Le retour du "Bigdil" : derrière le rideau, un discours bien réac'
Plateau télé
Plateau télé
chronique

Le retour du "Bigdil" : derrière le rideau, un discours bien réac'

Le monde a changé, pas Vincent Lagaf'

Bip biiip ! Ouaiiiii ! On ne va quand même pas vous faire une chronique sur le retour du "Bidgil" de Lagaf' ? Eh si, mais ne partez pas tout de suite. Certes, vous allez voir des baballes, des pouet pouet, des jeux incompréhensibles pour gagner "1000 balles" ou "la bagnole" qui se trouve peut-être derrière le rideau. Mais pas que. Car depuis la diffusion de ce remake sur RMC Story, son animateur, Vincent Lagaf, est partout (France 2, France 5, RMC, BFMTV, Sud Radio). Il est partout, et pas seulement pour célébrer le carton d'audience des premiers numéros (près de 2 millions de téléspectateurs). L'animateur est là aussi pour passer un message, repris avec gourmandise par Hanouna et ses amis… Oh là là, bande de veinards, une chronique avec Lagaf', un extraterrestre, Hanouna, "Les Grandes Gueules", le tout avec "la Zoubida" en fond sonore. On vous a vraiment gâtés !

Ce vendredi 3 janvier, à 19h47, LCI s'intéresse à la crise politique en Corée du Sud, Franceinfo dresse le portrait de l'assaillant de la Nouvelle-Orléans, et CNews mouline sur la "menace islamiste".

Mais sur BFMTV, à la même heure, rien de tout cela. La chaîne diffuse une double interview exclusive... d'un animateur et d'un extraterrestre.

Vincent Lagaf' n'y connaît rien sur la Corée du Sud et Bill, l'extraterrestre, ne sait pas situer la Nouvelle-Orléans sur une carte. S'ils ont le droit à treize minutes d'interview (nouveau record olympique du n'importe quoi), c'est parce que la veille, RMC Story a "cartonné" en terme d'audience avec le remake d'un jeu de TF1, arrêté il y a vingt ans : le "Bigdil".

La séquence, interminable, devrait faire l'objet d'un module "Rame et pagaie" dans les écoles de journalisme. Que demander à un animateur de divertissement pendant 13 minutes, sur une chaîne d'info, à une heure de grande écoute ? Best of : "Vous ne vous attendiez pas à un tel succès ?", "Aux alentours de 9h, vous voyez un texto et ce chiffre, 1,8 million de téléspectateurs en moyenne hier soir, vous réagissez comment ?", "Avez-vous été surpris par votre propre émotion lors de l'enregistrement de la première ?" (sic). C'est long 13 minutes de réactions pour un sujet aussi simple (spoil : il est content). Ça l'est encore plus quand le journaliste demande à Bill une réaction à ce succès (spoil : l'extraterrestre aussi est content).  

Un véritable naufrage accompagné de bandeaux improbables...

Si la chaîne d'info a consacré autant de temps à un animateur et un extraterrestre tout bleu, c'est au nom de la sacro sainte synergie de groupe (BFMTV et RMC appartiennent au milliardaire Rodolphe Saadé). Le jour de la diffusion de l'émission, BFMTV avait d'ailleurs filmé les "coulisses" du Bigdil avec une interview de Lagaf' (sans Bill, fallait bien garder une exclu pour le lendemain).

Le concept du Bigdil : une kermesse avec des cubes

Avant d'évoquer tout le discours autour de ce remake, on va quand même faire un petit point sur le concept de ce programme : c'est une kermesse. Des candidats participent à des jeux pour gagner des fers à repasser, des lampes de poche, mais aussi, parce qu'on est quand même à la télé, des téléviseurs 4K "à 1000 balles". A la fin de chaque épreuve, le candidat peut décider de renoncer à ses gains, en choisissant d'ouvrir un rideau derrière lequel il y a soit un cadeau de faible valeur (des bonbons, un jeu de cartes) ou un beau voyage, voire une "bagnole". Le tout animé par l'hilarant Vincent Lagaf', ancien GO du Club Med qui introduit invariablement chaque émission par son fameux…

Un jeu comme il en existe des dizaines à la télé ? Pas tout à fait. Car à la différence des jeux télés classiques où les candidats doivent la plupart du temps répondre à des questions de culture générale, là, les épreuves sont totalement improbables. Adrien par exemple, il est bon en littérature, mais ça ne va pas trop lui servir pour l'émission…

Pendant 30 secondes, Adrien va tourner dans un grand tambour en essayant de rester concentré pour mémoriser des images diffusées sur un écran. A l'arrivée, il va gagner… un jeu de cartes.

Dans l'épreuve suivante, un candidat, suspendu la tête à l'envers avec un filet, doit attraper des balles (tout en se prenant parfois un liquide visqueux dans le visage).

Dans une autre émission, un candidat doit lancer une chope le plus loin possible sur un comptoir de bar…

Voilà pour les épreuves les plus spectaculaires des trois premiers numéros qui ont été diffusés depuis le 3 janvier. Oui, parce que sur RMC Story, on n'a pas vraiment le budget de Fort Boyard pour concevoir des épreuves. Le Bigdil, c'est avant tout un jeu où on demande à des candidats de monter sur des caisses, descendre des cubes, mettre la main dans un pot rempli de coulis de tomate pour attraper un porte-clé (c'est une vraie épreuve).

Enfin ça, ce sont les épreuves compréhensibles pour le téléspectateur. Parce que soyons honnêtes, parfois, c'est tellement tordu qu'on ne comprend rien. Comme l'épreuve de la "dark room" où Estelle, la candidate, doit rentrer dans une pièce sans lumière pour mettre des masques à cinq personnes de son entourage qu'elle aurait reconnu rien qu'en les touchant.

Et malgré tout ça, c'est un succès d'audience : la première émission a été suivie par 1,8 million de téléspectateurs en direct, et plus 500 000 en replay, permettant à RMC Story d'être la deuxième chaîne nationale à J+7. L'occasion pour Vincent Lagaf' de faire le tour des plateaux télés...

S'il est toujours très difficile de comprendre les raisons d'un tel succès (le site 20minutes.fr a recueilli le témoignage des fans de l'émission qui soulignent la "bonne humeur", la "joie de vivre", le "côté clown" de l'animateur), la chaîne a misé sur un ingrédien principal : la nostalgie. Dans les années 2000, l'émission était suivie par près de 6 millions de téléspectateurs sur TF1. C'est parmi eux que la prod a fait son casting : tous les candidats d'aujourd'hui sont des téléspectateurs d'hier. C'est ce qu'ils déclarent d'emblée, avant de jouer avec des cubes : "En famille, c'était le rituel, à 19h le Bigdil, et après au dodo", "J'étais déjà venu vous voir en l'an 2000. J'étais enceinte de ma fille. C'est un souvenir incroyable", "Pour nous, vous êtes un deuxième père, on mangeait avec vous. Vous êtes un monument".

Cette nostalgie est parfaitement assumée et s'inscrit dans un mouvement de retour des émissions des années 1990-2000 : Le Juste Prix (M6), Le maillon faible (M6), Star Academy (TF1), Y'a que la vérité qui compte (C8). Et bientôt : Intervilles, La roue de la fortune et Que le meilleur gagne.

Au cours de sa tournée des plateaux télés, Lagaf' a d'ailleurs répété à plusieurs reprises qu'il avait voulu faire exactement la même émission qu'en 2004 : "J'ai insisté auprès du [producteur] en lui disant : « On ne changera pas une virgule. Et surtout ne venez pas essayer de me raconter qu'il faut faire une nouvelle émission, que les choses ont changé, que le monde a changé»." Ils ont tout gardé : le décor, le générique, l'extraterrestre et les gafettes, ces jeunes femmes qui accompagnent Lagaf' pour présenter les cadeaux.

"On ne peut plus rien dire"

Ils ont tout gardé, même si on n'est plus tout à fait dans les années 2000 car les "wokes" sont passés par là. Dans sa tournée des plateaux, Lagaf' a systématiquement été interrogé sur le changement d'époque avec le fameux refrain : "On ne peut plus rien dire."

Sur le sexisme d'abord : "Quand une jeune femme arrive avec un très beau décolleté, on ne lui dit plus : « Mademoiselle, j'ai du mal à vous regarder dans les yeux ». C'est con, parce que moi, ça me fait rire. Il y a beaucoup de femmes qui aiment qu'on mette en valeur leurs attributs. Bon, là, on ne le fait plus", explique par exemple Lagaf' dans C à vous sur France 5.

Invité des Grandes Gueules sur RMC Story, l'animateur du Bigdil a confirmé qu'il était plus sur ses gardes qu'il y a vingt ans  : "Maintenant, il faut se méfier de tout ce qu'on va dire. C'est vrai que chez moi, il n'y a pas d'histoire de genre, de transgenre, y'a pas de politique." 

Mais faut quand même faire attention. Vis-à-vis de qui ? Truchot, le présentateur des "Gégés" qu'on aime tant, a sa petite idée : "La liberté d'expression est quand même beaucoup plus cadrée aujourd'hui, on fait attention à tout, on a peur du dérapage (...) Est-ce que vous êtes cadrés, Vincent ? Est-ce qu'on vous dit, « attends Vincent, maintenant, on est dans un monde où il y a des associations, il y a les réseaux sociaux ?» "

La "grande gueule" de RMC, Barbara Lefebvre se veut plus précise : "Aujourd'hui, avec les gafettes, vous allez avoir tout le gang des néo féministes qui vont penser que vous êtes l'incarnation du mâle blanc horrible, qui ramène la femme à un simple objet accessoire qui passe le plateau."

L'un des points de crispation, c'est effectivement la présence des "gafettes", les faire-valoir féminins de l'animateur qui présentent aux candidats les cadeaux à gagner. "On a trouvé deux filles qui ne sont pas que belles", a expliqué Vincent Lagaf' dans TéléCâble Sat. Grand prince, il a demandé à ce qu'on leur mette un micro pour qu'elles puissent interagir avec lui.

Bon, à l'image, l'avancée n'est pas spectaculaire. Les deux gafettes, Fanny Veyrac et Nadia Anebri (deux historiques de l'équipe de Lagaf'), sont là pour danser, montrer des cadeaux et n'interagissent quasiment pas. Mais comme le précise Bill l'extraterrestre, ce sont "deux superbes créatures, d'une élégance rarement égalée".

Si Lagaf' ne fait plus de réflexion sur les attributs des candidates, il a toujours une anecdote bien sentie. A une candidate tatouée, l'animateur raconte : "Moi j'ai une très bonne copine qui était raide dingue de Roch Voisine. Et elle avait des gros poumons et sur un poumon, elle s'est tatouée le visage de Roch Voisine. (...) Maintenant, quand je la vois quarante ans plus tard, tu verrais la gueule de Roch Voisine".

Et que dire de Wendy, la cousine d'une candidate. Dans le troisième numéro diffusé vendredi 17 janvier, Lagaf', 65 ans, repère la jeune femme dans le public. Il ne va plus la lâcher pendant toute la deuxième partie d'émission : "Oh le sourire de la cousine, c'est un truc de ouf", "J'ai envie de vous faire un cadeau", "Tu vois Wendy, regarde, ils sont mariés eux", "Oh je t'en supplie, ne me quitte pas Wendy", "Wendy… qu'est-ce que vous êtes belle". Bill va même lui lire un poème et affirmer que la jeune femme forme un très "beau couple" avec le papi de 65 ans.

Bref, Lagaf' a encore des progrès à faire. Et les monteurs ont pas mal de boulot. Ah oui, parce qu'on a oublié de vous dire, d'après Lagaf', la prod a coupé beaucoup de séquences : "Le monde a changé, je dois apprendre à faire avec. Dans la première émission j'étais en mode 100% Lagaf'. Le producteur m'a dit : « On va tailler. Ça, on ne peut plus.» " 

Les accents et la zoubida

Dans la série "on ne peut plus rien dire", il y a un autre sujet qui chagrine Vincent Lagaf'. Il en a parlé chez Sud Radio, France 5, RMC : c'est le problème des accents. Rendez-vous compte, on ne peut plus imiter les noirs et les arabes. "On m'a dit d'éviter les accents, s'étonne l'animateur. Alors maintenant, si tu prends l'accent arabe, t'es raciste mais si tu prends l'accent québécois, t'es pas raciste. C'est qui le raciste dans l'histoire ?" 

Un sujet qui a titillé la bande de Hanouna et provoqué la colère d'un grand nombre de chroniqueurs. Dénonçant la "bienpensance" et le "politiquement correct" qui empêche aujourd'hui "de faire l'accent africain, l'accent arabe", Jean-Michel Maire s'emporte : "On se fait traiter de raciste parce qu'on fait un accent. Je trouve ça débile. On peut imiter quelqu'un, se moquer. Il y a vingt ans, on se moquait tous des uns et des autres et on vivait tous heureux ensemble, dans le même village."

Guillaume Genton, un autre chroniqueur abonde : "Pourquoi ce serait blessant d'imiter des personnes africaines et pas des personnes du sud de la France par exemple ? (...) C'est drôle les accents, ça fait rire tout le monde." Y'a plus qu'à arrêter l'humour ! "Vous imaginez une société sans humour, mais c'est l'horreur, c'est absolument tous les pays totalitaires", s'emporte Isabelle Morini-Bosc.

Sur le plateau, seul Gilles Verdez ose dire que "l'accent belge et l'accent africain, ça n'a rien à voir parce qu'il y a une question d'appropriation culturelle du blanc dominant par rapport au noir ou à l'arabe colonisé qu'il a dominé. C'est pour ça que ça choque, parce qu'il y a toujours un rapport d'anciennes colonies." Une sortie qui lui vaudra le feu nourri des autres chroniqueurs (on va même le traiter de raciste).

D'ailleurs, pour Géraldine Maillet, le succès du Bigdil, "c'est l'avis de décès du wokisme". "En voyant du racisme partout, du sexisme partout, vous êtes devenus totalement inaudibles. C'est ça le retour de bâton en fait. Tous les boomers vont se venger et vous allez prendre ça dans la gueule et ça va vous faire très mal. (...) L'humour déconstruit, c'est pas possible en fait."

Dans ce petit monde de la télé, le sexisme n'existe pas, les Wendy du public aiment forcément la drague lourdingue. Les accents sont forcément drôles, surtout l'accent africain. Comme s'il y avait un accent africain, au même titre qu'il y aurait un accent européen. Non, vraiment, ils ne voient pas le problème. Mais pire que cela, tout début d'autocritique est proscrit. Illustration avec l'un des "succès" de Lagaf' : la chanson "La Zoubida" (il ne manquait plus que ça pour finir cette chronique). Si vous ne vous rappelez pas, le clip de 1991 est ici. Avec cette chanson, Lagaf' coche à peu près tous les clichés sur les arabes : accent, tapis volant, l'arabe forcément voleur ("Le scooter, Moktar l'avait volé").

On ne peut plus rien dire en 2025 ? En fait, déjà à l'époque, des journalistes avaient souligné le caractère raciste de cette chanson (dans L'Evénement du Jeudi, "la Zoubida" était par exemple qualifiée de "chanson débilo-raciste sur fond d'orientalisme de pacotille"). 35 ans après, Lagaf' aurait pu esquisser un début de mea culpa. Mais non, bien au contraire. Ecoutez-le sur RTL, en pleine promo du Bigdil : "A l'époque, on a trois-quatre trous du cul qui avaient besoin de faire parler d'eux et qui n'ont rien trouvé de mieux que de se dire : « ah dans la chanson, il dit que Moktar a volé le scooter, donc les Arabes sont des voleurs. » Y'a pas un Maghrébin au monde à qui je pose la question, « est-ce que tu trouves que la chanson est raciste? » Ils te regardent en disant : « raciste de quoi ? » Les seules personnes qui ont dit que ma chanson était raciste, ce sont des bons petits blancs." Le monde a changé, pas Vincent Lagaf'. 

Partager cet article Commenter

 

Cet article est libre d’accès
En vous abonnant, vous contribuez
à une information sur les médias
indépendante et sans pub.

Déjà abonné.e ?

Lire aussi

Cessez-le-feu à Gaza : toutes les chaînes info ne se valent pas

BFMTV donne une leçon de journalisme à LCI et (surtout) à CNews

Voir aussi

Ne pas manquer

DÉCOUVRIR NOS FORMULES D'ABONNEMENT SANS ENGAGEMENT

(Conditions générales d'utilisation et de vente)
Pourquoi s'abonner ?
  • Accès illimité à tous nos articles, chroniques et émissions
  • Téléchargement des émissions en MP3 ou MP4
  • Partage d'un contenu à ses proches gratuitement chaque semaine
  • Vote pour choisir les contenus en accès gratuit chaque jeudi
  • Sans engagement
Devenir
Asinaute

5 € / mois
ou 50 € / an

Je m'abonne
Asinaute
Généreux

10 € / mois
ou 100 € / an

Je m'abonne
Asinaute
en galère

2 € / mois
ou 22 € / an

Je m'abonne
Abonnement
« cadeau »


50 € / an

J'offre ASI

Professionnels et collectivités, retrouvez vos offres dédiées ici

Abonnez-vous

En vous abonnant, vous contribuez à une information sur les médias indépendante et sans pub.