Sarkozy - Kadhafi : une défense très médiatique
Analyse

Sarkozy - Kadhafi : une défense très médiatique

Comment CNews, "Le Figaro" ou le "JDD" reprennent les éléments de langage du camp Sarkozy

Dans l'affaire des financements libyens de sa campagne présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy est soupçonné de corruption, recel de détournement de fonds publics, financement illégal de campagne et association de malfaiteurs. Son procès s'est ouvert le 6 janvier - tout comme la valse des médias qui reprennent à leur compte les arguments de la défense de l'ancien président.

C'est presque un marronnier désormais sur Arrêt sur images : Nicolas Sarkozy est en procès pour l'une des nombreuses affaires de corruption dont il est accusé, et les médias de droite accourent pour répéter et amplifier sa défense. En 2020, BFMTV filme la vraie-fausse rétractation de Ziad Takieddine, puis accorde un entretien à l'ancien président. Quand il a été condamné en appel en 2023 dans l'affaire Bismuth, le Figaro et le JDD se précipitaient à sa rescousse, et les médias se passionnaient davantage pour son nouveau livre que pour ses (pourtant multiples) procès. Et pas plus tard qu'en décembre 2024, lorsqu'il a été condamné définitivement en décembre dans l'affaire Bismuth, LCI dénonçait une "injustice"

Cette fois-ci, Nicolas Sarkozy, qui vient donc d'être condamné définitivement dans l'affaire connexe Paul Bismuth, est de retour au tribunal dans l'affaire des financements libyens de sa campagne présidentielle de 2007. Et comme toujours, il peut compter sur les chaînes d'info, les médias Bolloré et la presse de droite pour le soutenir dans cette grande "injustice" basée sur une "fable" et un dossier "vide".

La défense de Nicolas Sarkozy

"La défense de Nicolas Sarkozy consiste à dire qu'il n'y a rien dans le dossier", résumait Fabrice Arfi sur France24, le jour de l'ouverture du procès, le 6 janvier. Le journaliste de Mediapart, qui enquête sur l'affaire des financements libyens depuis plus de dix ans, souligne que pour quelqu'un qui semble certain qu'il n'y a rien dans ce dossier, Sarkozy fait "quelque chose de spectaculaire" : "Il lâche, dans son procès verbal, ses plus proches collaborateurs, Claude Guéant et Brice Hortefeux, les plus dévoués. Il dit qu'il est déçu, qu'ils ont commis des fautes et des erreurs. Donc soit il n'y a rien, soit il y tant dans ce dossier qu'il est obligé de couper tout ce qui le relie aux flammes judiciaires pour éviter que l'incendie ne prenne chez lui, quitte à mettre en cause ses plus proches collaborateurs."

Outre lâcher ses proches collaborateurs en rase campagne, ce qu'a fait l'ancien président à la barre dès le 13 janvier, Sarkozy a aussi nié en bloc : "Vous ne trouverez jamais, jamais non pas un euro, mais pas un centime libyen, dans ma campagne", a-t-il déclaré le 9 janvier. Il a également regretté "Dix années de calomnie, 48 heures de garde à vue, 60 heures d'interrogatoire, 10 ans d'enquêtes".

Ses avocats ont également opté pour la stratégie consistant à remettre en cause la compétence de l'instruction et à souligner les moyens mis en œuvre : "Les juges ont examiné les comptes de Nicolas Sarkozy, les comptes de son ex-femme, de ses enfants, les comptes de la succession de sa mère, il y a eu une débauche de moyens comme rarement, qu'on peut rencontrer dans un dossier", a dit son avocat à Europe 1 avant l'ouverture du procès. La défense de Sarkozy consiste donc à dire que le dossier n'est basé sur rien, que le principal témoin, Ziad Takieddine, a changé de versions plusieurs fois, que les moyens mis en œuvre sont délirants et que cela démontre un acharnement de la justice envers  l'ancien président.

Pour le "Figaro", Sarkozy est "une victime expiatoire"

Le Figaro avait déjà fait très fort sur l'affaire Bismuth, en publiant un édito du rédacteur en chef Yves Thréard qui estimait que la condamnation de Sarkozy représentait "la défaite de la justice". Le journal se surpasse, le 31 décembre, jour du début du procès des financements libyens, en se demandant si, au fond, Nicolas Sarkozy ne serait pas "la victime expiatoire des juges contre les politiques". 

Le Figaro n'y va pas par le dos de la cuiller pour accuser la justice française : "Ce procès est emblématique de l'ascendant qu'ont pris les magistrats sur la vie politique française depuis plus de quarante ans", écrit le journaliste Charles Jaigu, qui suit le procès. "Et Nicolas Sarkozy est sans aucun doute le symbole de cette nouvelle ère, dont son ancien premier ministre, François Fillon, a été un autre exemple. Les magistrats veulent inculquer une nouvelle «exemplarité» à la classe politique. Les lois votées par les législateurs successifs leur en donnent le pouvoir. Et ils s'en servent."

Le Figaro estime ainsi que si "Nicolas Sarkozy bat le record des procédures ouvertes contre un responsable politique non seulement présidentiable, mais également ancien président de la République", ça n'est pas parce qu'il est tout simplement possible qu'il ait, à plusieurs reprises et dans différentes affaires, violé la loi française, mais bien parce qu'il "incarne tout ce que les magistrats ont dans le viseur: un avocat d'affaires, aimant les affaires, siégeant dans les conseils d'administration, à l'aise avec le CAC 40, mais aussi un ancien ministre de l'Intérieur, et un président qui les a défiés avec un projet de réforme honni par les magistrats"

Pour le journal, aucune autre raison n'existe, puisque "si de nombreuses condamnations reposent sur des preuves manifestes, de Balkany à Cahuzac, ou d'Urba à la mairie de Paris sous Jacques Chirac, on ne le voit pas dans ce procès libyen"Voyez-vous, le quotidien pense au contribuable, contrairement aux juges : "Pour faire bonne mesure, le coût total des poursuites à l'encontre de Nicolas Sarkozy pourrait-il être communiqué au contribuable? Il y faudrait des prodiges de comptabilité analytique dont malheureusement l'électeur devra se passer." Et s'inquiète quant à la trop grande indépendance de la justice, avant de s'attaquer nommément au juge Van Ruymbeke, "devenu en 2012 la principale caution de la thèse du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy", et de sous-entendre que tout ceci n'est en fait qu'un complot des médias relayé par les juges : "Après la défaite [de 2021], l'accusation médiatique devient enquête judiciaire." Bref, tout cela n'est pas très sérieux, et regrettable : "On reproche toujours aux politiques de considérer que la fin justifie les moyens. On peut désormais se demander si les magistrats ne ressemblent pas de plus en plus à ces politiques dont ils dénoncent les dérives."

Le "JDD" ne s'intéresse qu'aux "failles du dossier"

Le Journal du Dimanchequi, en décembre, parlait de la condamnation définitive de Sarkozy dans l'affaire Bismuth comme d'"un Watergate judiciaire" dont "les moyens utilisés constituent des atteintes graves aux libertés individuelles et révèlent un acharnement partisan" - zoome ce 6 janvier sur "les failles de l'enquête contre Nicolas Sarkozy".

Comme le Figaro, dans son article, le journaliste William Molinié souligne les moyens mis en œuvre par la justice pour enquêter sur ce dossier : "Dix ans d'enquête. Cinquante-huit demandes d'entraide pénale internationale dans 25 pays. Des dizaines de policiers mobilisés. Six juges d'instruction. Un temps d'utilisation des moyens judiciaires considérable. L'affaire est hors norme. (...) N'importe quel citoyen, quelle que soit son opinion politique, est en droit de penser que l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel est « béton », selon le jargon judiciaire." Avant de suggérer que la vérité est toute autre : "Pourtant, ce texte est tacheté de zones d'ombre, autant d'interstices dans lesquels la défense – c'est son rôle – s'engouffrera pour y glisser le doute." "Glisser le doute", c'est exactement ce que cherche à faire cet article du JDD - dont le groupe de médias auquel il appartient, Lagardère, compte parmi les membres de son conseil de surveillance un certain... Nicolas Sarkozy. L'accusation du parquet national financier, ou "PNF", "risque de chanceler" à partir du 6 janvier, prédit le JDD. Pour plusieurs raisons : "les versions innombrables de Takieddine", "la note libyenne controversée", "pas d'enrichissement personnel" et "pour quelle contrepartie ?". Soit le bingo parfait de la défense des avocats de Nicolas Sarkozy - n'y manque que l'accusation de justice "acharnée", telle que développée par le Figaro

Passons rapidement sur chaque raison abordée dans le JDD. Sur les versions différentes présentées par Ziad Takieddine : la vraie-fausse rétractation de Takieddine fait l'objet d'une enquête à part, dans laquelle Nicolas Sarkozy est poursuivi, ainsi que sa communicante Mimi Marchand, soupçonnée d'avoir tout organisé. Sur la note libyenne "controversée", le JDD écrit que ce document, révélé par Mediapart, "n'a pas été formellement reconnu comme un faux dans une procédure parallèle" : c'est une façon étrange d'écrire que deux juges d'instruction sont arrivés à la conclusion, après deux ans d'enquête, que "rien ne permettait de douter de l'authenticité de ce document libyen", comme le rappelle Mediapart

Pourtant le JDD conclut : "Difficile de retenir cette note comme un élément à charge." Sur l'absence d'enrichissement personnel, il n'y a pas d'enrichissement personnel de Nicolas Sarkozy, mais son proche collaborateur Claude Guéant, lui, est bien accusé d'enrichissement personnel dans ce dossier. Enfin, quant aux contreparties, Mediapart rappelle que "les investigations ont « mis en évidence à la fois des paiements et des contreparties »", et précise : "des faveurs françaises de tous ordres (diplomatiques, juridiques, économiques) au bénéfice de la Libye". Tout ceci, le JDD ne le rappelle jamais ; pas davantage que les autres médias qui relayent la défense de l'ancien président.

Toujours dans le groupe Lagardère (sous contrôle Bolloré), citons aussi Europe 1, qui reprend également la rengaine sur les "fragilités du dossier" en ne faisant que changer de synonyme ("fragilités" pour "failles") par rapport au JDD, et consacre plusieurs articles à la défense de Sarkozy ("la compétence du tribunal de Paris remise en cause par la défense" et "«Quand vous prenez les indices, ils s'effondrent tous», affirme l'avocat de Nicolas Sarkozy à la veille du procès") sans publier d'article équivalent côté instruction pour rétablir l'équilibre éditorial.

Sur BFM, un Sarkozy "vif, sanguin, ironique parfois"

Le 9 janvier, jour où Sarkozy prend la parole à la barre pour clamer qu'on ne trouvera "pas un centime libyen dans sa campagne", BFMTV consacre quelques minutes au procès dans BFM Story, mais la semaine étant marquée par le décès de Jean-Marie Le Pen, la chaîne d'info couvre moins l'affaire qu'on ne pourrait s'y attendre. Olivier Truchot s'exclame toutefois : "Il a réaffirmé son innocence avec la faconde qu'on lui connaît !" Et la journaliste de BFM en duplex du tribunal de Paris se lance dans un récit emphatique : "Il s'avance vers la barre la mâchoire crispée, le visage tendu", dit-elle en décrivant "une déclaration qu'il a préparée, des mots choisis, un ton démonstratif, vif, sanguin, ironique parfois, et ça commence comme ça : «Dix ans de calomnies, 48 heures de garde-à-vue (...) et au final, qu'est-ce qu'on trouve, rien.»" 

Trois jours plus tôt, le 6 janvier donc, la journaliste de BFMTV, Pauline Revenaz, avait également évoqué en plateau la "note produite par Mediapart", à propos de laquelle elle déclare : "Mais elle n'a pas été établie comme authentique." Aucune contradiction ou relance en plateau, alors même que des experts ont bien validé l'authenticité du document. À noter que, contrairement à d'autres chaînes, BFMTV a donné longuement la parole, ce 6 janvier aussi, au procureur du PNF

Pour CNews, "il n'y a pas de preuves tangibles"

Pour Pascal Praud, qui consacre son édito du 6 janvier au procès de l'affaire Sarkozy-Kadhafi, il n'y a tout simplement "pas de preuves tangibles". Il déroule de nombreux arguments de la défense de Sarkozy, dont les "versions" de Takieddine ("jusqu'à 14 versions différentes, parfois en disant qu'il y avait zéro euro", souligne-t-il), la note libyenne qui serait un faux ("ce document n'a jamais été authentifié, et il n'est pas retenu aujourd'hui par l'accusation" - ce qui n'est pas vrai : il se trouve dans l'ordonnance de renvoi des juges selon Mediapart) ou encore le temps et l'argent que toute cette affaire coûte au contribuable ("Dix ans d'enquête, des dizaines de policiers mobilisés, six juges d'instruction, les comptes de Nicolas Sarkozy et ses proches épluchés ans qu'on retrouve un centime d'euro qui puisse soutenir l'accusation du PNF."). Ce 6 janvier dans L'Heure des pros, Pascal Praud déclame ce qui constituera, en essence, la tirade de l'ancien président face aux juges trois jours plus tard : "Que penser d'un procès où les preuves manquent ? Que penser d'une accusation qui jusqu'à ce jour n'a pas apporté des éléments tangibles pour une condamnation et s'appuie sur les déclarations changeantes d'un homme qui refuse de comparaître devant la justice française, monsieur Takieddine ? C'est tout l'enjeu de ce procès qui commence aujourd'hui et qui montre l'entêtement, pour ne pas dire l'acharnement, de la justice française à désigner Nicolas Sarkozy comme un coupable dans de nombreuses affaires." Sarkozy lui-même n'aurait pas mieux dit.

Mais Praud n'a pas l'air très sûr de ses informations, puisqu'à la fin de son édito, il se tourne vers Vincent Hervouët : "Quand je dis qu'il n'y a pas de preuve tangible, j'ai raison ?". Ce à quoi Hervouët acquiesce et s'applique à démontrer que la "note libyenne" révélée par Mediapart - qu'il décrit comme "le document à partir duquel Mediapart lance la campagne, et sur lequel repose l'accusation qui enclenche l'enquête" - est un faux : "Regardez le document, c'est une feuille de papier bordée aux couleurs de la Libye", dit-il. "On comprend que le papier qui a servi a été de multiples reprises photocopié. C'est un faux. Il n'a pas été retenu. Toute l'affaire est comme ça !" Et Pascal Praud, ravigoré, embraye : "Ce qui fait peur, pour un justiciable, c'est quand la machine judiciaire s'est mise en marche, c'est très difficile derrière, pour ceux qui jugent, de déjuger un travail de dix ans ! Ça veut dire que les magistrats ne vont pas faire leur job." Hervouët abonde : "Tout fait ventre. C'est la pêche au chalut." Praud continue en dénonçant un "entêtement", mais il est doublé par Elisabeth Lévy, qui s'exclame : "Surtout, il n'y a pas de preuves ! C'est le cœur de la chose : il n'y a pas de preuves et on n'a toujours pas trouvé l'argent, au demeurant. (...) Le problème qu'on a, c'est que rien ne nous garantit que Nicolas Sarkozy sera jugé comme un justiciable comme les autres, et ça c'est quand même effrayant." 

Inquiétant aussi : la capacité de CNews, le Figaro, le JDD, et d'un certain nombre d'autres médias de droite, à répéter presque mot pour mot la défense de l'ancien président.

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