Jean-Marie Le Pen est mort le mardi 7 janvier 2025. Il avait 96 ans. Pour beaucoup, il est l’homme de l'extrême droite française aux propos racistes, antisémites, révisionnistes, homophobes qui a parcouru la vie de la Vème République avant de devoir laisser la place à sa fille, Marine Le Pen, héritière familiale et politique qui n’a jamais été aussi proche d’exercer le pouvoir obtenant 88 sièges aux dernières élections législatives, un record pour le parti.
Depuis le 7 janvier, les médias sont en boucle sur ce que beaucoup estime être un événement majeur de la vie politique française publiant leurs nécrologies préparées en amont, écourtant d'ailleurs les hommages aux victimes des attentats de janvier 2015 : zoom sur la saga familiale Le Pen, évocation furtive des actes de torture dont Le Pen père a été l’auteur, minimisation de ses propos racistes et antisémites. Une question se pose dans ce traitement médiatique : les médias mènent-ils une opération de réhabilitation de Jean-Marie Le Pen ? Pour y répondre, nous recevons quatre invités : Malek Délégué, chroniqueur de l’émission politique "Backseat", Akim Omiri, humoriste ainsi que Jean-Pierre Canet et Raphaël Tresanini, journalistes d'investigation, auteurs de la série documentaire "Jean-Marie Le Pen à l'extrême".
"Parler de dérapages pour Jean-Marie Le Pen, c'est vouloir rendre l'extrême droite acceptable"
Certains mots reviennent très souvent dans les nécrologies et plateaux des chaînes d'info consacrés à la mort de Jean-Marie Le Pen. Ainsi, les termes "outrances", "polémiques", "provocations" ou encore "dérapages" sont régulièrement convoqués pour désigner les propos racistes, xénophobes, antisémites et homophobes de Jean-Marie Le Pen. Pour Akim Omiri, "parler de dérapages sous-entend que ce n'est pas maitrisé et que ce n'est pas ce qu'il voulait dire sauf que ces dérapages et ces outrances c'est exactement ce qu'il voulait dire et c'est exactement le fond de sa pensée. Donc, le fait de le présenter comme ça, c'est minimiser son projet politique, c'est que tu as envie de rendre l'extrême droite acceptable".
SUR BFMTV, un présentateur demande : "est-ce que Jean-Marie Le Pen était vraiment d'extrême droite ?"
Encore faut-il s'entendre sur l'appartenance politique de Jean-Marie Le Pen à l'extrême droite. Jean-Pierre Canet et Raphaël Tresanini ont multiplié les plateaux télé pour parler de leur série documentaire. Invités sur BFMTV mardi 7 janvier, ils ont été étonnés de se voir demander par un des deux présentateurs : "Est-ce qu'il était vraiment d'extrême droite ?". "Je suis hyper surpris par la question, rapporte Raphaël Tresanini. Il y a un échiquier politique encore en France et oui, Jean-Marie Le Pen il est d'extrême droite mais la manière dont la question m'a été posée m'a surpris. Jean-Marie Le Pen c'est celui qui va synthétiser toutes ces extrême droites pour la réformer. Exemple : en Italie quand ils parlent de Jean-Marie Le Pen, il est perçu comme une personnalité de droite. Je crois que l'échiquier a clairement basculé à droite toute tout simplement."
"Si on avait demandé à Jean-Marie Le Pen « avez-vous torturé ?», on n'aurait rien eu"
Hormis la nécrologie amicale et bienveillante du Figaro qui oublie de mentionner la torture exercée par Jean-Marie Le Pen en Algérie, toutes abordent plus ou moins brièvement ces actes de l'ancien président du Front national. Dans leur documentaire, Jean-Pierre Canet et Raphaël Tresanini interrogent directement Jean-Marie Le Pen à ce sujet sans jamais lui poser la question frontale : "Avez-vous torturé ?". "On sait déjà qu'il a torturé. C'est même plus le sujet. Le sujet c'est : « qu'est-ce que vous pensez de la torture ? ». Sa réponse sur la torture en dit beaucoup plus sur son état d'esprit, et est beaucoup plus riche d'enseignements", estime Jean-Pierre Canet. "Jean-Marie Le Pen est un fin dialecticien, très bon rhéteur. Si on avait posé la question comme ça, on n'aurait rien eu. Notre objectif était de percer à nu Jean-Marie Le Pen et pas d'obtenir de véritables réponses et pas de petites arnaques comme il fait souvent. Il donne sa vision de la torture, à quoi ça sert, il la minimise selon les peuples qui sont torturés, je ne suis pas certain qu'il aurait eu le même propos si des Français de souche, comme il dit, avaient été torturés", ajoute Raphaël Steranini.
ALLER PLUS LOIN
"Jean-Marie Le Pen, à l'extrême", Jean-Pierre Canet et Raphaël Tresanini, série documentaire en trois épisodes, France Télévisions/Tohubohu/CNC/Public Sénat
Jean-Marie Le Pen, "L'homme qui a remis l'extrême droite au cœur du jeu politique français", Le Monde, 7 janvier 2025
Fabrice Riceputi, "Le Pen et la torture. Alger 1957, l'histoire contre l'oubli", éditions du Passager clandestin, janvier 2024.
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