Le jour où Cyril Hanouna a tenté de piéger "Arrêt sur images"
25 février, 16h46, mon téléphone sonne, le nom de Cyril Hanouna s'affiche sur l'écran. Je sais pourquoi il m'appelle. La veille, à 12h14, je lui ai envoyé le texto suivant :
Deux heures plus tôt, en effet, lors de notre conférence de rédaction de lundi, nous avions décidé de consacrer notre émission de la semaine à la fermeture de C8 et, plus spécifiquement, à la métamorphose de Cyril Hanouna, passé en un peu plus de 20 ans de trublion du Morning Live sur M6, à possible candidat à l'élection présidentielle de 2027 (ce n'est pas moi qui le dis, c'est TF1). Nassira El Moaddem, qui anime notre émission trois fois par mois, propose d'inviter Cyril Hanouna. Recevoir et donner la parole aux personnes dont on critique le travail fait partie de l'ADN d'Arrêt sur images, la proposition est donc retenue!
Elle me demande de lui transmettre, moi, l'invitation. En temps normal, c'est elle qui écrit ou appelle directement les gens qui composeront, ou non, son plateau. Mais avec Hanouna, elle souhaite préserver une certaine distance, alors que l'animateur avait pleinement participé - au sein des médias Bolloré - au harcèlement raciste et sexiste dont elle avait été victime en mai 2024. La suite lui donnera ô combien raison.
Cyril Hanouna a vu mon texto, mais n'y a pas répondu. Il n'a pas répondu, non plus, à mon coup de fil de relance le lendemain à 11h07. Puis vient cet appel de 16h46. Je décroche. S'ensuit une conversation de deux minutes, visible ci-dessous, et postée dans la foulée sur les réseaux sociaux d'Europe 1 :
J'ignorais totalement que cette conversation était enregistrée, et diffusée en direct dans l'émission quotidienne d'Hanouna sur Europe 1. En raccrochant, j'ai vite compris que j'avais été victime de ce qu'on appelle un canular téléphonique. L'animateur est spécialiste du genre. En mai 2017, Hanouna, multipliant les clichés homophobes, s'était fait passer pour un homme bisexuel afin de draguer des hommes en direct sur C8. L'Arcom de l'époque, le CSA, avait infligé à la chaîne une lourde amende de 3 millions d'euros. Déjà. Encore très récemment - dans un tout autre style - Cyril Hanouna avait piégé, par téléphone aussi, François Bayrou, alors sur le point d'être nommé premier ministre.
Au sujet de cette séquence, plusieurs points méritent d'être éclaircis, dans des conditions plus paisibles.
Tout d'abord, Nassira El Moaddem ne "fracasse" pas Cyril Hanouna sur ses réseaux sociaux. Elle rappelle des faits : quand en 2016, par exemple, l’animateur avait posé la main d'une chroniqueuse sur son sexe. Quand il avait insulté Louis Boyard, député LFI, sur son plateau. Ou encore quand il avait moqué le témoignage d’une femme, Loana Petrucciani, qui racontait son viol sur son plateau, et n’arrivait plus à articuler. On comprend que cela puisse mettre l’animateur mal à l’aise, mais elle est ici dans son rôle de journaliste.
De la même façon, Arrêt sur images ne "chie" ni sur Hanouna, ni sur personne. Nous travaillons, nous enquêtons, nous documentons la façon dont les médias couvrent au quotidien l’actualité, avec leurs biais, leurs insuffisances, leurs actionnaires, et cela nous ramène en effet souvent vers Cyril Hanouna, devenu ces derniers mois l’un des porte-voix les plus efficaces du RN. Il n’est pas le seul, mais il en est l’un des maillons les plus indiscutables, et nous ne cesserons de regarder ses émissions, et d'y apporter notre regard critique et journalistique, qu'elles soient diffusées prochainement au sein du groupe Canal, ou M6.
Enfin, dernière chose, importante à préciser : à la fin de notre conversation téléphonique, Hanouna me promet qu’il viendra si j’anime le plateau. Ce à quoi je réponds "Attention, je pourrais vous prendre au mot". Au-delà de la plaisanterie, à laquelle ni lui ni moi n’avons jamais cru réellement, reste une évidence : si l'animateur avait accepté cette invitation cette semaine, il aurait évidemment été interrogé par Nassira El Moaddem. Aucun invité, quel que soit son prestige, ou le nombre de personnes qui le regardent chaque soir, ne choisit, chez nous, qui l’interroge.
Le soir-même, la séquence d'Europe 1 a été réutilisée sur le plateau de TPMP, en ciblant cette fois-ci encore davantage notre animatrice Nassira El Moaddem.
Les conséquences de cette séquence - comme notre journaliste l'a exposé en partie sur son compte X - sont immédiates : des dizaines de messages reçus dans la foulée sur ses réseaux sociaux, pour la plupart racistes et sexistes.
Nous condamnons évidemment ces messages, et apportons ici tout notre soutien à Nassira El Moaddem, une nouvelle fois ciblée par l'animateur (pourtant bien incapable de prononcer son nom en entier). Cela ne nous empêchera pas de consacrer notre émission de cette semaine à Hanouna, et son évolution depuis le début des années 2000. Sans lui, mais avec une conscience encore plus nette du personnage, et de ses méthodes.
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