Toc toc comme Chirac ou bien amnésiques.

Vous voyez De Gaulle comme une statue de marbre, pas eux. De Gaulle s'est fait éjecté en 1968, quand ceux que vous dites avait 20 ans. Et il y a eu toujours l'ambiguïté, qui vous saute aux yeux maintenant, sur la figure de De Gaulle, incarnation de la droite et à la fois vu comme le metteur en œuvre des idées du conseil de la résistance et l'accompagnateur de l'amélioration du niveau de vie et de la prospérité de la France, donc bienfaiteur du peuple.

Pour mémoire,
En complément de ce qu'écrit poisson.

[quote=comment peuvent-ils voter pour ceux-là mêmes qui font que la société dans laquelle ils vivent est ce qu'elle est, c'est à dire n'allant pas du tout dans le sens de leurs valeurs ?] Mazano


Peut-être parce que « ceux-là mêmes qui font que la société dans laquelle ils vivent est ce qu'elle est » sont à peu de choses prés les mêmes que ceux qui faisaient que la société dans laquelle ils vivaient dans les années 60 était ce qu'elle était.

La période des années 60 a sans doute été une période d'expansion économique sans précédents boostée par le Plan Marshall, mais elle a surtout été, dans la vie des gens, une période de transformations inouïes de la société.
Dans la vie domestique avec l'électro-ménager, les robots ménagers ou encore l'accès à l'eau courante et chaude et aux toilettes modernes, la voiture et la télé, les congés payés, le temps libre et le bricolage-jardinage, l'accès à la consommation industrielle autant culturelle que matérielle et alimentaire;
sur le plan des infrastructures, développement du réseau autoroutier, de la circulation et des embouteillages (pas seulement au cœur de Paris comme au temps des charrettes à chevaux), des télécommunications, favorisant la circulation (le flux) des marchandises dont font partis les produits de consommation et la gent touriste (tourisme de masse et transhumances estivales, construction massive des structures d'accueil et des infrastrures côtières);
sur le plan des techniques, entre beaucoup d'autres, la généralisation du béton armé, du macadam, des grands chantiers, ou l'évolution des structures de l'eau avec les grands barrages permettant de réguler (doser, mesurer) la distribution en canaux d'irrigation avec en bout de chaîne l'arrosage par aspersion (sous pression), qui ont profondément transformé les organisations communales de gestion de l'eau (individualisation de l'accès) ainsi que les conditions de travail (remembrement et agrandissement des parcelles, donc plus gros tracteurs et industrialisation-mécanisation de l'agriculture, concentration de la distribution et multiplication des intermédiaires) et les mœurs des habitants des campagnes (urbanisation des villages, diminution des rendez-vous collectifs comme fêtes ou travaux agricoles);
sur le plan des tensions entre le travail et le capital, puisque l'exploitation était féroce et que les conditions de vie et de travail des ouvriers et des petits employés (développement des supermarchés) étaient très dures même si l'élévation globale du niveau de vie donne l'impression d'une amélioration générale pour tous; exacerbation aussi de la concurrence entre les travailleurs masquée par le quasi plein emploi.

En fait, ce sont principalement les classes moyennes intermédiaires (cadres et fonctions "intellectuelles") qui ont profité des Trente Glorieuses. L'accélération du transfert des populations des campagnes aux villes, avec le développement de l'urbain et de ses banlieues, et son corolaire la désertification des campagnes (ou/et leur affectation comme dortoir péri-urbain par le développement des zones pavillonnaires pour classes moyennes), qui agrègent les autres facteurs, ont profondément bousculé la société de cette période dominée par la progressive prééminence des couches moyennes dans la vie sociale et politique, et principalement dans l'univers de la communication.

Aussi peut-on faire l'hypothèse que plus que les « valeurs », De Gaulle a pu représenter pour les couches sociales anciennes déstabilisées ou en voie de disparition, la sécurité, le père de la nation, même si lui s'en disait l'époux, dans un monde qui prenait de la vitesse et effaçait un à un les repères. Mais il représentait aussi pour les classes moyennes supérieures et le patronat la croissance et le libéralisme. C'est cette classe moyenne supérieure qui a basculé lorsque la gauche social-démocrate lui est apparue constituer un meilleur soutien pour la libération de l'individualité hédoniste nécessaire à la consommation marchande de produits culturels industriels et de gadgets confirmant l'individu dans sa bulle communicationnelle (écouteurs sur les oreilles) contrairement à la solitude ancienne qui pouvait connaître le bonheur de l'ennui et son... ennui.

La tranche d'âge des 60-80 ans qui semble avoir voté fortement pour Sarkozy (entre 61 et 68% nous dit-on), avait entre 20 et 40 ans dans les années soixante. Si l'on prend en compte l'inégalité d'espérance de vie défavorable aux ouvriers et employés, on peut considérer que ce sont les couches moyennes et supérieures qui en constituent le gros aujourd'hui. Elles ne seraient donc pas infidèles à elles-mêmes en votant pour le représentant du libéralisme tant que les besoins du capital ne pénalisent que les couches moyennes inférieures, en "montant" de nouveau le cheval de la droite sarkozienne après avoir épuisé le cheval de la gauche social-démocrate.
La face complémentaire de la sécurité répressive développée par la droite actuelle (et le PS!) vise aussi bien les couches supérieures (qui, confrontées au surcroit de visibilité des inégalités économiques et sociales, peuvent subodorer que des révoltes populaires de grandes ampleurs pourraient menacer leurs "mal-acquis sociaux"), que les secteurs de classes qui sont comme toujours menacés par le développement du capitalisme.

Il est plus inquiétant de constater, à mon avis, que la tranche électorale des 25-45 ans a aussi voté assez fortement Sarkozy (entre 50 et 57% d'après les sondages de sortie d'urnes).
Les 25-35 ans qui ont voté à 57% pour Sarkozy ont vécu les 5 premières années de leur vie politique ou sociale (que je fais commencer à 15 ans) sous un pouvoir socio-démocrate soumis à l'alternance et n'ont pas été rebutés par 5 années de Sarkozysme (en tant que ministre omnipotent).
À peine moins (50%) pour les 35-45 ans qui ont vécu leurs 15 premières années politiques sous (ou dans) le "socialisme" (ouarf!).
Nettement moins (45%) pour les 45-60 ans qui en ont connu 20 années à la suite de 5 années giscardiennes (sur les 7) de 1977 à 1982 .
Les 18-25 ans qui n'ont connu que le sarkozysme encore moins (42%).
Bien sûr, ces données ne tiennent pas compte de la proportion de chaque groupe d'âges dans l'ensemble de la population ni de la part d'abstention dans chacun qui influent fortement sur le résultat final. Mais cela peut laisser espérer que les 18-25 ans qui enteront sur le marché électoral de 2012 seront encore moins tentés par le vote Sarko. Si certains prétendent qu'ils glisseraient plutôt vers l'extrême-droite, je demande à voir, tout en travaillant toutefois à l'éviter au cas où.
Une étude comparative du vote de ces catégories depuis 50 ans serait la bienvenue.

En tout cas, pour rétablir l'équilibre (c'est-à-dire faire vaincre la gauche, donc la gauche de droite) je rejoins l'incitation d'Ulysse Martagon à ne pas hésiter à rouler sur les "vieux" (65-85 ans en 2012. Pas avant, malheureux, ils sont de notre côté!) de "droite". Ils se reconnaissent facilement: ils ne sont pas de "gauche".


[quote=Alors oui mais non, dans le sens où De Gaulle est avant tout présenté comme "l'homme qui a dit Non", celui qui symbolise la France debout]
« est avant tout présenté » est, en effet, l'expression adéquate. Il s'agit bien de la fabrication d'un mythe du grand homme qui, comme toutes les fabrications de ce genre, est élaborée pour inscrire dans les mémoires une autre histoire que celle du vécu des gens. Comme celle que De Gaulle était aimé (ou admiré ou ce que l'on veut d'autre) ou considéré comme le sauveur par la majorité.
Je m'en souviens. J'y étais!