Arabie Saoudite, son prince démembreur, sa cité futuriste
Il serait injuste de ne pas donner à leurs noms la publicité qu'ils méritent. Ils s'appellent Sebastien Bazin, PDG d'AccorHotels, Patrice Caine, PDG de Thales, ou Jean-Bernard Lévy, PDG d'EDF. Quel est leur point commun ? Tous se rendront, à la fin du mois, au "Davos du désert". C'est Le Monde
qui les recense, et livre leurs noms. Dans le corps de l'article. Discrètement. Sans titrer sur eux. Pas comme ce mal élevé de Ruffin, à propos des handicapés.
Alors que plusieurs grands patrons américains (Uber, JPMorgan, Viacom, Ford, Virgin) ont annulé leur participation à cette manifestation saoudienne après la disparition au consulat d'Arabie Saoudite à Istanbul du journaliste saoudien Khashoggi, ces grands patrons français, eux, se rendront au Ritz Carlton de Riyad, pour prendre des nouvelles de Neom. Neom ? "Une mégalopole futuriste, une utopie à 500 milliards de dollars (431,9 milliards d’euros), avec robots, énergie propre, espaces verts à perte de vue et femmes non voilées"
précise Le Monde
. Il est vrai que le PDG d'EDF a déclaré qu'il n'y prendrait pas la parole en public. D'autres patrons français se posent encore la question de leur présence, comme les PDG de la Société Générale, Frédéric Oudea, ou de BNP-Paribas, Jean Lemierre. A l'heure où j'écris, j'apprends que le ministre français Bruno Le Maire renonce au voyage, les conditions ne lui semblant "pas réunies"
. Quant à la directrice générale du FMI, Christine Lagarde qui s'était dans un premier temps déclarée "horrifiée" par les détails sur l'exécution de Khashoggi, mais sans renoncer au voyage, elle vient également d'y renoncer. Et on n'en est sans doute pas au dernier rebondissement du nième épisode du feuilleton "bizness et morale sont dans un bateau".
Parmi mes lecteurs, peu entretiennent sans doute des rapports directs avec la société Thales. En revanche, certains ont peut-être un compte à la Société Générale, ou à BNP Paribas. Vous serez peut-être contents d'apprendre que les patrons de ces respectables établissements envisagent de se rendre à l'invitation d'un prince moyen-âgeux, qui a fait couper en morceaux un journaliste opposant, dans un consulat étranger. Il est vrai, à en croire la presse turque, que cette opération de démembrement s'est opérée en musique. Il s'agissait d'adoucir le travail des démembreurs.
Encore MM. Bazin, Caine, Lévy, et les autres, peuvent-ils réfléchir tranquillement aux avantages et inconvénients de se rendre, ou non, au "Davos du désert". Ils ne se trouvent pas tous les quatre matins devant un micro. Mais prenons une figure plus familière, comme Jacques Attali. En voilà un, que les studios et plateaux connaissent bien, pour chacun de ses livres. Justement, ces jours-ci, il en publie un, ce qui nous vaut une nouvelle salve de prophéties avisées. Eh bien, figurez-vous que Jacques Attali est aussi invité au "Davos du désert". Il y était déjà l'an dernier. Va-t-il y retourner cette année, serrer la main au prince démembreur qui, parait-il "le consulte régulièrement" ? On ne le saura pas. "Jacques Attali n'a pas répondu aux messages que Le Monde lui a adressés"
, précise Le Monde,
toujours dans le corps de son article. Il eût été dommage que ce remarquable silence passe inaperçu.
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