Pétrole, or gris, et morale publique
Panique dans les rédactions économiques : à force de dégringoler, le pétrole a crevé le plancher. Moins 37 dollars le baril, hier soir. Bon, ce ne sont pas des vrais barils. Ce sont des contrats, achetés par des traders qui ne maîtrisent pas forcément les produits qu'ils manipulent, à en croire leur ex-collègue Anice Lajnef, notre invité de la semaine dernière. Et tout cela sur fond de rivalité de production, entre d'une part l'Arabie Saoudite et la Russie, alliés de circonstance, et d'autre part les petits producteurs de pétrole de schiste américains, comme l'explique fort bien le spécialiste du Monde
, Nabil Wakim.
Reste une question : cette dégringolade est-elle bonne pour la planète ? Là comme ailleurs, les spécialistes s'opposent (sinon ils ne seraient pas des vrais spécialistes). Le bas prix du pétrole pourrait encourager une consommation effrénée, lors du déconfinement planétaire. OUI MAIS il pourrait aussi décourager les investissements dans l'industrie pétrolière.
Heureusement pour la morale publique, la Bourse n'est pas une science exacte. Prenez cette pittoresque collision sur Korian que nous relevions ici hier . Le jour même où Libération
publie une enquête accablante sur ce groupe privé d'Ehpad, la chaîne BFM Business, appartenant au même groupe de médias (Altice / Drahi), recommande à l'achat l'action Korian : elle est certes un peu sous-cotée en ce moment, du fait de ces morts malencontreuses et de toutes ces méchantes enquêtes, mais pas d'inquiétude, amis épargnants, elle va rebondir. En d'autres termes, vive la surmédiatisation des morts de Korian. Plus il y a de morts, plus l'action baisse. Et plus elle baisse, plus elle est une bonne affaire. Le présentateur de BFM Business avait-il lu l'enquête de Libération
, parue la veille au soir ? On ne le sait pas, il n'a pas répondu à notre journaliste Juliette Gramaglia.
Mais ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel, c'est cette question : au-delà de toute question morale (hors-sujet en la matière), ce conseil boursier est-il judicieux ? A première vue, le trader interrogé par BFM Business a peut-être raison. Le business est solide. Le filon de l'or gris est inépuisable. OUI MAIS il suffirait de quelques plaintes, et d'un procès retentissant, cela s'est vu, pour faire plonger l'action. Hélas pour l'équilibre du monde, mais heureusement pour la morale (coucou la revoilà) la finance n'est pas seulement folle. Elle est aussi gravement myope.
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