L'Arabe, le journal et le policier
Ce qui frappe, dans le témoignage d'Anyss Arbib, jeune étudiant victime d'injures racistes par la police, en rentrant d'être allé manifester sa joie aux Champs-Elysées après la qualification de l'Algérie pour la Coupe du Monde, c'est finalement la rareté de ce genre de témoignage. Des contrôles au faciès, dans les quartiers dits "difficiles", nous avons de nombreux témoignages. Mais d'un indiscutable flagrant délit de racisme, par un policier en service, les témoignages sont rares. Ayant recueilli celui-ci, Libé en fait donc sa manchette, et voici tout lecteur saisi de stupeur.
De témoignages du racisme policier, Libé faisait quotidiennement sa Une dans les années 70. Ils sont aujourd'hui exceptionnels. Est-ce parce que les réflexes racistes, en trente ans, se sont raréfiés dans la police ? Ou au contraire, se sont-ils tellement banalisés, que plus aucun journal ne considère que ce genre de témoignage vaut la Une ? On attend avec impatience la réaction du ministère de l'Intérieur, que Libé n'a apparemment pas sollicité avant publication. Impossible, en tout cas, en lisant le récit circonstancié de Arbib, de ne pas repenser à l'écrivain Antoine Audouard, auteur de "L'Arabe", racontant sur notre plateau l'impuissance des mots, face à la vigueur triomphante, sans réplique, de l'injure raciste.
Anyss Arbib, selon Libé, n'est pas un étudiant lambda. Il a une page Facebook, sur laquelle il a posté son récit. Il est étudiant à Sciences-Po Paris, école avec laquelle son ancien lycée (Jean Renoir, à Bondy) a conclu une convention. Lors des émeutes de 2005, il était allé, en délégation, rencontrer à Matignon Dominique de Villepin, à qui il avait lancé "je veux faire sciences po et l'ENA, comme vous". Aujourd'hui encore, il est militant du "club" politique de Villepin. Il présente donc de nombreux signes d'intégration. Et paradoxalement, ce sont ces éléments d'intégration qui ont aidé (on ne sait pas dans quel ordre) sa voix à parvenir jusqu'à la Une d'un quotidien national. Au coeur de la scène glauque qu'il relate, c'est une (petite) raison d'espérer que les choses n'aillent pas forcément de mal en pis.
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