"Ça peut arranger Donald Trump, ce froid glacial ?"
Avant l'investiture de Trump, les chaînes d'info en boucle sur... la météo
"Je pense qu'on aura du boulot avec Donald Trump", sourit l'animatrice de LCI à midi. C'est oublier que les chaînes d'information en continu ont déjà du boulot, avec une journée de rien à combler dès ce 20 janvier. Mais pas du rien entourant un fait divers scabreux à Limoges, non. Aujourd'hui, les télévisions ont à proposer du rien grandiloquent, du rien américain, du rien de type avenir-du-monde, du rien de type on-n'a-rien-à-dire mais on vous promet qu'il pourrait se passer des choses. Bon, l'historien André Kaspi casse un peu l'ambiance sur la chaîne info de Martin Bouygues lorsqu'à la question "est-ce que vous estimez que Donald Trump peut faire un bon président des États-Unis ?", il répond "2026" (et les prochaines élections du Congrès), puis "pour moi ce serait plutôt dans 20 ou 30 ans". Non mais, pour qui se prend-il ? On n'est pas dans un cours d'histoire ici.
Sur BFMTV, toujours à midi, pas question de se laisser abattre par l'absence totale d'information, alors que la chaîne fait le décompte – à la seconde près – du temps qu'il reste avant le discours d'investiture. "Il fait moins huit à Washington, c'est une longue journée qui commence dans la capitale fédérale", annonce la journaliste. En duplex à Washington, Antoine Heulard décrit la journée. À l'affirmative, Donald Trump va assister à une cérémonie religieuse ("courte"). Il ira au Capitole pour la cérémonie d'investiture. Et il passera, a-t-il promis, dans la salle Capital One où sont rassemblés ses partisans depuis qu'a été annulé le lieu traditionnel de l'investiture, le National Mall, en raison du froid ("et, murmure-t-on, pour des raisons de sécurité"). Dans cette salle, 20 000 personnes seulement seront accueillies, contre 200 000 au National Mall. "48 km de barrières ont été érigées", rappelle Antoine Heulard. Au conditionnel, bien sûr, Trump "pourrait signer des décrets dans cette salle, une manière de montrer qu'il veut aller très vite".
Bonnets et ressenti
Sur LCI, le grand reporter Gallagjher Fenwick énonce l'évidence : Donald Trump "a une manière de fonctionner qui est effectivement très clanique". Il poursuit : "Et qui en miroir rappelle un peu les Kennedy, très dynastiques, JFK avait nommé son frère Robert procureur général, à l'époque ça avait beaucoup choqué." Mais revenons à l'info du jour. "Ça peut arranger Donald Trump, ce froid glacial ?", est-il demandé sur LCI à 12 h 20. On ne saura pas. Je vous ai dit qu'il y avait "tenez-vous bien, 48 km de barriérage" (dixit Thomas Misrachi, envoyé spécial LCI) dans Washington ? "Merci beaucoup Thomas, on va vous retrouver tout au long de la journée."
Pendant ce temps-là sur CNews, on n'a pas encore basculé en édition spéciale. Le sujet qui agite entre autres Judith Waintraub, du Figaro, et Régis Le Sommier, ancien de Paris Match, désormais directeur de la revue Omerta ? "La gauche morale contre X." Musk appréciera. Heureusement, lorsque la chaîne lance son émission (de débats en plateau, surprise), on a le plaisir de pouvoir écouter le très trumpien représentant des Républicains en France, Philippe Karsenty – ex-élu de Neuilly-sur-Seine que même Fox News avait préférer couper lorsqu'il tenait des propos complotistes lors de l'incendie de Notre-Dame. "On est tellement à la traîne [en Europe] qu'il va nous obliger à libérer les forces, libérer l'économie", se félicite-t-il. "Quelles sont les idées qu'on doit importer de Donald Trump en France ?", lance-t-il alors. Il est coupé, "priorité au direct", lance l'animateur qu'on aurait envie de remercier, pour une fois. L'envoyé spécial demande si on voit bien, derrière lui, le National Mall. "Aujourd'hui, il ne va rien se passer, cette esplanade va être entièrement vide."
Conditionnel, encore et toujours
Retour sur BFMTV. En duplex, Ulysse Gosset est en chapka pour nous révéler que "Donald Trump jurera sur la Bible de sa mère". Suit une liste à la Prévert de proposition d'extrême droite au conditionnel : Trump "devrait" ou "pourrait" (retenez votre souffle) "signer une centaine de décrets", causer "l'exclusion de dizaines de milliers de migrants illégaux", "sortir encore des accords de Paris", "gracier" les "émeutiers du 6 janvier" (2021), "prendre des mesures douanières".
Toujours en direct sur LCI, il est indiqué que le révérend chargé de la cérémonie religieuse, Robert Fisher, était "l'homme qui avait aussi orchestré le service religieux pour les présidents Roosevelt et Truman dans les années 30 et 40". C'est la troisième fois que j'entends le propos énoncé sérieusement sur la chaîne, son absurdité me pousse à comprendre son origine : trois clics plus tard, je comprends qu'elle provient d'une erreur de traduction de cet article d'un média local de Washington, lu presque tel quel à l'antenne. En réalité, le (relativement jeune) révérend a indiqué vouloir revenir à la simplicité des cérémonies des présidents Rossevelt et Truman.
En plateau, le nouveau chroniqueur américain préféré de son parrain Martin Bouygues, Louis Sarkozy (la chaîne le présente comme "essayiste"), présent sur le plateau washingtonien de la chaîne, analyse la venue de Donald Trump à la cérémonie religieuse donnée pour tous les présidents depuis bientôt un siècle. "On peut voir une espèce de cynisme dans ce comportement mais c'est aussi une adhérence à la tradition." Sur BFMTV, on apprenait plus tôt dans la journée que Louis Sarkozy avait été invité à la cérémonie d'investiture "par une antenne du parti républicain". Il n'y a pas que les Trump et les Kennedy…
"Il va se passer des choses"
Mais revenons à Thomas Misrachi, qui nous propose un point météo sur suggestion de la journaliste en plateau : "Avec le ressenti, on est plutôt de l'ordre de moins 10°C, je vous l'assure." On n'en doutait pas. Face à lui, "Connor", jeune trumpiste, estime que c'est "une vertu catholique d'être patriote et d'aimer son pays", et "pense que le pays devrait être beaucoup plus prospère, qu'il sera plus prospère avec Trump".
Du côté de CNews, vous allez être surpris, l'envoyée spéciale Nelly Daynac a froid, et a oublié son bonnet – quelle imprévoyance. Elle enlève néanmoins sa capuche le temps de l'intervention en direct. "200 000 personnes sont annoncées, combien en réalité, c'est difficile à évaluer, un petit peu comme la température qui chute d'heure en heure." Et sur le fond ? Laissons, pour une fois, la parole au très droitier ex-directeur de LCI Jean-Claude Dassier devenu toutologue chez CNews : "Ce qu'on ne peut pas nier, c'est que quand vous avez en face de vous Trump et le pape de la tech américaine, vous pouvez vous dire qu'il va se passer des choses."
Et ce n'est certainement pas en regardant les chaînes d'information en continu une journée d'investiture de président états-unien qu'on peut savoir quoi, puisqu'elles n'ont pas plus de pouvoir de divination que vous et moi. Seule certitude : ce 20 janvier 2025, il faisait froid à Washington.
Cet article est libre d’accès
En vous abonnant, vous contribuez
à une information sur les médias
indépendante et sans pub.
Déjà abonné.e ? Connectez-vousConnectez-vous