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Le peuple et la démocratie, ce vieux couple sans ardeur

Avec un art du contretemps dont la philosophie – et les magazines mensuels – seuls ont le secret, le magazine Philosophie de février arbore en rouge et en une cette inquiétante question:

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Waouw... Je découvre Philosophie Magazine : des sondages, une interview de Luc Ferry... Ça donne grave envie de s'abonner.
Je me suis demandé un moment quel était l'objet véritable de cet article, une fois mesurée la trompeuse métaphore de la « psychanalyse d'une désaffection ».

La conclusion est pourtant limpide: « l’amour entre les démocraties occidentales et leur modèle politique bêtement tué... par la télé, comme dans tant de vieux ménages! ».
Bien sûr! La télé est responsable de la « mort » de la « démocratie » dans le cœur du « peuple » (quand l'amour est mort, le couple aussi).

Fi donc qu'un Jean-Luc Mélenchon y ajoute l'industrie du divertissement et la frustration publicitaire dans « un système tout entier organisé pour protéger l'inégalité » qui pourrait nous amener à juger « sans doute un tantinet abusive cette manière d’accuser quelques décennies de JT d’avoir causé cette sorte de dépression politique que nous connaissons désormais ». D'autant que le « nous » qui désormais connaît mélange allègrement une triple polysémie: le "nous" de l'observateur qui prend connaissance, le "nous" globalisant les 49% des Français, l'euphémisme opposant le "nous" qui connaît grâce à la distance "objectivante" des chiffres au "eux" des masses soumises à la manipulation des images, masquant le mépris profond de l'intellectuel pour le peuple imbécile et incompétent dénoncé par le "populiste" Mélenchon.

Pourtant l'Église elle-même approuvait l'avènement de la télévision du temps qu'elle n'était pas encore la vitrine des marchands du temple, parce qu'elle unissait la famille dans un même regard dans le foyer de l'idéale harmonie. L'amour, n'est-ce pas regarder ensemble dans la même direction? Pas de danger pour l'hétéronomie.
Alors qu'internet est nettement plus clivant, chacun devant son écran dans son espace individuel, même interconnecté IKEA. Soumis, dans « notre civilisation entièrement dévouée au culte de l’image vidéo », au même rapport à l'image, il ne nous expose pas moins à de grands «risques pour l’équilibre mental collectif».
Or, ce n'est pas dit dans la chronique mais "tout le monde le sait", Internet a été le support des « révolutions » de Tunisie et d'Égypte. Internet, créateur de démocratie! (ça pourrait être un slogan publicitaire).

Si donc l'on rapproche (malignement, forcément) cela du positionnement commercial d'@si sur le marché de la presse en ligne qui devrait détrôner la presse papier avec pour support Internet qui devrait à son tour détrôner la télé archaïque, l'objet du texte apparaît, par la dénonciation de l'assassinat de la démocratie par la télé, comme la promotion de la presse en ligne sur Internet. De là l'appel au meurtre implicite de la "démocraticide" qui nous « désaffecte » et nous déprime, selon un renversement dont l'inconscient est friand. Heureusement, Sarkozorro va nous pondre une nouvelle loi antirécidive...

Cela dit, comme dans tout discours publicitaire, l'idéologie véhiculée par l'argumentaire n'est pas pour autant anodine. Même si Germain Rital a le droit de penser que le « défaut quasi-complet de préparation philosophique a pour contrepartie l'absence évidemment de perspective politique. » Est-ce si sûr?
Voyons voir.

Après avoir noté le systématisme de la mise en couples plus ou moins bien appareillés (Judith a de l' « advenir » dans le conseillisme conjugal): peuple / démocratie, démocraties occidentales / peuples d'Orient, magazines mensuels / presse quotidienne, envie / amour, émotion / passion, il semble bien que ce soit un « rapport médico-légal » faisant constat du décès « de la démocratie en France, du goût qu’on a pour elle et de notre ardeur à la défendre »  qui déclenche l'affaire:
« 49% des Français disent que la démocratie a reculé lors des dix dernières années ».

Oubliés le relativisme sondagier, les approximations statistiques, les bidonnages orientés (peut-être faut-il prendre cela comme un hommage à la philosophie (eh oui, Germain Rital) que l'on ne veut suspecter de tels tripatouillages).
Or, selon un sondage personnel effectué auprès d'un échantillon représentatif d'un certain nombre de personnes et sur une durée approximativement raisonnable, au moins 80% des Français ne sont pas capables de donner une définition de « peuple », de « démocratie », de « république », de « régime politique », etc. Ce qui n'a rien d'étonnant au vu de l'état dans lequel nos gouvernants mettent notre école « laïque, républicaine et démocratique » et l'état de léthargie profonde de nos mouvements d'Éducation Populaire pour cause de parts de marché de moins en moins subventionnées.

Car de quoi parle-t-on au juste à propos de ce « recul de la démocratie »?

D'« une lassitude profonde vis à vis du principe même de la représentation. Le citoyen ne se reconnaît plus dans le jeu de la rivalité mimétique des partis, et encore moins dans l’action des hommes politiques; il s’estime dépossédé de la voix qu’il exprime en glissant son bulletin dans l’urne », car « Tout se passe comme si une élite avait confisqué au peuple les manettes du pouvoir. » Et encore: « "Nos régimes occidentaux" sont… "fatigués d’eux-mêmes", diagnostique Michel Eltchaninoff. "l'État de droit est globalement respecté et les médias sont dans l’ensemble indépendants. Et pourtant plus grand monde n’y croit, et de moins en moins de personnes y participent. Un sourd sentiment de trahison domine, mais il n’est suivi d’aucune action" ».

Outre la métaphore croustillante (« les régimes fatigués »... alors que ce sont les peuples qui y sont... au "régime" du serre-toi la ceinture), quels beaux euphémismes au passage de la part des « fort belles plumes et de costauds philosophes »: « il s'estime », « comme si », « globalement respecté », « dans l'ensemble indépendants », si l'on se souvient du référendum à propos du traité de Maastricht et de quelques autres broutilles du Sarkozistan. Ça ferait presque sourire s'il ne s'agissait de la « tragédie » de la dépossession totale du « citoyen » d'un quelconque pouvoir sur sa vie collective, alors que 80% des lois votées au parlement entérinent des décisions prises par des experts européens invisibles voire FMIsés.

Par ailleurs, passer de « Français (qui) disent que la démocratie a reculé » à « une lassitude profonde » relève de la manipulation pure et simple. Si les gens sont fatigués, cela est dû au travail inepte, au rythme speed effréné, à la frustration provoquée, bref à la guerre perpétuelle que mène le capital. Point barre.

Ainsi, il s'agit bien du principe même de la "représentation", sensée être démocratique dans une République de la souveraineté populaire, dans laquelle le citoyen, dépossédé de sa voix, est trahi. Déçu, dit Jean-Luc Mélenchon. Pas fatigué, ni déprimé..
Mais trahi par qui? Là, ça coince. La faute à qui? Aux élus, « devenus indifférents au bien commun », ou au citoyen lui-même, inactif (et non: empêché, trompé, trahi, matraqué)?

La confusion des termes « démocraties », « peuples », « régimes », « citoyens », « Marianne », permet alors le glissement, par le truchement de la métaphore du divan, de « l'échelle de la collectivité » métaphorisée dans le couple « peuple / démocratie (Marianne vieille épouse) » à l'échelle de l'individu, égoïste forcément (il préfère s'occuper de lui-même et défendre ses libertés personnelles et ses droits particuliers). On sent bien que, puisqu'il y a faute, c'est vers lui que penche la responsabilité. Puisque bien évidemment manipulé (manipulable) par la télé contrairement à "nous" critiques avertis. (Voir Acrimed et Acrimed).

Ce qui permet aussi de rebondir sur la « dés-affection » (électorale). Donc sur les affects (ah, l'association d'idées). Donc sur une interprétation psycho-affective de la dénonciation populaire qui s'exprimerait par le non vote (non acte), mais non politiquement dans la grève et les gigantesques manifestations de l'automne.
Voilà qui me rappelle quelque chose. Fatigué, déprimé, … grincheux quoi. Où donc ai-je entendu cet air là: que la lutte des classes était remplacée par la lutte entre nain grincheux et nain joyeux dans le « continuum d'affects qui vont du plus triste, du plus mécontent, aux affects joyeux presque purs ». Mais c'est bien sûr. (Et Germain Rital qui nous dit qu'il n'y a pas de préparation philosophique!).

Quoi de plus "naturel", alors, que d'avoir recours à un « ronchon médiologue » « pour tenter de comprendre: comment ça s’est joué, la fin de l’amour (de la démocratie), et qu’est-ce qui l’a précipitée? » pour avancer une explication somme toute consensuelle et surtout pas politique: « la télé m'a tué ».
Tué par la télé, le vieux couple voit son usure mise en relief par les « peuples d'Orient » pleins de « volonté », de « désir », d'« amour neuf », de « la passion dans sa jeune vigueur ». L'ardeur du dard juvénile.
Oui, Germain Rital, Sophocle, vieux monde contre nouveau monde. « Ah! misère du journalisme quotidien, sa force d’inertie, son inéluctable propension à la répétition, puisque l’Histoire décidément va moins vite que les rotatives et que le cliché est toujours le premier secours du plumitif pressé... » Misère du journalisme? Journalisme de la misère...

Mais de quel « peuple » s'agit-il?

Spitilik nous l'indique: « Il s’agit de reconnaître une autre élite bourgeoise comme désormais suffisamment proche et ambidextre grâce à Facebook et Twitter pour exercer la même domination que cette classe exerce chez nous. »
« Élite » mise en « fabrication » depuis longtemps pour des « intérêts » qui ne se cachent plus: « Il y a aujourd'hui dans le monde 1 milliard de consommateurs de classes moyennes qui ont accès aux produits cosmétiques. Ce chiffre va doubler dans les dix ans qui viennent. Pour nous c'est une opportunité formidable de conquérir effectivement 1 milliard de nouveaux consommateurs en Amérique latine, en Chine, dans toute l'Asie, en Afrique également, qui ont maintenant accès à des niveaux de revenus qui leur permettent d'acheter nos marques de produits. Ça va être une nouvelle phase qui va porter la croissance de l'entreprise pour les dix à quinze ans à venir ». Jean-Paul Agon, PDG de l'Oréal, « On n'arrête pas l'éco », France Inter, 12 février 2011.

Là où une oligarchie dictatoriale permet l'exploitation (le pillage!) des ressources et la consommation des produits de l'industrie élitiste du "grand luxe" (dans lequel la France excelle, ceci expliquant cela ), la démocratie des classes moyennes est nécessaire pour la diffusion de la consommation de masse. Si les consommateurs de tes produits n'existent pas, fabrique les!
La remarque de Spitilik: « C’est juste que, d’un côté on a "les classes populaires" et de l’autre "une grande bourgeoisie émergente" » est en ce sens à rapprocher du « curieux phénomène: "La révolution tunisienne" et "la révolte égyptienne font, semble-t-il, baisser l'audience des journaux télévisés", remarque Le Monde. » Gilles Klein le 03/02/2011, « Tunisie et Egypte : les JT perdent de l'audience! ».

Aussi, pour aller plus au fond, devons-nous reprendre au bond sous forme de question la remarque fondamentale de Germain Rital: ce « peuple » (la Cité), « nous ne la concevons plus que comme une réunion d’individus dont nous ne nous demandons surtout pas comment ils ont pu se trouver là. »
En effet, « sous le terme de démocratie, il n’est question que du gouvernement des hommes par eux-mêmes, et non de ce qui fait la spécificité de ce régime - à savoir, ce à quoi renvoie le premier composant du mot: le "dème", la circonscription de résidence, laquelle ne se comprend qu’à partir de la condition de terrestre habitation à laquelle est ordonnée l’existence de l’humanité. »

« Le dème, nous dit Wikipédia, est une circonscription administrative de base instaurée lors de la révolution isonomique de Clisthène (laquelle eut lieu de 508 ou 507 à 501 av. J.-C. à Athènes). Le dème est directement lié à la marche d'Athènes vers la démocratie. » L'isonomie est cette « relation réciproque et réversible, égalitaire » (Paul Blanquart) qu'institue la pratique de l'es meson: « l'assemblée de guerriers, côté grec, forme un cercle au milieu duquel sont déposés le butin ou les prix mis au concours. Ainsi s'établit une équivalence entre le milieu et ce qui est commun, public, appartenant à tous. Cette assemblée est aussi le lieu où chacun peut également prendre la parole: quiconque veut s'exprimer sur ce qui intéresse le groupe s'avance au milieu et prend le sceptre en main. (…) Une activité proprement politique, distincte du religieux et autonome se constitue. Elle est inséparablement, comme le démontrent clairement les travaux de Jean-Pierre Vernant, une nouvelle organisation de l'espace. » Ce lieu, l'agora, cette pratique, l'es meson, et cette relation politique, l'isonomie, s'inscrivent dans « l'organisation inédite qu'exige la mise en place d'un nouveau système social: le synœcisme (réunion de plusieurs villages en une cité, avec égalité des droits entre ses diverses composantes, et formation d'institutions politiques et culturelles unifiées). » C'est dans ce système que s'est épanouie pendant deux siècles la démocratie directe grecque.

Jean Bodin, théoricien de la monarchie absolue, qui a, le premier, défini la notion de Souveraineté (Les Six Livres de la République, 1576) l'exprime clairement: la République est « le droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine », autrement dit: « La souveraineté est la Puissance absolue et perpétuelle d'une République ». La République est « le droit gouvernement », c'est-à-dire le gouvernement moral qui respecte le Bien Commun, l'intérêt général de l'État (légitimité). La base politique de l'État n'est pas l'individu mais la famille. C'est Dieu qui a fait le couple et voulu l'autorité du pater-familias.
L'État s'est créé par la coordination nécessaire des forces tribales, l'abandon des autorités particulières au bénéfice d'un souverain qui assure la protection de tous.
Point de République s'il n'y a pas, d'abord, de communautés. Les ménages doivent être rassemblés par un ou des intérêts collectifs. La République est une communauté de communautés.
Mais c'est une communauté qui se distingue de ces composantes par le fait qu'elle est dotée d'un pouvoir de contrainte et de sanction suprême, la puissance souveraine.
La souveraineté ne se partage pas. La souveraineté appartient tout entière au législateur, qu'il s'agisse d'un prince, d'une élite ou d'un peuple. On est alors soit dans un État monarchique, un État aristocratique ou un État populaire.

Mais la démocratie « directe » athénienne va si fortement déplaire au réactionnaire Platon qu'il n'en verra que les défauts (humains, trop humains): «  le désordre, la démagogie et la faiblesse », en regard de la perfection de son idéalisme totalitaire.

Ce qui va servir de prétexte pour la reprise, après un détour par le droit romain, au sortir de la féodalité, de ce modèle virtualisé dans une dissociation subtile du couple peuple / démocratie, le peuple étant jugé incompétent pour exercer son acte-pouvoir euphémisé dans sa souveraineté.

Ainsi se consomme la farce de la démocratie « bourgeoise », les oligarchies ploutocratiques captant le pouvoir et la richesse des hommes à travers l'État, « brouillant les roucoulements des tourtereaux avec des ronchonneries de vieux époux » et « couvrant la beauté de l’Histoire en marche du linceul de notre pessimisme. »

Marx, nous dit Jacques Rancière, remet pourtant les choses à l'endroit: « Quand Marx dit: "(la bourgeoisie) a substitué aux nombreuses libertés si chèrement acquises l'unique et impitoyable liberté du commerce", la seule liberté qu'elle connaisse étant l'égalité marchande, laquelle repose sur l'exploitation brutale et éhontée, sur l'inégalité fondamentale du rapport entre le "prestataire" du service travail et le "client" achetant sa force de travail, (la sociologie contemporaine) substitue à "la bourgeoisie" un autre sujet, "l'homme démocratique". À partir de là, il est possible de transformer le règne de l'exploitation en règne de l'égalité, et d'identifier sans plus de façon l'égalité démocratique à l'"égal échange" de la prestation marchande. Le texte revu et corrigé de Marx nous dit en bref: l'égalité des droits de l'homme traduit l'"égalité" du rapport d'exploitation qui est l'idéal achevé des rêves de l'homme démocratique. »

Mais, foin du matérialisme historique, pour nos idéologues bourgeois friands néanmoins du bonheur des biens matériels (à l'occasion aux frais de l'État), la démocratie ne serait donc plus qu'une histoire de « peuple », « étalon majoritaire vide » (Deleuze), et d'élections « d'élus ».
C'est que l'espace « public » inventé par les Athéniens du VI° siècle av. JC n'est pas celui que doivent ré-inventer les penseurs des XVIème et XVIIème siècles "français". Certes cette réinvention va se faire aussi contre la scène religieuse en instaurant une scène sociale, mais pour construire une scène non politique, la scène de la civilité. Coincé entre la sphère domestique du "privé" en train de se constituer, et la sphère politique confisquée par l'absolutisme royal réduisant les corps intermédiaires et les prédicateurs au discours d'éloge ou au silence, la scène publique va devenir l'espace de la conversation, de la représentation, du monde « comme théâtre », et, dans ses excès, donner au XVIIIème siècle son nom de « siècle du persiflage » (Voir le film « Ridicule »). De son sens du XVIème qui désignait la citoyenneté, l'appartenance vertueuse à la Cité, à la patrie, la civilité va prendre au XVIIème celui de l'espace de la parole mondaine, investissant les mots comme activité publique mais non politique repliant la langue sur le locuteur, en tant que personne privée (Hélène Merlin-Kajman). L'égonomie dans l'hétéronomie? « Ne jaugeant que par le je – quand le sujet politique est un nous ».

La bourgeoisie, à l'abri de l'éloquence "citoyenne" de ses philosophes, se gardera bien, dans son profond mépris du "populaire", de revenir sur ce clivage en instaurant la représentativité « républicaine ».

« République, explique Jacques Rancière, est, depuis Platon, le nom du gouvernement qui assure la reproduction du troupeau humain en le protégeant contre l'enflure de ses appétits de biens individuels ou de pouvoir collectif. C'est pourquoi il peut prendre un autre nom qui traverse furtivement mais décisivement la démonstration du crime démocratique: le bon gouvernement retrouve aujourd'hui le nom qu'il avait avant que ne se mette en travers de sa route le nom de démocratie. Il s'appelle gouvernement pastoral. Le crime démocratique trouve alors son origine dans une scène primitive qui est l'oubli du pasteur. (…) La rédaction de la constitution des États-Unis est l'exemple classique de ce travail de composition des forces et d'équilibre des mécanismes institutionnels destinés à tirer du fait démocratique le meilleur qu'on pouvait en tirer, tout en le contenant strictement pour préserver deux biens considérés comme synonymes: le gouvernement des meilleurs et la défense de l'ordre propriétaire. »

Denis Lacorne précise: « ...Et pourtant, souligne Madison, il y a une différence fondamentale entre le principe de représentation des anciens et celui des Américains: le premier n’excluait pas dans de nombreux domaines la participation directe des citoyens à la gestion des affaires publiques; le second, à l’inverse, aboutit à "l’exclusion totale" de la participation du peuple aux affaires de l’État. Dans un cas, le peuple se réserve certaines prérogatives gouvernementales, dans l’autre, il cède la totalité de son pouvoir aux représentants des deux pouvoirs exécutif et législatif. En fait, "le principe de la représentation" constitue pour les Américains le véritable "pivot sur lequel tourne" la république; chez les anciens, il n’est qu’un élément parmi d’autres dans un ensemble mixte alliant une forte dose de démocratie directe avec des fonctions représentatives. La démocratie américaine n’a donc rien de commun avec la "pure démocratie"; c’est une "république", c’est-à-dire "un gouvernement dans lequel le dispositif de la représentation existe". En d’autres termes, c’est une démocratie incomplète dont les excès naturels et inévitables sont tempérés par l’existence d'institutions républicaines: un président et des assemblée élues. Ces institutions ont une véritable fonction thérapeutique: elles servent de "remède" contre les abus généralement attribués par les auteurs classiques aux "démocraties". (…) L’immense avantage de la "représentation" est qu’elle permet au représentant, une fois élu, de s’éloigner de son lieu d’origine (sa circonscription), d’échapper ainsi aux passions du moment, au poids et à l’étroitesse des préjugés locaux. Plus sa circonscription est nombreuse, plus l'État est de grande dimension, plus l’élu sera en mesure de "penser large" et de pourvoir à l’intérêt général. L’acte représentatif joue en fait le rôle d’un filtre qui "purifie et élargit les opinions" du corps électoral. Le représentant, en effet, n’est pas n’importe qui. Parce qu’il a été "choisi", on peut s’attendre à ce qu’il exprime une certaine "sagesse", qu’il "discerne au mieux l’intérêt véritable du pays" et que son "patriotisme et son amour de la justice" lui interdisent de sacrifier l’intérêt supérieur du pays à des "considérations partielles ou circonstancielles". »

« Et pourtant plus grand monde n’y croit, et de moins en moins de personnes y participent. »

Ne serait-ce pas parce que, en situation de progression des inégalités (les libéraux appellent ça « la crise »), c'est-à-dire une évolution du rapport de force en faveur du capital au détriment du travail, - alors que les trente glorieuses, avec la constitution d'une importante "classe moyenne", avaient euphorisé la société par le développement de la consommation de masse -, les intérêts et les passions animant l'"homo politicus" apparaissent pour ce qu'ils sont dans ce système de représentation: réseau affinitaire mafieux, clientélisme et passe-droits?

Rosa Luxemburg le dit à sa manière: « La morale du révisionnisme, telle qu'elle correspond à ses idées avec une irrésistible logique (...) considère la masse comme un enfant à éduquer auquel il n'est pas loisible de tout dire, auquel, dans son propre intérêt, on a même le droit de dissimuler la vérité, tandis que les "chefs", hommes d'État consommés, pétrissent cette molle argile pour ériger le temple de l'avenir selon leurs propres grands projets. Tout cela constitue l'éthique des partis bourgeois aussi bien que du socialisme réformiste, si différentes que puissent être les intentions des uns et de l'autre. À l'effacement de toute ligne de démarcation à la base, entre l'élite de prolétaires conscients du but et la masse populaire inorganisée correspond, au sommet, la suppression des cloisons entre les "dirigeants" du parti et le milieu bourgeois - le rapprochement entre parlementaires socialistes et gens de lettres bourgeois sur le terrain des "humanités". Sous les auspices de ce qu'on nomme "culture" ou "humanités", ces députés sociaux-démocrates se réunissaient par de belles soirées d'hiver avec des journalistes bourgeois pour se distraire un peu des "ennuis professionnels" et de la "vulgarité du jeu politique". De même qu'autour de Périclès se réunissait tout ce qu'Athènes comptait d'éminent dans la politique, les arts, la philosophie et les lettres, pour s'élever, dans une parfaite liberté d'esprit, jusqu'aux cimes suprêmes de la pensée et du sentiment raffinés, on a vu, dans une brasserie de Berlin, les hommes d'État de la social-démocratie se mêler à des femmes élégantes et à des nouvellistes spirituels pour faire cercle autour du Périclès moderne qu'est Maximilien Harden: pendant quelques heures exquises on oubliait la mêlée barbare de la lutte des classes et l'odeur forte de la plèbe, en échangeant des propos subtils sur les faits du jour et les œuvres d'art. Les têtes n'étaient pas ceintes de couronnes de roses, et les crus de Samos et de Mytilène étaient remplacés par la vulgaire bière de Munich, mais le véritable esprit de l'amitié antique et de la culture la plus raffinée n'en flottait pas moins comme un halo léger autour de ce cénacle choisi. Et c'est avec une tolérance, comme seuls les esprits supérieurs la savent goûter et pratiquer, qu'on se confiait des opinions fort indépendantes et parfois aussi des renseignements de détectives sur des camarades importuns. "Tout se passait comme c'est l'usage entre gens cultivés", a déclaré le camarade Heine ».

Jean-Luc Mélenchon y croit, lui, et a surtout le mérite de s'en expliquer, ce qu'évitent soigneusement ses contradicteurs préférant s'en prendre au « style » du tribun populiste. Dans la vidéo gracieusement indiquée par Mouffette du débat entre Jean-Luc Mélenchon et Jacques Julliard, il dit: « Dés lors que chacun est mandaté pour faire la loi, il est obligé de penser ce qu'il pense dans les termes de l'intérêt général et, donc, il modifie sa perception de la réalité et du rapport à son propre intérêt. De la jaillit à sa manière l'idée républicaine dont le cœur est dans le pouvoir de tous, l'idée populaire. Pourquoi? Parce que la république va plus loin que la démocratie. Elle ne dit pas que chacun dit ce qu'il croit bon pour lui. Elle vous demande de dire ce que vous croyez bon pour tous. Ce qui signifie que la République 1° s'appuie sur tous. La loi est légitime parce qu'elle est faite pour tous et c'est pour ça qu'elle s'appliquera à tous. 2° Elle naît de tous, de la volonté générale. Personne ne peut avoir raison contre le peuple. »

Pour Mélenchon, la République est donc ce qui est « bon pour tous » (en opposition à la démocratie qui serait: « ce qui est bon pour moi » (?!)). Ce qu'il faut entendre dans la définition « romaine »: « La res publica, en deux mots, la chose publique, c'est tout simplement la gestion des affaires qui nous concernent tous, autrement dit la gestion de l'État. » (Lucien Jerphagnon). Que ce « bien public » soit géré par un monarque amoureux de son peuple, une élite "éclairée", des experts "objectifs" et "savants", des élus soucieux de « l'intérêt général », ou des représentants d'un peuple "actif", tirés au sort pour un seul mandat d'une durée brève, révocables à tout moment et contrôlés de prés par un astucieux et évolutif système de contre-pouvoirs. Voir Front de Gauche.

Le Front de Gauche opte pour une république parlementaire à définir par une constituante (eh oui, si seul le peuple peut se « constituer », on ne peut avoir le résultat avant la délibération, pas plus que le « chiffrage » du programme, soyons cohérents).

Mais quel est le peuple dont il est question ici?

Si nous nous en tenons au rappel de la distinction entre populus (tout le peuple moins les femmes, les esclaves et les métèques) et plebs (les travailleurs forcément pauvres, puisqu'à l'époque on considérait le travail pour ce qu'il est: une servitude), J.L. Mélenchon se prononce pour le populus, tout le peuple. C'est-à-dire 98% de la population active (les salariés), différents des 53% d'ouvriers et d'employés. Jean-Luc Mélenchon est bien un tribun populiste, et non un « Tribun de la Plèbe ».
À partir du raisonnement suivant: toute la société est organisée pour protéger un modèle inégalitaire de répartition de la richesse issue du vol de la plus-value sur le travail non payé de l'ouvrier. Toutes les [s]classes[/s] (correction JLM) catégories sociales du salariat sont frappées de la même manière par le modèle néo-libéral: le précariat (vieille lutte de l'humanité...). Il est évident que pour un postulant au pouvoir par les élections démocratiques bourgeoises (si j'ai bien compris il y a 51% de français plein d'énergie qui sont « pour », ce n'est pas rien), viser « le plus grand nombre » d'électeurs est logique. D'où la préférence pour le terme catégories (notion sociologique "neutre" (!)) plutôt que classes (notion d'économie "politique").

La reconnaissance d'une société de classes constitutive du système capitaliste répond à la question de Germain Rital: d'où vient ce peuple? Certainement plus de l'organisation sociale des dèmes fondée sur l'agriculture, la propriété foncière et le travail servile. Le capitalisme est fondé sur la propriété (le vol!) des moyens de production, la division du travail social et le salariat, détruisant au passage les anciennes appartenances.
La constitution d'une classe intermédiaire, qui n'est pas une classe parasite (comme l'aristocratie ou les rentiers) puisqu'elle a pour fonction l'encadrement de la classe ouvrière, a pour conséquence la nécessité de l'illusion de participation aux affaires publiques (car plus éduquée et moins soumise à « l'évidence de Dieu ») que fournit la démocratie républicaine. Cette classe entre-deux ne peut que se faire des illusions sur elle-même ( ce que j'ai essayé de montrer ) ce qui se traduit principalement par la négation de la société de classes (confusion classe et catégorie), donc de sa position(fonctionnelle) petite bourgeoise, et par le développement d'une pensée d'un "être universel" de l'Homme dont la "croyance" en l'universalité de la raison fournit l'aliment idéologique (faut-il rappeler ici que catholique = universel?).

Il n'est pas nécessaire de penser que la classe ouvrière soit en capacité aujourd'hui de réaliser son « devenir révolutionnaire » pour comprendre (outre les raisons internes au système électoral qui est pas fait pour que le "peuple" ne prenne pas le pouvoir) qu'il y a peu de chances pour que le Front de Gauche récupère les voix des couches populaires (du FN ou de l'abstention) pour les ramener, en « bon père tranquille de la gauche », dans le giron de la social-démocratie. Ce qui n'empêche pas de saluer les efforts de Jean-Luc Mélenchon qui va au carton vaillamment en expliquant honnêtement ses choix.

Pourquoi donc ne pas plutôt appeler la petite-bourgeoisie qui, par sa mise en précarité, est amenée à découvrir la dureté de la guerre des classes (il paraît que la vente des œuvres de Marx est en hausse), à se mettre au coté de « la classe qui représente comme classe particulière la décomposition de la société entière, le prolétariat... », « classe qui ne puisse se libérer sans se libérer de toutes les autres classes de la société et par là sans libérer toutes les autres classes de la société. » (Marx)? - Je laisse aux idéalistes petits bourgeois leur interprétation selon laquelle société sans classes voudrait dire sans antagonismes sociaux -. Ne serait-ce pas cela « demander de dire ce qui est bon pour tous » (« ...lorsque la masse des millions de prolétaires empoigne de ses mains calleuses la totalité du pouvoir d'État, tel le dieu Thor brandissant son marteau, pour l'abattre sur la tête des classes dominantes, alors seulement existe une démocratie qui ne soit pas une duperie. » Rosa Luxemburg.)?

En privilégiant cette option, le Front de Gauche, choisit d'être le représentant des classes moyennes touchées aujourd'hui par la précarité, - alors que depuis au moins 1976 (Raymond Barrre et son plan) la précarité a été institutionnalisée pour les jeunes travailleurs (industrie et emplois de service). Pourquoi retenir le versant de la répartition des richesses et non de l'appropriation des moyens de production, fondement du système inégalitaire? Pourquoi la classe ouvrière adhérerait-elle à ce schéma alors que la social-démocratie moderne, (qui représente historiquement la moyenne bourgeoisie) ne s'est pas plus préoccupée de son sort?

Si l'on peut considérer avec Deleuze (merci Penser BiBi) que le « devenir révolutionnaire » de la gauche, « qui n'est pas affaire de gouvernement », est de « ne pas cesser de devenir minoritaire » puisque « la minorité, c'est tout le monde », ce questionnement n'a rien à faire avec le pessimisme ou l'optimisme, volontariste « devoir que nous dicte la Raison » pour « désengluer le grand nombre, comme nous le pouvons, de son dégoût, de son inertie, de son désespoir! » supposé, sinon inventé. Il est au contraire la condition pour reconstruire le "politique" nécessaire à ceux qui n'ont plus rien que leur qualité d'homme.
En tout cas, traduire le rejet de la supercherie qu'est le système électoral en terme d'affects sous prétexte que le seul processus démocratique serait la démocratie républicaine représentative bourgeoise sinon rien, c'est nier la dimension politique de ce refus et c'est exprimer le mépris historique de la bourgeoisie et ses affidés petits-bourgeois pour les classes populaires.

Pour finir en clin d'œil, en transposant la harangue du tribun (« Qu'ils s'en aillent tous ») dans la harangue du chauffeur de salle, on peut retenir cette jolie phrase de J.F. Kahn (gros nul par ailleurs selon moi) à propos du "populisme":
« Si vous expliquez (aux gens qui aident à changer le monde) que le summum de l'injure c'est un mot dans lequel il y a le mot peuple, vous avez bien commencé vos affaires. »
Ouais. Me laisse un peu beaucoup sur ma faim, cette chronique. Comme si, en mettant l'aspect « psychanalytique » en avant, elle participait justement du « vidage de substance politique.... »

Les gens n'ont plus envie de voter pour « bonnet blanc » ou « blanc bonnet », en termes simples ça veut dire que la droite d'un côté, et la gauche « très molle » de l'autre défendent toutes les deux un même système : l'oligarchie. Et que les vrais gens ne sont pas complètement idiots. Ils aimeraient bien l'aimer, la démocratie, ou tout au moins ce qu'on leur vend comme tel, mais ils se soucient surtout de pouvoir boucler leur fins de mois. De pouvoir vivre normalement. D'avoir un toit. De pouvoir envoyer leurs gosses à l'université, et "toute cette sorte de choses", tellement banales...

On l'a vu au moment du référendum sur le traité de Lisbonne : nos bons « représentants » nous ont tout bonnement craché à la gueule, en votant le texte refusé par les français, quasiment comme un seul homme.

On l'a vu avec les récents évènements en Tunisie, et en Égypte : tous nos politiques ont salué "les peuples" qui se battaient pour la démocratie... Tout en conspuant les pue la sueur qui étaient dans la rue pour les retraites, il y a peu. Ils appelaient le pouvoir à ne pas user de violence, alors que chez nous le pouvoir met au gnouf les opposants (Lille, Lyon) gaze les manifestants pacifiques (Anduze) etc...

On continue de le voir au club le Siècle, une fois par mois, où les « élites » se réunissent, droite et gauche confondues, et grands pontes des médias avec, pour décider ensemble de l'avenir du monde. Et du nôtre.

Alors, effectivement, voter pour un pantin, Sarkozy ou DSK, quel intérêt ?

Nous les vrais gens, ne sommes pas « revenus de la démocratie », on nous l'a juste confisquée, en nous faisant croire que mettre un bulletin dans l'urne une fois tous les quatre ans c'était la démocratie...

La démocratie, la vraie, reste à réinventer.

Un article intéressant sur Article 11
Merveilleuse chronique Judith, une fois de plus…

Comment ne pas espérer que les pays arabes fassent tache d’huile à l’infini ? Ils découvrent soudain la force incroyable de la “vox populi”, la souveraineté du peuple, ils parviennent à se libérer de leurs chaînes en surmontant leur peur ! La Chine filtre soigneusement tout ce qui fait référence à l’Egypte sur le net : ça cause !

Pour ce qui nous concerne, dans notre tout petit état-voyou, qui peut croire une seconde, sérieusement, que nous soyons en démocratie ?

Tout prouve le contraire : nous sommes livrés depuis de très nombreuses années à une clique d’oligarques qui impose (c’est le cas de le dire) ce qu’elle veut au peuple qu’elle ne cesse de rançonner tout en réduisant ses libertés jour après jour (travailler, fumer, boire, rouler, stationner, s'exprimer, etc.)

Notre police n’hésite pas à traiter les gens comme des chiens, nos magistrats se soucient comme d’une guigne des justiciables qui croupissent éternellement en préventive sans raison valable et en totale contradiction avec la présomption d’innocence… Démocratie ?

Les dirigeants tout-puissants, président en tête, n’hésitent pas à porter plainte contre les citoyens, le moindre déplacement d’un ministraillon bloque une ville de moyenne importance pendant des heures… Démocratie ?

Le peuple souverain se prononce largement contre la Constitution Européenne on nous l’impose à Lisbonne… Démocratie ?

Sérieusement le problème de la démocratie est enclos dans la volonté du peuple…

Soit le peuple veut financer (à crédit) sa petite maison suburbaine et regarder la télé-réalité sur les chaînes sous-développées… Soit il veut prendre sa vie en main et faire (enfin) respecter sa souveraineté…

Rien n’est plus lourd à porter que la liberté… Et pourtant Dieu sait si c’est beau !

Amitiés d’Extrême-Orient (et plus précisément du Vietnam qui a coupé l’accès à Facebook, j’en témoigne…)
Chère Judith,
Puis-je vous indiquer cette petite vidéo où l'on voit (on entend surtout) Gilles Deleuze parler de "révolution" et des "Nouveaux Philosophes" d'antan ! La vidéo se trouve en fin d'article.

"Les voyages de BiBi à Bicêtre"

(surtout après la quatrième minute)
Excellent article, mais un tantinet noir. Il manque la touche positive : la télévision est en perte de vitesse face à internet. Certes l'écart est encore grand : les Français passent une heure par jour sur Internet (src Le Figaro) contre 3 heures 25 devant la télé chaque jour (scr le monde) mais la dynamique est dans le bon sens.
Ce dossier de « Philosophie Magazine » et cette une de « Libé » ne sont en rien antinomiques, à mon humble avis.
Et je suis surpris qu’une spécialiste du décryptage linguistique des médias n’ait fait qu’effleurer la question.

« (mais ce n’est pas le même peuple). » précise-t-elle.

En effet, ce n’est pas le même « peuple. » Mais ce n’est pas que d’un côté on aurait les « peuples arabes » et de l’autre « le peuple français » et « les peuples occidentaux »…
C’est juste que, d’un côté on a « les classes populaires » et de l’autre « une grande bourgeoisie émergente »...

Comme l’avouait assez brusquement et naïvement je ne sais plus quel reporter du JT hier : les classes populaires égyptiennes sont plutôt derrière Moubarak et, n’étant pas éduquées (en gros), exprimeraient toujours le besoin de se faire guider par un « chef ».

Ainsi, les médias ne soutiennent pas plus en ce moment le « peuple arabe » qu’ils ne se préoccupent du sort du « peuple français »…

Il s’agit de reconnaître une autre élite bourgeoise comme désormais suffisamment proche et ambidextre grâce à Facebook et Twitter pour exercer la même domination que cette classe exerce chez nous.

Ainsi, ce double sens du mot « peuple » est continuellement utilisé pour discréditer et enlever le peu de « dignité démocratique » qu’il reste à nos « classes populaires » ici, tout en faisant semblant d’héroïser celles-là.

C’est juste que les grandes bourgeoisies arabes sont suffisamment mûres pour prendre le destin de leurs peuples en main sans recourir aux pouvoirs dictatoriaux qui les ont fait naître.

Rien de nouveau sous le soleil, si je puis me permettre.

De même qu’elle a confisqué le pouvoir démocratique au peuple ici tout en continuant à lui reprocher son manque de vigueur et à se moquer plus ou moins ouvertement de son apathie, notre oligarchie et ses organes de propagande continuent de le culpabiliser hypocritement en prétendant que d’autres peuples – et des Arabes en plus ! – sont beaucoup plus « intelligents » que lui. Et justifie donc au passage son propre pouvoir, qui commence à se faire un peu trop voyant.

Dans les deux cas, « les petites gens » seront perdants, comme toujours, et comme partout. Pas besoin d’avoir lu Céline, ni Cossery.

Les membres de notre classe dirigeante auront juste un peu « meilleure conscience » de se balader dans ces pays-là, et un peu plus confiance pour y faire circuler leurs capitaux auprès de gens qui leur ressemblent.

Et le « peuple arabe » ne viendra pas plus en vacances dans le Périgord que « le peuple français » n’aura accès aux établissements de luxe à Charm-El-Cheikh… Et les deux ne discuteront pas plus sur Facebook...

Voilà pourquoi un million de personnes dans les rues c’est, selon les cas, « une révolution citoyenne » ou « une manifestation que personne ne remarque »…

Désolé pour les raccourcis un peu grossiers, bien loin de la finesse des analyses hautement philosophiques que l'on trouve ici...
le magazine Philosophie de février arbore en rouge et en une cette inquiétante question: «Le peuple a-t-il perdu le pouvoir?»

Ainsi qu'en blanc et en une cette vertigineuse proposition : «L'amour est tout sauf une solution» [Luc Ferry]. Ahum. D'accord, une façon de prévenir qu'on n'est pas exactement chez "Mind", non plus.

N'empêche, ça fait quelques jours que je me demande où est passé Damien, dit Le Farfadet...
LA REVOILAAAA !!!
Ravie de vous retrouver dans une chronique, chère Judith.

Sauf que s'appuyer sur un magazine de philosophie bobo, avec toutes ces platitudes, et qui se prétendrait politique, pour finir par faire un jeu de mots, un vieux couple qui s'ennuie parce que la télévision les a séparés.
Pas mal, mais peut mieux faire.

Je ne vais pas vous rabattre les yeux avec les théories de Todd, sur l'émergence de la démocratie quand un pays atteint un taux d'alphabétisation supérieur à 75/80%, et un taux de fécondité qui descend à moins de 2. Cette conception bassement matérialiste de la politique ne peut que désintéresser une personne aussi romantique que vous.

Et ajouter qu'au bout du compte, un taux de fécondité de 2 , cela génére en bout de course une population qui vieillit et a tendance à la régression, et à l'ennui, et à se laisser facilement berner, à dire "C'est sûr que c'est vrai, je l'ai vu à la télé".

Mais pour ce qui est de la fracture des dominants et des dominés, il vaut mieux lire Chomsky et Gauchet, effectivement, même si lire un livre n'a jamais changé quoi que ce soit au monde.

Mais franchement, je suis fatiguée. L'armée égyptienne, sauf retournement de dernière minute, va rester au pouvoir.
Tous ces gens ont risqué leur vie et parfois seront morts pour rien. Ils auront lutté pour une chose que nous, ici, ne sommes même pas capables de conserver à peu près vivante, la démocratie.

Toutes ces fadaises, ça me tue.
Est-ce que quelqu'un a lu « La haine de la démocratie » de J. Rancière ? Quel est votre avis que le livre ?
Si ma memoire est bonne au moment des manifestations contre la retraite à 65 ans une colatitude d editocrates qui colonisent les médias nous disait que " cela ne sert à rien de manifester " et qu' en plus c est "populiste " puisque les "élus du peuple " vont voter la reforme.....
Les mêmes éditocrates qui savent toujours ce que doit penser le peuple auraient donner de savants conseils au " peuple " tunisien en lui disant en plus que le régime Ben Ali était le meilleur régime pour eux .....
Et si la démocratie ne passait simplement plus par les " oligarchies d élus " mais par d autres formes de démocratie et si le bon sens n etait pas plutot du coté de celui qui dit " qu ils s"en aillent tous !!!!"
[quote=Eltchanioff]Marianne est maintenant une vieille épouse. On préfère s’occuper de soi que d’elle.

Alors comment expliquer qu'on s'occupe aussi mal de soi ? Qu'on s'occupe aussi mal de soi, des nos proches et de tous ? Ces peuple qui font la Révolution ont aussi une télévision qui ne vaut pas mieux que la notre ; une télévision, une industrie culturelle qui est tout aussi, voire plus aliénante que la notre dans le registre spécifiquement politique.

Peut-être que vous devriez vous pencher sur ce qu'en pense Bernard Stiegler qui a commenté un documentaire de Christophe Nick sur la télévision. Ce docu, beaucoup plus intelligent que "Le jeu de la mort" est complètement passé sous les radars d'@si et je le regrette profondément.
Il a également abordé la question dans un ouvrage spécifiquement consacré à l'enfance avec Serge Tisseron, vieux compagnon de route d'@si, pour s'opposer à ce que défend Tisseron, d'ailleurs.



Stiegler a le premier interrogé les usages du lien social industrialisé par les réseaux sociaux. Il démontre que la crise dite des "sub-primes", est une crise du désir - terme que vous employez dans votre texte - provoqué par la captation de l'économie libidinale par le système industriel productiviste. Il dispose que les objets hyper industriels contiennent une pharmacopée qui peut être aussi bien un poison qu'un remède, selon la façon dont on les produit et dont on les utilise. Il vient de sortir un livre, "Ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue, de la pharmacologie" qui permet d'interroger toutes ces questions, y compris les Révolutions au Maghreb, par le biais de ce qu'il appel le "soin", le care, si vous voulez.

http://www.youtube.com/watch?v=Nk28o8hTSho&feature=player_embedded#

http://arsindustrialis.org/soin-et-relation-0

De quoi faire un Dans le texte, deux ou trois @si et une dizaines de Lignes Jeunes.
merci Judith
Nous vivons l ere des Bofs." tout va mal bof.. Tout va bien alors? bof. Tu n as plus de travail, bof. tu peux plus payer ton loyer bof. tu n auras pas de retraite bof. faut te bouger le cul bof..Sarko est tres gentil il va s occuper de ton cas .bof..on te supprime ton baladeur mp3 tes jeux videos ton pack de bierre tes allocations!..quoi ça va pas!!..."
Gare à la déprime et aux rabat-joie ! Aux pisse-vinaigre et aux empêcheurs ! Aux constipés et aux renfrognés !

La démocratie, c'est le bordel, mais le meilleur qui soit. La République est un idéal, et nous ne pouvons que nous en rapprocher, tâtonnant, nous trompant, nous rectifiant, mais nous le devons ! Oui, c'est un devoir que nous dicte la Raison.

Ah nous tous, qui portons encore le fanal de la lutte, de désengluer le grand nombre, comme nous le pouvons, de son dégoût, de son inertie, de son désespoir !

À bas l'obscurantisme ! et à tous les bonnets de nuit : dégagez !

Allez les gens, réfléchissez et discutez entre vous avec enthousiasme ! Nous avons la chance inouïe de vivre dans un pays où il existe une solution politique ! Nous nous tromperons bien sûr toujours sur ceci, ou cela, mais notre force vient du simple fait que nous réfléchissions ensemble, que nous débattions ensemble, que nous confrontions nos idées pour tenter de nous rapprocher concrètement toujours plus de notre idéal.

Qu'est-ce que la démocratie ? Qu'est-ce que la République ? Quelles sont leurs limites ? Quelles sont les limites de leurs critiques ? Vous pouvez écouter ce débat sur France Culture entre Mélenchon et Julliard : http://video.liberation.fr/video/iLyROoafzJkN.html

Ou celui-ci, aussi éclairant, entre Mélenchon et J-F Kahn : http://www.dailymotion.com/video/xgt9mm_forum-numero-4_news

Oui, il existe une issue politique à ce désarroi, dont Mélenchon est parfaitement conscient, comme il le dit entre autres ici : "je pars d'une telle déception politique du peuple français" ; "c'est d'ailleurs le principal mur qu'il s'agit de percer : la résignation, l'indifférence" http://www.youtube.com/watch?v=T-ckynXMmpc (vidéo malheureusement - ou ironiquement - intitulée : "Mélenchon remballe un journaliste à Lyon", qui prouve merveilleusement bien la folie d'un journaliste, l'humour et la gentillesse de Mélenchon, et la facilité avec laquelle quelqu'un pourrait couper pour ne garder qu'un type qui gueule au nez de quelqu'un ; les médias obscurantistes sont à combattre sans relâche)
Oui, la "télé" a assurément participé à l'effritement de la conscience politique (et non pas "simplement" de la "démocratie").
Mais la "télé"? Ca veut dire quoi? La télé est un outil, ce sont des hommes qui lui donnent une fin, un contenu.
Qui a fait ça de la télé? Et motivé par quoi?
A ce sujet, je vous invite à consulter le très sympathique livre "histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours", en particulier le passage sur la privatisation de TF1. On y remarque qu'avant la télé, les propriétaires des moyens de production se donnaient beaucoup de mal en propagandes divers et variés (tracts, journaux bidons, noyautage de syndicats massifs, engagements de "jaunes" souvent violents et peu fiables...), cette propagande était coûteuse pour des effets peu intenses et souvent aléatoires. Avec l'arrivée de la télé, on sent que nos maîtres ont beaucoup soufflé et se sont incroyablement détendus.
Mais bon, c'est de la préhistoire la télé maintenant, ce qui me turlupine c'est ce que vont inventer (dans l'organisation, le contrôle) nos bourgeois en remplacement de ce merveilleux outil que fut pour eux la télévision. A moins qu'ils ne soient vraiment à la ramasse et qu'ils n'aient rien anticipé pour la fin de la télé, si c'est le cas la crise du système capitaliste est vraiment plus grande qu'on ne le pense.
Oui, nous sommes bien les enfants gâtés, issus du ventre mou de la démocratie.

http://anthropia.blogg.org
Belle chronique et très juste.

Merci citoyenne chroniqueuse !
Nous vivons dans un semblant de démocratie. La réalité est beaucoup plus proche de l'oligarchie.
Sur le sujet le livre d'Hervé Kempf "L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie" et l'émission que Daniel Mermet lui a consacrée le 4 janvier.
Faute à la télé, faute au "peuple", faute aux politiques...C'est un ensemble, c'est le tout qu'il faut revoir...Ce sentiment confus, que les choses vont de travers, est, semble-t-il, partagé par beaucoup de monde de par le monde...Ce que cela donnera, nul ne le sait, mais une chose est "sûre" c'est que nous sommes à l'aube d'un bouleversement de "l'ordre établi"...
Islande, Tunisie, Egypte, Yemen, Algérie, des pays d'amérique du sud, dans une moindre mesure (pour l'instant) l'Europe, tous les peuples semblent vouloir reprendre la main sur leur destin...
les oligarchies veillent, mais ne pourront rien face à l'histoire en marche, le souhait que je formule est qu'elles ne soient pas remplacées par d'autres...L'avenir nous le dira (ou pas), mais incontestablement, quelque chose est en train de changer...La fin d'un cycle, le début d'un autre, ainsi va la vie, mouvement perpétuel, du connu vers l'inconnu, la seconde d'après, le moment, seule vérité dans laquelle l'humain a tant de mal à s'inscrire, cherchant en vain à fuir son destin commun à l'ensemble, celui de naitre un jour et de mourrir un autre en en cherchant le sens...pourtant elle est bien là, cette seconde, ou plutôt l'humain est bien là, quelle que soit la mesure du temps...Alors, oui, des moments semblent plus exaltants ou pénibles que d'autres, mais ce sont tous des moments, à vivre là, dans l"instant, sans retour vers le passé, sans projection vers l"avenir, juste dans l'instant....vivre...VIVRE...VIVONS..
Pauvres, riches, beaux, laids, de gauche, de droite, croyants, athés, femmes, hommes, qu'elle que soit notre couleur, notre "race", notre religion, nos origines, nous sommes tous humains, vivant sur une seule et même terre et soumis au même destin, si différents et si semblables dans l'importance et l'insignifiance de nos vies, nous cherchons à l'extérieur tout ce que chacun de nous a à l'intérieur..
Olala, je m'apperçois que je suis loin du commentaire du début, mais c'est comme cela, quand on est dans l'instant, cela ouvre sur l'infini....
Bon, maintenant, c'est fini...
Ciao
Si nous n'aspirions plus à la démocratie réelle, pourquoi aurions nous tant d'enthousiasme devant les soulèvements populaires du monde arabe ?

Je pense qu'il n'y a pas de désamour de la démocratie mais désamour du système, qui usurpe le nom de la démocratie : impossibilité de révoquer nos représentants qui ne tiennent pas leur promesse, pas de lois d'initiative populaire, ni de possibilité de retoquer une loi par cette même initiative populaire, choix réduit à voter pour des personnes plutôt que pour des mesures, système de vote à deux tours favorisant les gros partis voués à la défense du système — alors que des systèmes de vote alternatifs ont été proposées, média défendant pour l'essentiel le point de vue de la classe dirigeante, etc. Le diagnostic est connu.
Ah ben je n'avais pas envie de me lever, j'aurais eu tord ! :) Merci.
Excellente chronique!

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