Libé et le (s) "visage (s) du mal"
La une du Libé de ce jour a au moins un mérite, elle aura fait parler d'elle. Les critiques des lecteurs ont fusé et Johan Hufnagel, directeur en charge des éditions, a cru devoir expliquer ce choix dans un "making of" : « Oui, Abaaoud souriait. Oui, ce sourire est gênant. Parce que l’homme, que certains présentent comme un des pires tortionnaires de l’Etat islamique, n’a pas la gueule du salaud qu’il a été. Le "visage du mal" n’existe pas. C’est une vérité qu’il faut connaître. Les salauds n’ont pas des gueules de salauds et ils peuvent ressembler au mec d’à coté. »
Abonnez-vous pour pouvoir commenter !
si vous êtes déjà abonné Connectez-vous Connectez-vous
Derniers commentaires
Et donc le sourire de ses futurs assassins ou assassins ne laisse de nous étonner comme celui de Anders Behring Breivik, ce barbare qui ayant massacré 77 personnes trouve encore le moyen de sourire (http://www.theguardian.com/world/2012/aug/24/anders-behring-breivik-profile-oslo)
Quant à l'indécence de Libération, elle équivaudrait à faire une Une sur les crimes de Hitler avec cette photo que l'on trouve dans cet article que je n'ai pas lu http://julienboyer.net/ecrivain/le-nazi-consensuel/
On peut voir, depuis les attentats, un dessin représentant la Tour Eiffel dans un cercle.
Cela rappelle, aux plus anciens, le logo sémaphorique de Gerald Holtom pour le désarmement nucléaire.
Quel rapport d'évidence entre une bombe atomique et un AK 47 ?
La une de Libé d'aujourd'hui est encore assez absurde.
Où l'on voit que problème est surtout le choix de base de faire une une une.
Enfin une-une-une, personne ne va comprendre. Comment le dire autrement? La une de libé est contrainte (par choix) à ne mettre qu'une photo pleine page, qu'un texte. Mais ce n'est plus jouable, vite on met une ligne de Bamako au dessus, "ça ne ressemble à rien", ou "c'est ni fait, ni à faire", comme on dit trivialement.
Et sinon la couverture de Paris match, quelqu'un s'est penché dessus? J'ai l'impression que la personne sur le brancard est morte et que les yeux fixes qui regardent le secouriste sont trompeurs, et qu'elle ressemble à Valeria Solesin qui est dans le in memoriam de Libé, et que j'ai trop fait connaissance avec les victimes et que j'ai trop lu, trop vu, j'ai l'impression.
Et puis la tour Eiffel prise dans le cercle comme un vulgaire avion nucléaire, c'est de la recup' à la va-vite. OK ça ressemble à "make love, not war", mais c'est pas trop mon ressenti de la vérité de la situation actuelle.. (on ferait aussi bien le A d'anarchie entouré de son cercle avec la tour Eiffel, en lui enlevant un pied et en étant ainsi plus raccord avec la perspective, mais là ça se serait vu que c'était con comme message). Ce n'est pas le moment d'être critique, on avait besoin d'un symbole, c'est celui-là qui a été retenu, je m'incline mais bon.
Et puis, hier, au contraire, j'ai pas mal écouté, regardé, lu.
Donc, je fais partie de ces rares personnes qui n'avaient pas vu le visage du gars en question jusqu'à hier. Certains parlent ici d'une vidéo où il conduit en souriant, je ne l'ai pas vue. Ne mettez pas un lien pour moi, j'ai pas envie de la voir.
Ce qui suit est à prendre comme le témoignage d'une oie blanche, pour toutes ces raisons. Quand j'ai vu son visage, la première fois j'ai eu une pensée d'une telle stupidité que j'en ai eu honte. Je me suis dit " Quelle idée de devenir terroriste, avec une si bonne bouille ?". La honte.
Pourtant, je le sais que " les méchants n'ont pas toujours une tête de méchant ".
Pourtant, je ne sais même pas quel genre de lien pourrait être établi entre la gueule qu'on a et les choix qu'on fait ou la vie qu'on a.
Et pourtant, j'en suis vraiment pas fière, mais je l'ai pensée cette chose complètement débile, monstrueuse, en forme de question. Cette question qui s'est posée toute seule dans ma tête, est une insulte à l' éducation que j'ai reçue, à mes lectures, à la liberté dont je jouis, aux grands textes qui fondent la société à laquelle j'appartiens. Un truc indigne de l'humain, qui vient dans la tête comme si c'était une pensée, et ça n'en est pas. C'est quoi, alors ?
Pourquoi des années d'éducation et de lecture, de vie quotidienne dans une société extrêmement élaborée n'ont pas totalement éradiqué de ma propre tête cette pseudo pensée terrifiante de bêtise ?
Et eux, les terroristes, est-ce dans un processus identique que des années d'éducation et de liberté n'ont pas empêché qu'ils basculent dans la barbarie, en ayant probablement eux aussi un truc dans leur tête complètement monstrueux mais qui se manifeste à eux comme une pensée ? Un truc dans leur tête qui leur fait établir des liens apparemment logiques là où il n'y a aucune logique, un truc qui a la forme d'un raisonnement là où il n'y en a aucun ?
Un truc aussi con que s'étonner qu'avec une bonne bouille on puisse devenir terroriste ... ???
- Time : The face of buddhist terror
- Time : The face of terror
- Newsweek : Terror's most ruthless face
- A Futuramic release : Face of terror
Le plus célèbre, de l'autre côté de la terreur : Skrik, Edvard Munch.
Cette photo, on peut certes l'interpréter comme Alain (faire le buzz par des moyens indignes), comme d'autres ici qui le voient plutôt ricanant que souriant, comme constant gardener (je l'ai pensé aussi) tout jeune arabe souriant est un danger. Mais on peut aussi l'entendre comme un rappel d'une réalité: il est un être humain comme nous, il peut sourire, aimer, séduire.
Tous les enfants sont comme les vôtres, disait Jacques Brel... Ce n'est qu'après, longtemps après...
- le visage d'un jeune "arabe" souriant,
- la légende en grosses lettres noires : Le visage de la terreur.
Le message de cette Une est évident : le visage de la terreur est celui d'un jeune arabe souriant. Autrement dit, les jeunes arabes souriants sont des terroristes potentiels.
On sait d'après ses diverses déclarations que tout cela était aussi de la rigolade pour lui, et on peut gager qu'il a ri très fort après les attentats.
Alors en quoi la Une de Libé est-elle choquante ? Ce type riait et avait bien cette gueule-là aussi. C'est bon de le savoir.
L'indécence, c'est surtout la répétition, la boucle infinie des photos de ce gars, la manière dont in fine il apparaît comme une sorte de superman qui est parvenu à se glisser entre les mailles du filet, alors même que ses "exploits" sont d'une relative banalité (se balader en Europe et passer une frontière avec un faux-passeport ? La belle affaire...). Une tête-brûlée insignifiante devient LE "cerveau", LE visage, alors même que l'on sait aussi et surtout qu'il n'était le cerveau de rien du tout, un visage parmi d'autres... Il exécutait (dans tous les sens du terme), il a profité de moyens financiers pour réaliser sa besogne qui n'a rien d'extraordinaire (se former au maniement des armes, coordonner, acheter le matériel et ce qu'il faut pour voyager, avec un gros paquet d'argent, c'est d'une effroyable banalité, d'une complexité extrêmement réduite). Les vrais "cerveaux" l'avaient convaincu que sa petite vie misérable et son cerveau qu'il savait fort limité pourraient gagner en grandeur s'il accomplissait les besognes que l'on sait... Voilà ce qu'il faudrait voir dans ce petit visage banalement souriant. Et encore une fois, il est bon de voir ce sourire. Il existe, il faut le voir.
Il a le simple visage du benêt manipulé qu'il était, disposant de gros moyens pour parader et se fendre la poire, rien d'autre.
On peut fantasmer, manier la rhétorique du mal et de la terreur, le romantisme et les hyperboles hugoliennes, on ne fera que prolonger l'hypnose produite par cette boucle infinie d'images (souriantes ou pas), images qui manquent cruellement des mots justes pour dire ce qu'elles sont... Voilà le mal... Quel est le nom de ce site déjà ? Ah oui, Arrêt Sur Images. Il serait temps de s'arrêter... sur ces images... Et de poser les mots justes à côté.
"On peut tout faire avec une baïonnette sauf s’asseoir dessus"
L'Ignoré, l'éternel problème éblouissant
Et ténébreux, que l'homme appelle la Nature ;
On a devant soi l'ombre informe, l'aventure
Et le joug, l'esclavage et la rébellion,
Quand on voit le visage effrayant du lion ;
Le monstre orageux, rauque, effréné, n'est pas libre,
Ô stupeur ! et quel est cet étrange équilibre
Composé de splendeur et d'horreur, l'univers,
Où règne un Jéhovah dont Satan est l'envers ;
Où les astres, essaim lumineux et livide,
Semblent pris dans un bagne, et fuyant dans le vide,
Et jetés au hasard comme on jette les dés,
Et toujours à la chaîne et toujours évadés ?
Quelle est cette merveille effroyable et divine
Où, dans l'éden qu'on voit, c'est l'enfer qu'on devine,
Où s'éclipse, ô terreur, espoirs évanouis,
L'infini des soleils sous l'infini des nuits,
Où, dans la brute, Dieu disparaît et s'efface ?
Quand ils ont devant eux le monstre face à face,
Les mages, les songeurs vertigineux des bois,
Les prophètes blêmis à qui parlent des voix,
Sentent on ne sait quoi d'énorme dans la bête ;
Pour eux l'amer rictus de cette obscure tête,
C'est l'abîme, inquiet d'être trop regardé,
C'est l'éternel secret qui veut être gardé
Et qui ne laisse pas entrer dans ses mystères
La curiosité des pâles solitaires ;
Et ces hommes, à qui l'ombre fait des aveux,
Sentent qu'ici le sphinx s'irrite, et leurs cheveux
Se dressent, et leur sang dans leurs veines se fige
Devant le froncement de sourcil du prodige.
Victor Hugo
C'est la question de la chanson "differents" de Benabar
Est-ce qu'ils nous ressemblent?
Si vous m'posez la question
J'aimerais pouvoir répondre
Que non, bien sûr que non!
Tout le monde a déjà vu la tronche d'Abaaoud en barbu "hilare" au volant de son pick-up traînant des cadavres. C'est amplement suffisant pour comprendre.
C'est pas sa gueule qui compte, c'est ce qu'il raconte à la caméra, et comment nous avons a pu en arriver là.
La "terreur" n'a pas de visage.
Et la terreur n'a pas non plus de "camp":
Qui connaît la tête des pilotes des drones américains ayant fait officiellement 4700 victimes au Pakistan, au Yemen et en Somalie - dont de nombreux civils - entre 2009 et 2013, selon un rapport du Sénat américain?
http://www.wired.com/2013/02/graham-drones/
Qui lit encore les rapports d'Amnesty International?
https://www.amnestyusa.org/sites/default/files/asa330132013en.pdf
Voir aussi:
http://www.liberation.fr/planete/2013/10/22/au-waziristan-la-terreur-des-drones_941260
http://www.monde-diplomatique.fr/2009/12/CHECOLA/18579
Post de moi il y a deux jours sur "Nous et eux" de Daniel Scheidermann. Je me permets cette fois-ci de le recoller ici (J'voulais déjà le faire à une autre occasion ce jour à propos de la polémique sur la publication des photos du Bataclan) --
" Il y encore une autre dimension très médiatique du "nous" et "eux".
Après chaque carnage, une fois leur noble besogne accomplie, pendant des jours et des semaines, et plus tard à chaque occasion de mémoire, de nouvel exploit, ce sont "eux" qui arborent et investissent tous les journaux, télés, sites à travers le globe, avec leur belle tronche épanouie, prise à un moment X. Et ça aussi, ils le savent à l'avance.
Peut-être que l'on pourrait déjà commencer par là. Les noms et âge. Point. Personne n'a besoin de voir ces visages délicats. "
Alors oui, naivement, un jour, peut-être une rédaction (écrite, télé) aura-t-elle la géniale idée de ne pas étaler ces tronches. Et que d'autres suivront. Par simple conception éthique... Mouais... Très convainquant, je l'admets.
Les photos des victimes ont été, à juste titre, thématisées.
Pourquoi les tronches de psychopathes nécrophiles en long, en large, en travers, en gros plan, en animation ad eternam et nauseam ? Je suppose autant de coups supplémentaires sans fin à la mémoire des assassiné(e)s, meurtrie(e)s et aux proches.