Bastien Vivès, autoportait en martyr des woke
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Bastien Vivès, autoportait en martyr des woke

Il aura fallu presque deux ans. Presque deux ans après "l'affaire Vivès" pour que le dessinateur en livre sa version, de sa propre voix. L'affaire ?  L'annulation d'une Carte blanche de Vivès au festival d'Angoulême pour cause d'insultes contre la dessinatrice-blogueuse féministe Emma, et de soupçons de complaisances envers la pédocriminalité (une instruction pour "diffusion d'images pédopornographiques" est en cours au tribunal de Nanterre)Celui qui est devenu, depuis, aux yeux de nombreuses féministes, et pas seulement, le symbole d'une BD masculine pré-MeToo, n'avait qu'une solution pour sortir de la nasse, et poursuivre un parcours à la hauteur de son talent. Livrer sa propre version de l'affaire. Non pas avec des mots, qu'il manie toujours à l'oral dans une certaine confusion (lire ici notre entretien en 2023), mais dans le langage qu'il maitrise le mieux : ce petit tricot de dessins, de bulles, et d'ellipses, qu'on appelle la BD.

A l'intérieur de cette voie d'exfiltration, deux chemins possibles s'offraient à lui. Deux stratégies de défense, dirait-on dans un procès (car c'en fut bien un, l'an dernier, sur les réseaux sociaux, même si les chefs d'accusation ne furent jamais parfaitement clairs) : plaider coupable ou non coupable. Lâcher prise, pour tenter de comprendre pourquoi il avait offensé, indigné, navré, blessé (notamment Emma). Ou alors se considérer comme la pure victime d'une cabale, d'une époque, d'attaques nulles et non avenues à traiter par le mépris et le ricanement.

C'est dans la deuxième piste qu'il fonce tête baissée, avec ce petit livre, L'affaire Bastien Vivès, quasi-autoédité par une société (Charlotte éditions) qu'il a montée avec des proches. Voilà donc le héros se dessinant condamné à deux stages de réadaptation pour pédocriminels, et forcé par son entourage de "maitriser ses propos" pour ne pas aggraver son cas. Affrontant de pervers policiers des moeurs qui s'efforcent de le faire replonger, l'innocent persécuté est soumis à un "détecteur d'excitation" par une "professeur Heinrich", dotée d'un accent allemand et des gros seins réglementaires dans toute oeuvre de Vivès. Après ce stage sur la pédocriminalité, il est balancé dans un second stage de "déconstruction de la bande dessinée", dans lequel il va travailler sur le "mégenrage", et les "codes de domination", aux côtés de compagnons "non-binaires assimilés neuro-A", ou de "cis-trans non binaires", avant -punition suprême- de devoir faire relire son livre par des "sensitive readers". Bref, Bastien Vivès sculpte sa statue de martyr de la dictature woke.

C'est un créneau, une voie. Médiatiquement prometteuse, par les temps bollorééens qui courent (il est, sans surprise, soutenu par Le Point). Artistiquement, un chemin déjà balisé avant lui par un autre surdoué nommé Michel Houellebecq, pareillement incapable de se dépatouiller de la distinction élémentaire de l'auteur, du narrateur et du personnage. Il fallut quelque temps, pour réaliser que l'islamophobie prégnante de l'univers de Houellebecq reflétait celle de l'auteur lui-même. Il fut plus rapide de comprendre que l'auteur Vivès, dessinant des scènes pédo-sexuelles, suivait moins son inspiration, que sa propre excitation. "Dans ce livre, mon double est une caricature de moi-même, il est imbu de sa personne, vaniteux et un peu con" se défend-il au Point, avant d'évacuer en une phrase qu'il a lui-même sa "part de responsabilité dans ce qui est arrivé". Le croira qui voudra bien. 

En un mot, dans ce petit livre grinçant, il continue de faire du Vivès. Du Vivès ni meilleur ni pire qu'avant d'être devenu une "affaire", ne suscitant finalement que de la tristesse à écouter s'estomper dans la victimisation une voix qu'on aimait bien, de "Polina" à "Une soeur". Il faudra désormais suivre de loin, de l'autre rive, avec regret, cette silhouette familière de vieil ado. Sur la couverture, lui-même nous tourne d'ailleurs le dos comme en chemin, déjà, vers un ailleurs inexorable.  


Le blog Obsessions est publié sous la seule responsabilité de Daniel Schneidermann, sans relecture préalable de la rédaction en chef d'Arrêt sur images.

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