"Un geste maladroit"
Dans l'idéal, il faudrait à la fois
coller à l'événement, lui coller comme des baffes les mots qu'il mérite, et s'en placer à distance, loin, très loin, comme d'une autre planète, ou d'un très lointain futur, quand la suite aurait été écrite. On raconterait alors cette histoire à l'imparfait, comme un conte noir improbable ou un témoignage pour les rescapés, en un effort désespéré pour éviter que ces images disparaissent, comme toutes les autres.
On pourrait décider, par exemple, que le salut hitlérien de Musk la résumait parfaitement. Ce salut d'une pureté totale, presque plus chaplinesque, d'ailleurs, ou manière Folamour, que proprement hitlérien, et que nous ne savions alors comment regarder.
Nous dévisagions en face notre propre effroi, nous tentions de rire jaune, nous lui disions Tu exagères, tu en rajoutes, tu en fais trop, ce salut hitlérien ne peut pas l'être vraiment, il s'agit d'autre chose un signe codé pour les geeks, un truc tech, un meme d'autiste , au douzième degré, regarde la vidéo, le mouvement part du coeur. Ou alors une crampe au bras, un geste maladroit qui a dépassé sa pensée, oserait un journal du milliardaire français Bernard Arnault qui se trouvait sur place, ce type était tout de même à Notre-Dame le mois dernier. Ce geste disait n'importe quoi, en somme, sauf ce ce qu'il semblait dire. A l'appui, nous voyions tous ceux qui ces derniers temps voyaient du nazisme partout, jouer cette fois les raisonnables.
Mais notre effroi évidemment persistait, inflexible comme un martyr qui jamais ne renierait sa foi. Il avait vu ce qu'il avait vu. Ce geste était performatif, insistait-il. Même s'il n'était pas nazi dans l'intention, par son existence même il créait du nazisme, de l'ambiance nazie, une ère nazie. Et d'ailleurs, en quoi, s'agissant de Musk, cela constituait-il une surprise ?
Et ce salut nazi, après tout, n'était pas plus sidérant que tous les autres sketches de ce spectacle qui nous était parvenu dans la nuit, découpé en tranches comme une cérémonie des Oscars, la rebaptisation des golfes et des sommets, l'ivresse de conquêtes comme au temps des westerns, le taiaut de la chasse aux minorités, le suicide climatique en klaxonnant joyeusement, les expulsions massives de migrants, et pour couronner le tout, comme un concert rock ou un autodafé, les stylos qui avaient signé ces ordres, jetés dans la foule qui s'arracherait ces reliques barbares.
Oui, l'imparfait mettrait tout cela à distance, espérait-on à l'époque. Protection dérisoire, mais en avions-nous d'autre ?
Le blog Obsessions est publié sous la seule responsabilité de Daniel Schneidermann, sans relecture préalable de la rédaction en chef d'Arrêt sur images.
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