Viols de Mazan : la presse découvre ce qu'est un violeur
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Viols de Mazan : la presse découvre ce qu'est un violeur

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Avait-on besoin de rappeler que les violeurs sont des gens ordinaires ? Apparemment, pour les médias, oui.

Eurêka ! Les médias ont fait une Grande Découverte. L'épiphanie a eu lieu cette semaine, à l'ouverture du procès dit des viols de Mazan : l'affaire de soumission chimique dans laquelle Gisèle Pélicot a été droguée par son mari pour subir (au moins) 92 viols, commis par (au moins) 72 hommes recrutés sur Internet. 51 accusés comparaissent, jusqu'à décembre, devant la cour criminelle du Vaucluse. La plupart d'entre eux, s'étonne (entre autres) la Dépêche"sont en couple, voire pères". Tenez-vous bien :  ils peuvent avoir une "physionomie ordinaire", et même, une vie "rangée". L'affaire, titre, tout aussi incrédule, BFMTV"montre que les auteurs de viol peuvent être des «Monsieur tout le monde»". Mazette ! Pardi ! Parbleu ! Par Toutatis !

Le terme "Monsieur tout le monde" vient d'une citation tirée d'une dépêche AFP. C'est Véronique Le Goaziou, chercheuse associée au Laboratoire méditerranéen de sociologie, spécialiste des violences sexuelles, qui la prononce. À l'AFP, elle explique : "Il n'y a pas de profil type du violeur. Le violeur, c'est Monsieur Tout-le-Monde". On retrouve la formule mise en avant dans les titres de Libération, France BleuCentre presse Aveyron, RMC, TF1, l'Express...

La presse étrangère, souligne Courrier international, n'en revient pas non plus. Avec Dominique P., ex-mari de Gisèle Pélicot, "le pays a découvert le visage terrifiant d'un homme dit «normal»", résume, stupéfait, le média espagnol ABC. Le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung tombe de sa chaise lui aussi. Les mis en cause, âgés de 21 à 68 ans, "offrent un panorama complet de la société : ils sont plombiers, chauffeurs, journalistes, entrepreneurs, et n'ont pour la plupart jamais eu affaire à la justice". Ils "sont non seulement de tous âges, mais aussi de toutes conditions sociales"renchérit la Tribune de Genève. Un "bon aperçu de la société française", observe avec perspicacité le New-York Times.

L'une des premières à s'indigner de ce traitement médiatique est Florence Porcel, figure parmi les plaignantes dans le dossier PPDA, la seule à être officiellement non-prescrite. Sur Instagram, elle a publié une succession de stories pour s'indigner de la couverture du procès. Elle interpelle BFMTV, sur son traitement des viols de Mazan : "Qui voulez-vous qu'ils soient d'autre" à part des "Monsieur Tout le Monde" ?

Poursuivons le raisonnement. Que signifie le fait que la presse insiste autant sur le profil "normal" des mis en cause ? Cela veut-il dire que les autres hommes accusés de viols sont, eux, anormaux ? Comme ce "Belfortain de 45 ans", alcoolique, condamné pour avoir violé une fillette de 12 ans, le 3 septembre. Comme le "violeur à trottinette", employé de 22 ans, intégré, fêtard, entouré, en couple, inconnu de la police. Comme les rugbymen Hugo Auradou et Oscar Jegou, accusés de viol en Argentine, autorisés à revenir en France cette semaine. Comme les garçons de 12 et 13 ans mis en cause dans l'affaire du "viol antisémite" à Courbevoie. Comme le violeur de la Sambre, qui, comme le rappelle la série de France 2, était père de famille, entraîneur de foot, adoré de sa commune, y compris de la police. Comme le gynécologue de renom Émile Daraï, mis en examen pour violences volontaires sur 32 patientes, et visé par plus de 150 témoignages pour violences sexuelles. Comme Florian Varin, dont je vous parlais cette semaine, un violeur "beau-gosse", s'étonnait encore Europe 1. Qu'ont-ils de différent ?

Prenons un autre exemple. Le cas du "violeur sous OQTF", omniprésent dans la presse fin 2023, au moment du débat sur la loi immigration. Les médias - comme je vous le racontais à l'époque - avaient beaucoup moins de mal à s'étonner du profil du violeur et à déclarer que les victimes étaient bien victimes. Est-ce cela que les médias veulent dire : on peut s'attendre à ce que ces hommes violent, parce qu'il sont étrangers ?

Quant à des PPDA, des Depardieu, des Benoît Jacquot (pour l'instant eux aussi présumés innocents), qui sont, eux, riches et bien mis : sont-ils différents eux aussi ? Pouvait-on deviner que des dizaines de femmes les accuseraient ? Dans ce cas, pourquoi les médias n'ont-ils rien dit plus tôt ? Pourquoi n'ont-ils pas multiplié les enquêtes sur leur "anormalité" ? Et les prêtres et autres personnels religieux, impliqués dans de nombreuses affaires de viols : s'il n'est pas surprenant qu'ils passent à l'acte, s'ils ne sont pas, eux non plus, "normaux", pourquoi ne lit-on pas des dossiers du Figaro, de la Croix, du Pèlerin, de l'Obs pour s'interroger régulièrement sur le profil des hommes d'Église et appeler à réformer le clergé ?

En s'étonnant du caractère "normal" des accusés dans le procès des viols de Mazan, les médias admettent aussi leur complète méconnaissance des chiffres. 114 000 victimes de violences sexuelles par an enregistrées (enregistrées, je dis bien), dont 26 816 de viol ou tentative de viol (hors cadre familial) et 250 femmes violées par jour selon l'association Nous Toutes - et donc, fatalement, à peu près tout autant de violeurs - cela est-il trop peu pour que les médias considèrent le viol comme fréquent ; les violeurs comme omniprésents au sein de la société française ? Quand on compare au nombre d'homicides volontaires (un peu plus de 700 par an), cela donne une idée.

Les médias ont une excuse. Il est vrai qu'à part quelques rédactions ou journalistes engagées (Mediapart, Lorraine de Foucher dans le Monde, Giulia Foïs sur France Inter, Libération, Elle...), on parle peu des affaires de viols non-médiatiques, loin des puissants ou des histoires inédites (que les médias, notamment la PQR, adorent). Comment les journalistes pourraient-ils être au courant que cela existe dans la vie normale ? Peut-être, en demandant à leurs sœurs, mères, amies, partenaires ? Ou - autre suggestion - en faisant leur travail.


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