Le fait divers, paradis perdu des journalistes
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Le fait divers, paradis perdu des journalistes

Breaking news : braquage, course-poursuite et prise d'otages, "en plein Paris"

, à l'heure des avant-soirées télé. Et pas dans n'importe quels quartiers parisiens : la bijouterie braquée est située rue François Ier, la mythique rue des locaux d'Europe 1, à un jet de sarbacane de RTL, et la prise d'otages du coiffeur en direct se situe dans une rue sans nom du 15e arrondissement, tout près des anciens locaux de iTélé, non loin de BFM, bref au coeur de l'audiovisuel palpitant. BFM, donc, a dépêché deux envoyés spéciaux sur les deux théâtres du drame, et tient l'antenne. Plus rien d'autre n'existe que ce suspense. Car à partir de ces pièces disparates, une bijouterie des beaux quartiers, une course-poursuite avec la police, un salon de coiffure d'une rue sans nom, un hélicoptère qui tourne, les témoignages des voisins, des riverains, des passants, à partir de cette image unique, en boucle, d'un scooter blanc renversé par terre, à partir de ces pièces il faut reconstituer le fil géographique et chronologique de l'histoire, jusqu'au moment présent. "Où est situé votre bar par rapport au salon de coiffure ? interroge en rafale le présentateur de BFM. Avez-vous encore des clients à l'instant présent ? Connaissez-vous le tenancier du salon ? Pouvez-vous voir ce qui se passe dans la rue ?"

Et c'est fascinant. Car au coeur de la boursouflure ordinaire du dispositif mis en place, c'est le journalisme originel qui se donne à voir dans toute sa pureté, un journalisme imaginaire d'avant les perversions, avant la connivence avec les puissants, avant la compromission avec les sources, avant la soumission aux idéologies, avant les loges de maquillage, avant les coupures pub, bref avant qu'il soit chassé du paradis terrestre, le journalisme à la Tintin, houpette aux vents, qui n'a encore besoin ni de sources policières manipulatrices, ni de sociologues bidon, ni d'économistes de plateau, ni de spécialistes de la sécurité, ni d'éditocrates politiques disputant de savoir si ça va être meilleur pour Sarkozy ou pour Le Pen, un journalisme qui ne s'assigne pour but que de répondre aux questions essentielles, les fameux "w" mythiques (what ? who ? when ? where ? why ?), en dénichant les meilleurs témoins, rien d'autre que les plus pertinents.

Et c'est BFM qui rafle la médaille d'or de l'olympiade, mettant la main au téléphone sur "le" témoin idéal, avec fenêtres donnant sur le drame, au moment exact du dénouement. "Alors là le salon de coiffure vient de se rallumer, on voit quelqu'un assis au sol, alors il y a le propriétaire, enfin le gérant du salon de coiffure qui ouvre la porte, en ce moment même, il sort dans la rue, il y a quelqu'un qui est assis au sol, mais je ne vois que les jambes, il y a deux personnes, un homme au pantalon noir et un homme au pantalon rouge, les deux hommes sortent les bras levés, ils posent leur arme sur le toit d'une voiture noire..." Et l'on écoute se dérouler cet insoupçonnable récit, mère de toutes les narrations, on le regarde couler comme du miel dans les veines épuisées du système.

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Commentaires

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Derniers commentaires

Du miel dans les veines ...
Pas bon, ça. Pas bon du tout.

Ce message a été supprimé suite à la suppression du compte de son auteur

Moi voilà une fois encore rongé par le regret de ne pas regarder la télé...

J'ai donc raté quelque chose. Quoi ? Ben je sais pas, quelque chose.
Mais ça ne fait rien. Je l'ai pas vu, mais j'en ai entendu parler.
Rien que d'en entendre parler, l'angoisse m'étreint (de marchandises). Enfin, une impression d'angoisse.
Un joli nom pour nommer ce robinet à émotions : "tittytainment" expliqué ici http://blogs.mediapart.fr/blog/roger-evano/280710/le-piege-de-la-mondialisation
breaking news, smoking gun, embedded, fashion week, home page, le "w"" mythique. Je souhaite que Daniel S. ajoute ces mots à sa boutique, rue, une, dernières nouvelles !
Merci, c'est pour enrichir ma culture générale qui est trop limite en anglais;
Il faudrait cesser de parler de "journalistes", de chaînes d'infos en continue et appeler un chat un chat.

La question, c'est comment nommer ces jolis matous ? Chaînes d'InfoTainment ? Info-spectacle (pour éviter le globalish) ? Info-Télé-Réalité ? AgitProp-Télé-Réalité ?...

Quant aux journalistes ? Des stagiaires ? Des auto-entrepreneurs ? Des communicants ?... Et pour certains, pourquoi pas des zozos ?
J'adore les " sociologues bidons".
Mais qui fera du vrai, du "grand journalisme" d'investigation sur les problèmes vitaux, si les médias friqués et dominants actuels jouent les tintins des faits divers?
En attendant, c'est nous qui faisont tintin et de plus finançons indirectement ces infos de faits divers ...
Espérons qu'un regard critique se penchera aussi sur le choix de ces chaines d'infos dont le but premier est de nous scotcher devant l'écran en mettant en place l'infotainement (orthographe à vérifier !)
PS : je suis sacrément heureuse d'avoir banni le petit écran de chez moi .
Si je peux me permettre une petite nuance, on ne "regarde" pas ce miel couler. Dans l'extrait vers lequel vous renvoyez, on l"écoute" et c'est très différent.
Car seul le témoin au téléphone fait sens, illustré par des images inutiles qui tournent en boucle comme des guirlandes.
Du coup, cela met un peu votre chronique en abyme puisque si miel il y a, c'est du nectar par procuration (le seul récit crucial n'est pas fourni par un journaliste mais par un témoin) et surtout, il est enchâssé dans la gangue boursouflée et épuisée de la mise en scène visuelle des canards sans tête que sont les chaines tout-info.
Ces mêmes chaines qui, face à l'image, ont en outre le talent de transformer l'or en plomb, comme une confirmation par l'absurde de ce qui précède...
Le prix Albert-Londres pour les Grands Reporters de BFM ?
Mpffffff.... faits divers illustrés avec des images amateur, sur lesquelles on aperçoit, vraiment en cherchant bien, de quoi étayer les emphases journalistiques ;o(((
Tristes media ;o( -qui, au passage, ont tartiné à mort sur une visite papale de 3h à Strasbourg, ville européenne- !
Quid du grand mufti de Jérusal... ah, oui, c'est vrai, la Palestine n'est pas encore reconnue par la France... ah, et puis islamophobie obligatoire... pardon !
N'empêche que, le 28... le Parlement va décider... sur la Palestine. Et là, les media sont assez muets... mais le Proche Orient est aussi un paradis perdu, mais pas pour les journalistes ;o(
Qu'entends-je, qu'ouïs-je, qu'acoustiquais-je, qu'esgourdais-je?

Parlez plus fort, j'ai un diadème de diamant dans mes cheveux coiffés...

Comment dans mon quartier, chez Cartier?

C'est fou! Je n'ai rien entendu, vu. Vous disiez?
Ce qui aurait été bien, c'est d'avoir pu faire faire what ? who ? when ? where ? why ? avec micros et caméras chez Lagarde filant à Tapie une indemnité pour préjudice dont elle a refusé mille cinq cent fois moins aux mineurs de Lens (45 millions d'euros contre trente mille, refaites le calcul si je me trompe) dont la vie fut broyée par les Charbonnages de France.

Ou Sarkozy recevant le fric de Kadhafi.

Non ? Ah bon... Ces gens-là sont plus malins que les malfrats pour se planquer.
Vous avez raté le départ de Florian Philippot à 7h45 de l'émission de Marc Voinchet dont il était "l'invité politique" sur France Culture.

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