussi sur l'une des sorties d'une journaliste de TF1. Il s'agit d'Alba Ventura. Dans la matinale Bonjour !, elle se dit "scandalisée" qu'un élu communiste ait pu qualifier, sur X, Alain Delon de "petit facho". Certains médias préfèrent ne pas être clairs sur la biographie d'une star qui vient de mourir, mais l'être sur leur sens des priorités. 

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