Céline, la guerre, le temps qui passe : un murmure du matin
Magie de ces interviews du matin, qu'on prend en cours. Plaisir des devinettes. Qui est-ce ? "Vous ne la nommez pas, mais on devine la guerre en Syrie
, dit Léa Salamé. Vous aviez couvert cette guerre il y a sept ans, avec vos carnets de Homs...
" Et une voix, en sourdine, à peine perceptible : "sept ans déjà..."
A qui, ce murmure de fumeur ? On dirait Benjamin Biolay. Mais Benjamin Biolay, sauf erreur, n'a pas couvert la guerre en Syrie.
"La guerre continue
, poursuit Salamé, feignant de croire qu'elle peut entrer en contact avec le murmure. C'est une erreur de l'Occident ?
" Erreur ! Ce murmure ne nous parle pas. Il ne parle pas à Léa Salamé. Il se parle à lui-même. Il ne cesse de se parler à lui-même. On le découvre quelques minutes plus tard parce que Salamé, professionnelle, prononce son nom pour les zombies qui ont pris l'interview en cours : c'est Jonathan Littell, le Goncourt des Bienveillantes
(douze ans déjà !)
Ce matin, Littell est venu en mode promo-minimum, à propos de son dernier livre, monologuer en murmure dans le micro de la radio la plus écoutée de France. Il est venu trainer au lit devant quelques millions d'auditeurs -Salamé pas peu fière, d'ailleurs, de son exclu. Effet mécanique de ce murmure qui ne nous cherche aucunement : on l'écoute, magnétisés. Salamé : "Est-ce que vous avez le sentiment aujourd'hui que les gens sont plus seuls qu'avant ?
" Un blanc. "Avant quoi ?"
Re-blanc. Salamé, comme gagnée elle aussi par le mode murmure : "Je sais pas"
. Re-re-blanc. "Avant les réseaux sociaux, avant..."
Ce don réjouissant, de renvoyer les questions à leur vanité.
On passe aux migrants, puis aux pamphlets antisémites de Céline, que projette (encore, en dépit d'un renoncement tactique) de ré-éditer son éditeur, Gallimard. Littell : "Moi je les ai lus". "Vous avez trouvé ça comment ?" "Très ennuyeux. C'est très mal écrit. Sa langue meurt absolument dès qu'il se met à parler des Juifs, c'est vraiment frappant. Dans les beaux draps, il y a 25 pages à pleurer de rire au début sur la déroute française en Mai 40, et tout de suite après il passe aux Juifs, et ça se casse la gueule, comme du plomb"
. Eh bien voilà. Même s'il ne s'est levé que pour ça, ça vaut la peine. Pourquoi sont-ce toujours les plus rares, qu'on a le plus besoin d'entendre ? Pourquoi les plus nécessaires sont-ils si rares ?
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