Haneke et Huppert, off-shore pour l'éternité
, les critiques de cinéma sont (avec les critiques littéraires ?) parmi les plus imperméables aux rudiments de déontologie que leurs confrères font au moins parfois mine d'observer. On peut chercher à perte de vue : dans le flot de commentaires qui ont salué le palmarès de Cannes, pas un seul ne risquera l'ombre d'une critique à l'égard de la présidente Isabelle Huppert, à la tête d'un jury qui a décerné la palme d'or à un cinéaste, Michaël Haneke, qui avait huit ans plus tôt offert à Huppert un rôle lui valant le prix d'interprétation féminine.
L'immense majorité des compte-rendus du palmarès se contente de rappeler, avec une stoïque sobriété soigneusement exempte de toute ironie, l'heureuse coïncidence ("Isabelle Huppert le connait bien..." et autres formulations de langue de bois). Ceux qui osent, du bout de la plume, évoquer un possible conflit d'intérêts, un renvoi d'ascenseur, un brin de favoritisme, s'empressent, dans la même phrase, de disculper la présidente, au nom de la beauté supérieure du film (ici ou là, par exemple, avec une notable exception pour le commentaire grinçant du Progrès de Lyon). Quant à s'interroger sur la coïncidence qui fait que Huppert fut désignée présidente une année où Haneke était en compétition, il faudra attendre les livres de mémoires des uns et des autres, aux alentours de 2050.
L'argument de la "qualité supérieure" est intéressant. Toutes choses égales par ailleurs, c'est le même argument que celui des PDG, qui justifient leurs bonus et primes himalayens par la qualité supérieure de leur gestion. Ou que celui d'élus, qui justifieraient par la supériorité des services rendus aux électeurs des entorses aux lois sur le financement des partis, ou un laxisme sur leurs notes de frais. A cette différence près que sur les patrons ou les élus, lémédias osent au moins poser la question, ce dont est préservé l'Art, activité économique définitivement décrétée off-shore par la presse.
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